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best of 2011

l’année en images, en mots, en top ten

Allemagne 6,80€ - Belgique 6,30€ - Canada 10,75 CAD - DOM 7,40€ - Espagne 6,50€ - Grande-Bretagne 6,00 GBP - Grèce 6,50€ - Italie 6,50€ - Liban 16 500 LBP - Luxembourg 6,30€ - Maurice Ile 7,30€ - Portugal 6,50€ - Suède 68 SEK - Suisse 11,00 CHF - TOM 1 300 CFP

No.838-839 du 21 décembre 2011 au 3 janvier 2012

M 01154 - 838 S - F: 5,90 €

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www.lesinrocks.com

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l’année en images, en mots, en top ten

Valérie Donzelli et Kyan Khojandi, héros de l’année

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Qui veut s’occuper de Ryan Gosling ? (n° 1 d ans le top des lecteurs, catégorie acteurs)

une année très occupée

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a commencé avec en tête le mot “indignation” –une notion que certains, prompts à railler le best-seller de Stéphane Hessel, ont pu juger floue, un peu naïvement morale, trop passive– qui de façon incontestable a su dire un sentiment très partagé, et même débloquer des réponses qui jusque-là peinaient à se formuler. L’année se termine plutôt avec le mot “occupation”. Etde l’un à l’autre, le passage d’un affect à une action. “Occupy”, le mot d’ordre est simple. L’action est minimale. Occuper un lieu, c’est toujours interrompre un passage, un flux, une circulation et provoquer la remise en cause d’un fonctionnement. Le mot est à entendre pleinement. Occupy rallie justement ceux, les 99 %, qui trouvent que l’on ne se préoccupe plus assez d’eux et ont décidé désormais de s’en occuper. Dans ce numéro best-of, on trouvera l’essentiel de ce qui nous a préoccupés, ou simplement occupé l’esprit et le corps en 2011. Retour donc sur l’espace libéré par les printemps arabes, la catastrophe de f*ckushima et le débat sur la sortie du nucléaire, l’affaire Galliano et la disparition d’Amy Winehouse, les turbulences

de l’euro, la fin de Berlusconi, la primaire socialiste…, commentés par des artistes, penseurs, politiques à qui nous avons donné la parole. Retour aussi sur les œuvres qui se sont le mieux occupées de nous cette année, en nous immergeant dans un claque suave (L’Apollonide de Bertrand Bonello), un L.A. de starlettes et d’espions (LeRavissem*nt de Britney Spears de Jean Rolin), un dance-floor sautillant et pop (Metronomy)… Pour ce numéro, deux compagnons de fêtes, à la fois proches et opposés, Valérie Donzelli et Kyan Khojandi. Proches parce qu’ils sont tous les deux comédiens et auteurs, comptent parmi les révélations les plus fortes de l’année et ont suscité ces derniers mois une énorme identification collective –l’une avec La guerre est déclarée, l’autre avec Bref. Opposés parce que leurs personnages racontent deux rapports à la vie antagonistes (mais dans lequel chacun pourra, selon le moment, se reconnaître): le garçon velléitaire et la fille belligérante ; celui qui n’occupe que la bordure de sa vie, s’excuse toujours un peu d’être là et celle qui entre en lutte contre la mort, le malheur, la maladie– occupy la vie. Bref, c’est à leurs côtés que le best-of 2011 est déclaré. Jean-Marc Lalanne 21.12.2011 les inrockuptibles 7

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prochain numéro en kiosque le 4 janvier No.838-839 du 21 décembre 2011 au 3 janvier 2012 couverture Valérie Donzelli et Kyan Khojandi par Philippe Garcia

12 les Inrocks en revue les couves de l’année

18 à la loupe Beyoncé, Le Caire, Kadhafi, les indignés

20 bilan politique

32

ils pensent déjà à 2012

24 débat d’idées le monde entier est en colère Ryan Gosling, Metronomy, Le Petit Journal: vos coups de cœur et vos coups de boule

32 ils racontent leur année

Philippe Garcia

26 vos préférés

Valérie Donzelli, Kyan Khojandi, Atiq Rahimi, Fránçois & The Atlas Mountains, Monica Bellucci, Frédéric Lordon, Christophe Blain, Aurélie Filippetti, Anna Calvi, Yto Barrada, Christian Louboutin, Arthur Nauzyciel

60 bas les masques 66 l’année cinémas

Misam Saleh/AFP

38

l’art s’empare de l’actu les films de 2011 nous ont fait voyager des confins du cosmos au plus profond de nous-mêmes

82 l’année jeux vidéo année très faste pour les bons jeux. Mais pour les studios, c’est la crise…

66

86 l’année musiques une déferlante de nouveaux sons et de nouveaux visages

106 l’année style où était le cool cette année ?

110 l’année livres

124 l’année arts devant un marché de l’art qui privilégie la consommation, les artistes ripostent

130 l’année scènes

110 134

Gabriel Bouys/AFP

de Marie Darrieussecq à Eric Reinhardt, elle fut dense et magnifique. Et aussi l’année BD

profitez de nos cadeaux spécial abonnés

p.158

134 l’année médias la télé, qui doit s’adapter au numérique, tire parti des nombreuses tragédies de l’année

Augustin Détienne/Canal+

nouveaux thèmes et vieilles censures

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les inrockuptibles 24 rue Saint-Sabin 75011 Paris tél. 01 42 44 16 16 fax 01 42 44 16 00 www.lesinrocks.com contact par mail: [emailprotected] ou [emailprotected] pour les abonnements, contactez la société DIP au 01 44 84 80 34

l’actualité du 21 décembre au 3 janvier

150

Lorena Fernandez

John Carder Bush

160

168 148 événement entretien avec Chantal Jouanno

149 événement Chirac, premier président condamné

150 LeHavre d’Aki Kaurismäki

152 sorties A Dangerous Method, Let My People Go!, Corpo celeste, LesBoloss…

160 Kate Bush l’Anglaise revient avec un hymne à la neige (et au silence)

162 chroniques Cœur De Pirate, Meshell Ndegeocello, Emilie Simon, Canyons…

168 Land’s End par Berlin + Lola Arias + Yael Ronen

170 best-of le meilleur des dernières semaines

rédaction directeur de la rédaction Bernard Zekri rédacteurs en chef Jean-Marc Lalanne, Arnaud Aubron, JDBeauvallet comité éditorial Bernard Zekri, JD Beauvallet, Serge Kaganski, Jean-Marc Lalanne chefs d’édition Sophie Ciaccafava, Elisabeth Féret, David Guérin grand reporter Pierre Siankowski reporters Marc Beaugé, Stéphane Deschamps, FrancisDordor, Guillemette Faure, Hélène Fontanaud, Marion Mourgue actu Géraldine Sarratia (chef de service), Anne Laffeter, Diane Lisarelli, Claire Moulène, David Doucet, Geoffrey Le Guilcher idées Jean-Marie Durand cinéma Jean-Marc Lalanne, Serge Kaganski, Jean-BaptisteMorain musique JD Beauvallet, Christophe Conte, Thomas Burgel, Johanna Seban, Ondine Benetier (coordinatrice) jeux vidéo Erwan Higuinen livres Nelly Kaprièlian expos Jean-Max Colard, Claire Moulène scènes Fabienne Arvers télé/net/médias Jean-Marie Durand (rédacteur en chef adjoint), Anne-Claire Norot cahier villes Alain Dreyfus collaborateurs D.Balicki, E.Barnett, S.Beaujean, G.Binet, R.Blondeau, M.-A.Burnier, N. Chapelle, M.Despratx, P. Garcia, J.Goldberg, O.Joyard, B.Juffin, C.Larrède, J. Lavrador, N. Lecoq, T.Legrand, H. Le Tanneur, P.Mouneyres, P.Noisette, V.Ostria, E.Philippe, A.Ropert, Y. Ruel, Y.Sadat, L.Soesanto, P.Sourd, B.Valsson lesinrocks.com rédacteur en chef Arnaud Aubron directrice déléguée aux activités numériques Fabienne Martin rédacteurs Diane Lisarelli, Camille Polloni, Thomas Burgel (musique) éditrices web Clara Tellier-Savary, Claire Pomares vidéo Basile Lemaire graphisme Dup assistante Geneviève Bentkowski-Menais responsable informatique Christophe Vantyghem lesinRocKslab.com responsable Abigail Ainouz photo directrice Maria Bojikian iconographes Valérie Perraudin, Naïri Sarkis photographe Renaud Monfourny secrétariat de rédaction première sr Stéphanie Damiot sr Fabrice Ménaphron, François Rousseau, Olivier Mialet, Christophe Mollo, Laurent Malet, Sylvain Bohy, Delphine Chazelas, Caroline Fleur, Amélie Modenese conception graphique Etienne Robial maquette directeur de création Laurent Barbarand directeur artistique Pascal Arvieu maquettistes Pascale Francès, Antenna, Christophe Alexandre, Jeanne Delval, Nathalie Petit, Nicolas Jan publicité publicité culturelle, directeur Olivier Borderie (livres, arts/ scènes) tél. 01 42 44 18 12, assisté de Paul-Boris Bouzin tél. 01 42 44 18 13 Cécile Revenu (musiques) tél.01 42 44 15 32 fax 01 42 44 15 31, Yannick Mertens (cinéma, vidéo, télévision) tél. 01 42 44 16 17 coordinatrice Evelyne Morlot tél.01 42 44 19 91 fax01 42 44 16 67 directeur commercial David Eskenazy tél.01 42 44 19 98 directeur et directrice de clientèle Laurent Cantin tél.01 42 44 19 94, Anne-Cécile Aucomte tél. 01 42 44 00 77 publicité web, directeur de clientèle Nicolas Zeitoun tél. 01 42 44 1669 chef de publicité junior Chloé Aron coordinateur Guillaume Farez tél.01 42 44 19 90 événements et projets spéciaux Laurent Girardot tél.01 42 44 16 08 assistante Sarah Carrier tél.0142441568 marketing, promotion directrice du développement Caroline Cesbron promotion Baptiste Vadon tél. 01 42 44 16 07 Nathalie Coulon (chargée de création) tél. 01 42 44 00 15 responsable presse/rp Elisabeth Laborde tél.01 42 44 16 62 responsable diffusion Julie Sockeel tél. 01 42 44 15 65 chef de projet Charlotte Brochard tél.01 42 44 1609 chef de projet marketing direct Victor Tribouillard tél.0142440017 assistante promotion marketing Margaux Scherrer tél.0142441668 service des ventes Agence A.M.E. contact: Otto Borscha ([emailprotected]) & Terry Mattard ([emailprotected], tél. 01 40 27 00 18, n° vert 0800 590 593 (réservé au réseau) abonnement DIP les inrockuptibles abonnement, 18-24 quai de la Marne 75164 Paris cedex 19 infos 01 44 84 80 34 ou [emailprotected] abonnement france 46numéros: 98€ standard, accueil ([emailprotected]) Geneviève Bentkowski-Menais, Walter Scassolini fabrication chef de fabrication Virgile Dalier, avec Gilles Courtois impression, gravure Roto Aisne brochage Brofasud routage Routage BRF printed in France distribution Presstalis imprimé sur papier produit à partir de fibres issues de forêts gérées durablement, imprimeur ayant le label “imprim’vert”, brocheur et routeur utilisant de “l’énergie propre” informatique responsable du système éditorial et développement Christophe Vantyghem assistance technique Michaël Samuel les éditions indépendantes sa les inrockuptibles est édité par la société les éditions indépendantes, société anonyme au capital de 2 211 059,61€ 24, rue Saint-Sabin 75011 Paris n° siret 428 787 188 000 21 actionnaire principal, président Matthieu Pigasse directeur général David Kessler assistante ValérieImbert directeur général adjoint Frédéric Roblot comptabilité Caroline Vergiat, Stéphanie Dossou Yovo, Sonia Pied administrateurs Matthieu Pigasse, Jean-Luc Choplin, LouisDreyfus, Bernard Zekri fondateurs Christian Fevret, Arnaud Deverre, SergeKaganski FSSDSFëG«S¶WO«JDOetrimestre 2011 directeur de la publication David Kessler © les inrockuptibles2011 tous droits de reproduction réservés

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les inrocks en revue Au fait, qu’est-il arrivé en 2011? par Stéphane Deschamps

janvier 788– C’est la nouvelle année, qu’on vous souhaite bonne, chaude et érotique avec Yasmine, jeune retraitée du p*rno capitonnée, qui raconte les cadences infernales. Sans transition, Sofia Coppola sort un nouveau film. Et on part en virée au pays du blues, le Mississippi. 789– Rien à voir avec la une du numéro précédent: l’abus de bidoche est dangereux pour la santé, nous explique l’écrivain Jonathan Safran Foer. Entretien au Paradis, avec Vanessa. On vous raconte la fabrication du groupe anglais Morning Parade, “futur monstre des stades”. Comme quoi on peut se tromper. 790– Grand entretien avec François Hollande, qui n’est à l’époque qu’un outsider parmi d’autres dans une course à la primaire menée par DSK. Et qui déclare: “Les bons calendriers ne tiennent pas aux personnes mais aux circonstances.” On refait la même en 2012 sur le perron de l’Elysée ? 791– Dans quelques mois, on ne parlera plus que de Lana Del Rey. Mais en ce début d’année, c’est l’Anna Calvi qui nous occupe. Et aussi, bien sûr, l’autre gros buzz du moment: les révolutions dans les pays arabes (après la Tunisie débarrassée de Ben Ali, l’Algérie).

février 792– Même avec un truc coincé dans la dent (un os de cygne noir ?), elle assure: vive Natalie Portman, danseuse dans Black Swan. Le chant du cygne, c’est pour Mike Skinner qui met fin à son groupe TheStreets. Et dans les rues du Caire, ça commence à chauffer. 793– Pas rasés mais pas rasoirs, Eric et Ramzy apportent un peu de bonne humeur dans une semaine pas drôle: les White Stripes se séparent, Edouard Glissant est mort. De l’autre côté de la Méditerranée, plus rien ne peut arrêter le tsunami révolutionnaire. 794–Et de deux: l’Egypte a dégagé son dictateur. Pour l’Algérie, ça s’annonce plus compliqué. Michel Gondry fait le foufou à Beaubourg. Rencontre avec The Shoes, dont l’album est fait pour marcher. Et une interview d’Olivier Besancenot. Hein, qui ça ? 795– Faut-il publier tout Céline (y compris les pamphlets antisémites) ? Faut-il encore écouter Radiohead, qui semble aujourd’hui plus intéressant pour ses techniques de vente (digital only) que pour son disque ? Tout le contraire de PJHarvey, qui nous parle musique plutôt que marketing. 12 les inrockuptibles 21.12.2011

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mars 796– Mode in France: notre numéro spécial s’intéresse à la création hexagonale. Merde in France: un juge enquête sur le marché des ordures à Marseille, pas très propre. Et Henri Guaino nous raconte son réveillon en Libye, où il n’a pas rencontré Kadhafi (voir aussi n°809). 797– Une semaine après Annie Girardot, on enterre la pin-up vintage Jane Russell. En une, un dossier “camping chez l’habitant”: quand la flambée des loyers ne permet plus aux jeunes de trouver un logement. Les Black Keys n’ont pas ce problème: ils se sont installés à Nashville pour préparer leur prochain album. 798– Nicolas Hulot, candidat à la candidature, Ushuaïa spécial Inrocks: “Pfuit… je suis à New York avec Yelle… crrriii… à Buenos Aires avec des écrivains argentins… chhh… à Porto avec Manoel de Oliveira… pfff… à Nashville avec Harmony Korine”. Et bientôt tout seul aux oubliettes. 799– Encore un spécial mode trois semaines après le précédent ? Pas vraiment, non: c’est la mode en mode “down”, suite au pétage de plombs de Galliano. Toujours à la mode, Julien Doré sort son deuxième album. Et hors-mode, Stanley Kubrick revient. 2011, l’odyssée… 800– Coup de projo sur Jamel, moins seul en vrai que sur scène. L’occasion d’un dossier qui répond au sale débat du moment sur la laïcité. Le mois de mars aura été fatal aux actrices: c’est Elizabeth Taylor qui s’en va.

avril 801 – En avril, Traci Lords n’a pas peur de se découvrir d’un fil: le p*rno est de retour. Et l’érotisme aussi, dans le nouvel album des Kills. Moins sexy mais intéressant quand même: l’histoire du couple France-Allemagne, qu’on n’appelle pas encore Merkozy. 802– Fin novembre, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant rajoutait une couche d’ignominie à la dérive extrême-droitière du gouvernement. On lui avait pourtant demandé de partir. On lui a même envoyé des cartes postales pour ça. Sinon, la pop renaît dans le nouvel album de Metronomy. 803– Les Inskyrocks reviennent sur le phénomène de la radio Skyrock, dont le fondateur est débarqué. Très loin de là, du côté de l’art et du beau, on vous chante les louanges de la chanteuse Emmanuelle Parrenin et de la cinéaste Céline Sciamma (Tomboy). 804– L’épidémie de décès chez les actrices reprend: la belle Marie-France Pisier nous quitte. Immortelle, la maison Gallimard fête ses 100ans. Résurrection de Gil Scott-Heron (pas pour longtemps), et commémoration de mai81, raconté aux enfants par Jack Lang.

mai 805– “En mai, chacun fait qu’est-ce qui lui plaît !”, aurait dit Johnny H. en se découvrant en couve des Inrocks. Moins riches mais plus nobles, les Fleet Foxes sortent un deuxième disque de folk panoramique. Oussama Ben Laden, qui n’était pourtant pas une actrice âgée, est décédé. 806– Déjà le mois de mai, et on n’avait pas encore fait la couve avec Sean Penn. C’est réparé à l’occasion du dossier pré-Festival de Cannes. Nostalgie d’un temps où Bashung et Noir Désir étaient vivants, avec un entretien croisé inédit de l’an 2000. 807– Alors que l’affaire DSK fait trembler la France, nous interviewons Ségolène Royal qui s’y voit déjà. C’est pour de vrai, ce n’est pas du cinéma, ce n’est pas au Festival de Cannes. En revanche, JoeyStarr policier, c’est du cinéma, pour le film de Maïwenn. 808– Fin du Festival de Cannes, and the winner is The Tree of Life de Terrence Malick, avec Sean Penn, qu’on a failli remettre en couve. Puis on a opté pour un dossier PS, qui devra bien tourner la page DSK. 21.12.2011 les inrockuptibles 13

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juin 809– En couve façon baston, Arnaud Montebourg et Henri “Greetings from Tripoli” Guaino débattent République sans se foutre sur la gueule, c’est pas le genre. Au rayon charcuterie, la saga des femmes LePen. Et Gérard Longuet nous raconte ses vacances en Tunisie. 810– Nom de groupe inconnu sur une photo de manif devant une station de métro anglaise: cette couve mérite un debriefing. En vrai, WU LYF est un groupe anglais qui sort de l’underground. Voilà. De l’art et un grand écart, avec le street artist Invader et le collectionneur François Pinault. Mais sinon, on dit Wu Lif ou Wu Laïf ? 811– Numéro collector: la couve, sur la légalisation du cannabis, s’inspirait du paquet d’une célèbre marque de cigarettes. Qui n’a pas trop apprécié la blague. Du coup, on n’a pas le droit de vous la montrer. 812– Un petit nerveux en costume de président: ce n’est pas Sarkozy mais le bien plus sympathique Vincent Lindon dans un film diablement intelligent d’Alain Cavalier. Long reportage sur les Frères musulmans d’Egypte, et rencontre insolite avec l’orchestre symphonique de Kinshasa. 813– Clin d’œil à Michel Gondry, pour un dossier sur les liens entre high-tech et do-it-yourself. On est sympas, on rembobine: retour sur le dandy punk Jacno et la figure masquée de Fantômas. Et le début de notre série d’été sur les clubs mythiques: cette semaine, c’est pilules et Hacienda.

juillet 814– Un grand homme nous parle et c’est beau: pas DSK, mais Michael Lonsdale. Il entre au musée: pas DSK, mais le skate. Il attire les clubbeurs allemands pour des week-ends de décadence: pas DSK, mais le Berghain de Berlin. 815– Pourquoi les livres ne se vendent plus, demande-t-on en couve. Parce que les gens regardent trop la télé, parce qu’ils font trop de jeux vidéo, parce qu’ils sortent trop au Pulp ou au Festival d’Avignon, parce qu’ils ont trop écouté l’album reggaecool d’Hollie Cook. C’est en tout cas la conclusion qu’on a pu tirer d’une lecture approfondie de ce numéro. 816– C’est l’été, il faut boire avant d’avoir soif. En vrai, l’été commence tellement pourri qu’il faut boire pour oublier. Surtout le jeune, explique une grande enquête. Rien à voir avec ce qui précède: on vous présente Lulu Gainsbourg, fils de Serge, avant le tsunami médiatique automnal. 817-818-819– Ce numéro tripleX spécial sexe de l’été, on le voulait comme chaque année: léger, profond et curieux. Finalement, on aurait pu mettre une culotte noire en couve: Amy Winehouse est morte, on lui rend hommage.

août 820– On ne sait pas si elle a déjà lu un livre, mais Britney Spears se retrouve héroïne de la rentrée littéraire, dans un roman de Jean Rolin. Anarchy in the UK: récit d’une semaine d’émeutes en Angleterre. Et on commence à parler d’une nouvelle icône pop: Lana Del Rey… 821– Cinéfils et fille, Chiara Mastroianni et Louis Garrel se partagent la couve de rentrée ciné. Visite à Bagdad de l’ancien palais de Saddam Hussein, où aucun ministre français n’a jamais passé ses vacances, c’est juré. Et le grand retour dans l’actu de Beirut –le groupe, pas la ville. 822–Sarkozy rentre de vacances tout nu, avec ses valises sous les yeux, parce que c’est la crise. Enfin, ce n’est que le début. Echappons-nous avec les Touaregs de Tinariwen, ou dans la Russie de Limonov avec Emmanuel Carrère. 14 les inrockuptibles 21.12.2011

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septembre 823 – Joseph Mount a mis le K-Way car une pluie de louanges s’abat sur son groupe Metronomy. Commémorons les 10ans du 11Septembre autrement, avec des œuvres d’artistes d’origine arabe. 824– Ce poing fermé, ce n’est pas notre numéro mode spécial gants, mais le grand come-back de la révolte populaire. Au rayon culture, Björk fait la folle avec un nouvel album, Blutch se révèle cinéphile et Buenos Aires débarque à Paris dans un pas de danse. 825– Les Inrocks consacrent leur une au phénomène des bébés nageurs. A moins qu’il ne s’agisse d’un hommage au groupe Nirvana, dont le Nevermind a 20ans. Ou alors, c’est rapport à un dossier sur la corruption dans la politique française. On se demande. 826– Spécial mode automne-hiver. Que faut-il porter ? Un loup, sans rien dessous. Mais pour l’usine nucléaire de laHague, où nous avons enquêté, il est quand même plus chic d’enfiler une combinaison. Et quand le Sénat passe à gauche, c’est la droite qui va se rhabiller.

octobre 827 – Un numéro mode spécial semelles ? Que nenni: c’est pour dire qu’à l’approche de la primaire socialiste, le progrès est en marche. En revanche, merci de ne pas marcher sur Ryan Gosling, acteur chouchou de ces dames. 828– On aurait pu refaire la même couve que la semaine dernière, avec Ségolène Royal sous la semelle. Mais on n’est pas comme ça. C’est la semaine du duel Hollande-Aubry. Pas un duel, mais un entretien croisé entre Orelsan et Virginie Despentes, avec des gros mots, mais pas trop. 829– On va faire bref: une grande expo à Paris pour la photographe Diane Arbus, le retour de Justice en monstre prog, le génie de Fritz Lang autour de Metropolis, Libé en BD, Marilyn Monroe en livres, le retour de Noel Gallagher et le phénomène télé de la rentrée, Bref. 830– Un anniversaire –Les Inrocks ont 25ans– quatre couves au choix (Björk, Houellebecq, Morrissey, Lynch), 6grands entretiens, 25images qui ont fait l’histoire de ce journal, et 25amis qui nous parlent en long et en large des 25ans à venir.

novembre 831– Il n’a pas l’air commode (Tahar ta gueule à la récré ?), mais Tahar Rahim est quand même l’acteur du moment. La saga Phil Spector racontée par ses chanteuses. Et reportage à Mayotte, qui a mal à la France. 832– En temps de crise, on peut donner la parole à ceux qui la subissent. Ou fuir la réalité avec M83 en Californie, dans un livre sur les road-movies, ou dans les jeux vidéo exposés au Grand Palais. Et une enquête séminale et insolite sur les donneurs de sperme en Amérique. 833– Attention, ce numéro contient des images pouvant heurter la sensibilité des jeunes lecteurs. On ne parle pas là de BHL dans un dossier sur l’engagement des intellectuels, mais plutôt de la série gore The Walking Dead. 834– Lulu, le fils Gainsbourg, converse avec sa demi-sœur Charlotte. Pour le reste du sommaire, ça sent la crise à plein nez: le burn-out des profs, la chasse à la fraude sociale et la lutte des classes au cinéma. 835– Plus grande morte que vivante (c’est pas dur), Amy Winehouse est de retour avec un album posthume et romantique. La crise toujours, mais du disque cette fois, abordée dans un dossier sur le rachat de la major EMI. Et un autre dossier sur le high-tech tactile.

décembre 836 – Mignonne, allons voir si la rose est fanée: scoop sur les caisses noires du PS dans le 6.2. Les Black Keys de retour avec l’album rock de l’année, beau comme un camion. Et portrait de l’artiste chinois dissident Ai Weiwei, ouais ouais. Noël approche: on n’oublie pas le supplément cadeaux. 837– Sous le titre “Qu’estce qu’elle a ma gueule ?”, ce n’est pas Johnny mais Joly. Numéro voyageur, d’Israël à la Syrie, et même la Lune avec Scorsese. 16 les inrockuptibles 21.12.2011

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2011 à la louche Cette année Beyoncé a fait un bébé, Kadhafi a cessé de régner et, avec violence, poésie ou ironie, beaucoup se sont indignés. par Diane Lisarelli

crazy in cloque Fin août, sur la scène des MTV Video Music Awards, Beyoncé, plus vêtue qu’à son habitude, termine son morceau soupesque Love on Top et s’exclame: “Je veux que vous sentiez l’amour qui grandit en moi.” Une étrange demande suivie d’un arrêt soudain de la musique, d’un déboutonnage de veste de smoking en règle et d’un jet de micro (occasionnant un gros “POC !”). Tout ça pour quoi ? Pour finir par se caresser le ventre comme quelqu’un qui aurait bien mangé mais avec un regard appuyé du genre “hey, en fait je suis enceinte et vous allez en entendre parler bien longtemps” (la preuve). Explosion de joie dans la salle, le sujet devient immédiatement le plus discuté de l’histoire sur Twitter

–dépassant le record jusque-là détenu par feu Michael Jackson. Depuis, des doutes sur sa grossesse ont été émis par un certain nombre d’esprits chagrins (qui soupçonnent la femme de Jay-Z d’avoir engagé une mère porteuse) en mettant l’accent sur une forme de ventre étrange ou des erreurs de dates dans les interviews. Aujourd’hui, ceux qui se sentent concernés ne savent plus démêler le vrai du faux pendant que les principaux intéressés arborent un sourire narquois. S’agissant de l’enfant de deux des plus grosses stars du rap et du r’n’b, icônes de la pop culture et chantres du sample et du plagiat assumé, la chose devient là presque digne d’intérêt.

tous frères ?

Nevine Zaki

Février, sur la désormais célèbre place Tahrir, des musulmans font leur prière du vendredi tandis que des chrétiens ont pris soin de former autour d’eux une chaîne de protection. Plus tard, les premiers leur retourneront la faveur. Cette photo, apparue sur Twitter, n’a pas manqué d’émouvoir les cœurs d’artichaut. Et fait du bien à tous les autres en cette année où les mots “christianophobie” et “islamophobie” n’ont cessé de résonner de toutes parts. Ici, cette bulle pacifique au milieu de scènes de violence donne à voir (à défaut de laïcité) un œcuménisme bienvenu –la foule priera régulièrement ensemble pour les morts pendant les manifestations. Dixmois plus tard, la situation est plus confuse que jamais et les Frères musulmans discrets pendant la révolution remportent les législatives (80sièges sur 168) contribuant à faire monter à 113 le nombre de sièges attribués aux diverses formations islamistes. La crise politique, et les questions religieuses qu’elle pose, est loin d’être terminée. 18 les inrockuptibles 21.12.2011

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le choc du tyran

Bryan Smith/ZUMA/REA

Philippe Desmazes/AFP

Au contraire de BenLaden, dont le cadavre ne sera pas dévoilé, la sanglante photo de Kadhafi mort vient grossir la liste des clichés célèbres de cadavres de dictateurs –après Mussolini, Saddam Hussein ou Ceausescu. Il s’agit de la photo d’un écran, celui de l’appareil personnel d’un rebelle, prise par un photographe de l’AFP. En tant que “saisie sur le vif”, la scène entre dans la catégorie dite des “photos chocs”, celles qui selon Roland Barthes “suspendent le langage et bloquent la signification”. Elle est là pour une seule chose: “donner la certitude que la scène a réellement eu lieu”. Assurer que le tyran mégalo a bien été mis hors d’état de nuire. Son visage et son apparence si travaillée ne lui appartiennent plus. A l’obscénité de la mise en scène de son pouvoir largement marqué par un singulier culte de la personnalité semble donc répondre triomphalement et sans procès l’obscénité des images de sa mort. Œil pour œil.

Stéphane aisselles Occupy Wall Street a étrangement donné au mouvement des indignés une étiquette “cool”. A New York, Kanye West ou Lee Ranaldo (Sonic Youth) ont foulé le pavé de Zuccotti Park, square QG devenu attraction touristique. Pour observer, redonner le moral aux troupes ou se donner une image pseudo-engagée, curieux et figures du star system s’y sont relayés. Au point que Miley

Cyrus (ex-égérie Disney, chanteuse pour minettes et surdouée du pole dance) se sente obligée d’apporter son soutien au mouvement dans le clip d’un remix d’un de ses (atroces) morceaux. La récupération à son comble. Reste un véritable mouvement de protestation (qualifié par Naomi Klein de “plus belle chose au monde en ce moment”) dont le discours se distingue

par une certaine ironie. La grande majorité des pancartes étant marquées par un humour bien américain qu’on croirait sorti d’une série. A l’image de ce jeune homme aux bras musclés, le 30septembre à New York, dont le message pourrait approximativement se traduire comme tel: “J’aime l’humanité: trouvons une putain de solution ensemble !” Ok. 21.12.2011 les inrockuptibles 19

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Un Président pas encore tout à fait candidat, des alternatives à droite qui éclatent comme des bulles de savon, une droitisation assumée… Nicolas Sarkozy a passé son année à préparer la campagne de 2012.

Michel Euler/AFP

en 2011, la droite a préparé 2012… Nicolas Sarkozy Devant la centrale nucléaire du Tricastin, le chef de l’Etat se pose en protecteur des Français, défenseur d’une filière industrielle stratégique que François Hollande est accusé de vouloir démanteler. Un Président en campagne qui, déjà, ne retient plus ses coups.

Hamilton/RÉA

Q

ue retiendra-t-il de 2011 ? Uneopinion qui continue de le bouder, malgré tous ses plans de sauvetage de l’Europe, de l’euro, de l’emploi. Malgré la guerre en Libye. Nicolas Sarkozy a passé une nouvelle année en enfer mais il voit des raisons d’espérer à l’orée de 2012. A l’UMP, on commence même à y croire. Nicolas Sarkozy n’entrera pas en campagne avant février, pour laisser François Hollande “s’épuiser” seul sur le terrain. La droite canarde le socialiste sur le nucléaire, le droit de vote des étrangers, la sécurité, les promesses intenables. La droitisation du discours est assumée pour tenter de gonfler le score du sortant au premier tour. Toutes les excellences de la majorité sont mobilisées: d’Alain Juppé à Jean-Pierre Raffarin, de François Fillon à Jean-François Copé, en passant par ceux que Nicolas Sarkozy espère enrôler dans son armée au nom de l’union nationale contre la crise: Jean-Louis Borloo, Dominique de Villepin… Les centristes François Bayrou et Hervé Morin font de la résistance. Pour l’instant. De2011, à droite, on retiendra aussi le méchant de l’année: le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, bras droit très droitier du chef de l’Etat. Hélène Fontanaud

Marine Le Pen L’héritière de Jean-Marie Le Pen pense que tout la sert, et notamment la crise de l’euro –un tiers des Français serait favorable à un retour au franc. Elle muscle son discours social pour parvenir au second tour, comme son père en 2002. 21 avril à l’envers ou à l’endroit, tout lui va !

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Dominique de Villepin

Rüdy Waks

Hamilton/RÉA

Le hussard du chiraquisme a eu une année pourrie. Même si l’ancien Premier ministre est sorti blanchi du second procès Clearstream, la justice continue de refermer ses serres sur l’ex-rival de Nicolas Sarkozy: il doit être entendu en janvier dans l’affaire Karachi. L’horizon politique s’est de nouveau obscurci.

François Bayrou Candidat encore et toujours. Avec le rêve fou de renverser la table pour de bon, cette fois. Mais de l’ombre des 18 % de 2007, il ne reste pas grand-chose en cette fin 2011. Et s’il n’est pas au second tour, François Bayrou devra cette fois choisir entre son camp historique, la droite, et la tentation de la rupture, vers la gauche, dans un grand front de l’alternance. On n’y est pas.

Sylvain Thomas/AFP

Jean-Louis Borloo et Hervé Morin L’un y va, l’autre pas. Jean-Louis Borloo a renoncé à la course élyséenne en octobre. “Libre et engagé”, il veut peser sur la campagne de Nicolas Sarkozy tout en faisant les yeux doux à François Hollande. Hervé Morin s’est lancé fin novembre et rêve lui aussi de se rendre incontournable auprès du Président sortant en ramenant dans le giron de la majorité les électeurs tentés par Bayrou. 21.12.2011 les inrockuptibles 21

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…et la gauche a choisi ses candidats Après le choc de la chute de DSK, les socialistes ont choisi François Hollande, avocat d’un réformisme réaliste. L’antisarkozysme sera-t-il plus fort que les éternelles tentations de la division ?

L

Jean-Luc Mélenchon “Je suis le bruit et la fureur.” En2011, Jean-Luc Mélenchon, ancien trotskiste, ancien socialiste, s’est imposé dans la famille communiste. Il fait feu sur le quartier général en traitant François Hollande de “capitaine de pédalo” et veut créer la surprise au premier tour. La crise donne une tribune à ce tribun.

David Balicki

a campagne présidentielle du PS a basculé le 14mai 2011, avec l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn à New York. Prince des sondages depuis des mois, le patron du FMI a laissé sa famille politique en état de choc. Tous déstabilisés, sauf un: François Hollande, parti en campagne depuis deuxans, officiellement depuis la fin mars. Opiniâtre, le député de Corrèze a mené sa barque prudemment, s’interdisant toute salve contre ses concurrents dans la primaire: Martine Aubry, Ségolène Royal, Arnaud Montebourg, Manuel Valls et Jean-Michel Baylet. Les difficultés ont commencé dès le lendemain de sa désignation, le 16octobre: disputes avec les écologistes, bagarres avec Jean-Luc Mélenchon, tensions dans une équipe de campagne pléthorique. Toutdevrait s’apaiser à la mi-janvier, avec la présentation du programme, veut croire le candidat, qui est un optimiste de caractère. Même si François Hollande continue de planer dans les sondages, la crise dope Jean-Luc Mélenchon, et Eva Joly, contestée chez les écolos, est bien décidée à se faire entendre. Dixans après, François Hollande compte sur le spectre du 21avril 2002 pour appeler au vote utile au premier tour. H.F.

Philippe Huguen/AFP

François Hollande et Eva Joly Le socialiste aurait préféré être le candidat unique de la gauche pour affronter Nicolas Sarkozy dans les meilleures conditions. Mais EvaJoly s’accroche au scooter de François Hollande. Pour la nouvelle gauche plurielle, il faudra attendre les législatives de juin.

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Guillaume Binet/M.Y.O.P

au soir de la primaire socialiste

Andrew Gombert/AFP

Ils la veulent cette fois. La victoire leur a échappé aux présidentielles de 1995, 2002 et 2007. En 2012, toute une génération de socialistes a rendez-vous avec son destin. Ce dimanche 16octobre, sorti vainqueur de la primaire, François Hollande promet de faire de 2012 une victoire aussi belle que celle de François Mitterrand, en 1981. Mais la crise limite déjà le champ du possible.

(sans) DSK Philippe Poutou Pas facile de succéder à Olivier Besancenot. Pas facile non plus d’être un ouvrier dans le monde politico-médiatique. Seul représentant de cette classe populaire que les grands partis convoitent pour la présidentielle, l’ouvrier de Ford souffre aussi de l’omniprésence de Jean-Luc Mélenchon.

Baptiste Fenouil/RÉA

Choc, désastre, séisme. Et tempête médiatique. Pendant des mois, Dominique Strauss-Kahn a fait la une des journaux. Favori des sondages, joueur d’échecs émérite, rempart face à la folie des marchés financiers. L’ex-espoir de la gauche pour 2012, coupable d’une insoutenable légèreté, est désormais prisonnier de la rubrique des faits divers. Jusqu’à la nausée.

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refonder l’économie Sur fond de crise de l’euro et de la dette des Etats, de nombreux économistes, notamment ceux qui s’autodésignent comme “atterrés”, remettent en cause les pouvoirs exorbitants de la finance. Frédéric Lordon (lire p.44), André Orléan, Philippe Askenazy, Paul Jorion et d’autres iconoclastes déconstruisent les fondements d’un système néolibéral à l’agonie et proposent une refondation de la pensée économique. Unepensée qui intègre dans ses principes fondateurs la volonté, par exemple, de n’ouvrir les marchés boursiers qu’une fois par trimestre pour neutraliser les effets de la spéculation financière, de limiter les transactions financières à celles répondant aux besoins de l’économie réelle, d’accroître l’effort budgétaire en matière d’éducation ou d’investissem*nts, de réduire les dettes publiques en faisant payer ceux qui ont bénéficié des bulles financières et immobilières… Les propositions de riposte à la crise et de sortie du capitalisme financier existent, par-delà les débats qui persistent sur des sujets comme la “démondialisation”. Lechantier de la révolution intellectuelle se bâtit sur cette critique de “l’emprise de la valeur financière” et ce besoin de “définanciariser” l’économie, selon l’expression d’André Orléan, auteur d’un essai fécond, L’Empire de la valeur.

l’indignation court les rues

eau dans le gaz à tous les étages La crise, les révolutions arabes, le mouvement des indignés, la relégation des classes sociales défavorisées, l’espérance trahie de la jeunesse… Les combats de l’année 2011 dessinent les contours d’un monde en colère.

Xavier Popy/RÉA

débat d’idées

Prenant de plein fouet la crise, le mouvement des indignés, créé en Espagne en mai, s’est étendu à près de 1 000villes dans 82pays. Mondialisé, cet élan révolutionnaire qui tire son nom du livre de Stéphane Hessel forme le symptôme d’un système politique en bout de course. Faceà cette défiance citoyenne, le politologue Bertrand Badie évoque “la fin de l’histoire moderne de l’homme politique”. Les indignés, à travers leur mode de participation horizontal, sans hiérarchie, spontanéiste, incitent à repenser les conditions du débat politique, seréconcilier avec la société, faire renaître le débat public, contre la vision des experts qui évacue les peuples. L’absence d’un quelconque débat public sur la question du nucléaire en France, après f*ckushima, constitue un exemple parmi d’autres de ce déficit démocratique. En occupant les rues, en se réappropriant les villes, y compris à New York avec

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se réconcilier avec la société, faire renaître le débat public, contre la vision des experts qui évacue les peuples l’occupation symbolique de Wall Street, les indignés prolongent le formidable mouvement libérateur des peuples arabes, dont la place Tahrir, au Caire, reste le symbole fort. Si leurs revendications nedébouchent pas sur un programme précis, en dehors de quelques principes (élimination des privilèges, revenu minimum d’existence, régulation de la finance…), elles sont le signe d’un souffle révolutionnaire disséminé, aux perspectives encore incertaines mais explosives.

le déficit de représentation politique Au-delà des indignés, la question du déficit de représentation politique s’est concrétisée dans la nouvelle attention déployée pour les “classes sociales” populaires. Même si, comme le soulignait dans Le Monde la romancière Annie Ernaux, “les classes sociales n’ont jamais disparu”, leurs enjeux politiques sont réapparus à gauche, dans la perspective de la présidentielle. Réinvestissant la question sociale, la gauche veut représenter et défendre les catégories populaires (13millions d’ouvriers et d’employés) qu’elle avait délaissées, notamment les populations rurales et périurbaines, analysées par le géographe Christophe Guilluy. La question de l’égalité (Pierre Rosanvallon) et en miroir celles de la sécession des riches et de la justice fiscale a traversé le débat public, qui comme le soulignait l’historien Tony Judt, doit se centrer sur les injustices de classe et les “privilèges qui bouchent les artères de la démocratie”. L’accès inégal aux ressources en tout genre forme à nouveau le point de départ de toute critique progressiste. Une critique qui pourrait mettre fin à la vague droitière qui a gagné la majorité des pays occidentaux, et désamorcer, comme y invitent Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin dans Voyage au bout de la droite, les “paniques morales” qui conduisent à la critique de la raison progressiste, au conservatisme fiscal antitaxe, au conservatisme social mobilisé sur les questions de société et de religion…

le féminisme dans tous ses ébats Sous l’effet mécanique de l’affaire DSK, les débats houleux, au cours desquels les féministes dénoncèrent les stéréotypes

machistes, furent aussi l’occasion de mesurer les fractures internes au féminisme lui-même. Une opposition sedessina entre les tenantes d’un féminisme universaliste et intraitable sur la question de l’égalité (Joan W.Scott), et celles défendant la singularité française, les plaisirs asymétriques de la séduction, la “surprise délicieuse des baisers volés” (Claude Habib, Irène Théry). Cette polémique éclaira d’un certain point de vue la persistance de vifs débats sur le thème de la domination masculine, et au-delà, sur les “études de genre”, désormais intégrées dans les manuels scolaires, et dont les critiques virulentes à droite furent un autre indice inquiétant du trouble que continue de susciter la question théorisée par Judith Butler.

haro sur les écolos Les écologistes, en dépit de la confirmation de leurs visions politiques portées depuis des années, furent aussi sur le gril. Outre les discussions sur la stratégie de ses leaders, la posture et le discours écologiste dérangent encore, et pas que Claude Allègre. Dans son pamphlet, Le Fanatisme de l’Apocalypse, l’écrivain Pascal Bruckner s’en prit violemment aux écolos, accusés de ne vouloir que “le châtiment de l’homme”: un symptôme plus éclairant qu’éclairé d’un nouvel “écolo-bashing”, lui-même traversé d’arguments variés qui sedégonflent devant le principe de réalité du dérèglement climatique et de l’accident nucléaire.

la jeunesse et la crise éducative Alors que le système scolaire, converti aux méthodes de gestion de l’entreprise, selon le sociologue Christian Laval dans LaNouvelle Ecole capitaliste, traverse une grave crise de confiance, le sort de la jeunesse reste un impensé de notre système politique. Un “mal-être collectif” la définit selon le sociologue Louis Chauvel. Chômage record, précarisation, développement de poches de travail quasi gratuit, nouvelle pauvreté, absence d’horizon lisible… Un jeune sur quatre vit en dessous du seuil de pauvreté. Réactiver la promesse républicaine pour permettre à chaque génération de vivre mieux que la précédente: la gauche a devant elle un chantier imposant. Jean-MarieDurand 21.12.2011 les inrockuptibles 25

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les top des lecteurs Ryan Gosling, Metronomy, Emmanuel Carrère, Breaking Bad, WU LYF, DSK: vos coups de cœur et vos coups de boule2011.

actu

Bryan Adams

vos événements 1 les révolutions arabes 2 la catastrophe de f*ckushima 3 l’affaire DSK 4 ex aequo les morts de Ben Laden et d’Amy Winehouse 5 la crise de la dette 6 la chute de Kadhafi 7 le XV de France champion du monde dans notre cœur 8 la mort de Steve Jobs 9 la mort de Peter Falk 10 l’anniversaire de ma mamie

événements la mort d’Amy Winehouse

vos personnalités 1 DSK 2 Amy Winehouse 3 Steve Jobs 4 DJ Mehdi 5 Les indignés 6 Occupy Wall Street 7 Anna Calvi 8 ex aequo Stéphane Hessel et Lady Gaga 9 Marcel Ramirez 10 Geórgios Papandréou

cinémas

actrices Natalie Portman, ici dans Black Swan de Darren Aronofsky

7 Tahar Rahim dans Love and Bruises 8 Vincent Cassel dans Black Swan et LeMoine 9 François Cluzet dans Intouchables 10 Sean Penn dans The Tree of Life et This Must Be the Place

vos actrices 1 Natalie Portman dans Black Swan 2 Kirsten Dunst dans Melancholia 3 Kate Winslet dans Contagion et Carnage 4 Carey Mulligan dans Drive et Shame 5 Charlotte Gainsbourg dans Melancholia 6 Mélanie Laurent dans Les Adoptés 7 Catherine Deneuve dans Les Bien-Aimés et Les Yeux de sa mère 8 Chiara Mastroianni dans Les Bien-Aimés 9 Léa Seydoux dans Minuit à Paris et Mission:Impossible –Protocole fantôme 10 Valérie Donzelli dans La guerre est déclarée

vos acteurs

vos films

1 Ryan Gosling dans Drive, Les Marches du pouvoir et Crazy, Stupid, Love 2 Michael Fassbender dans Shame, X-Men – Le commencement et A Dangerous Method 3 Jean Dujardin dans TheArtist 4 Omar Sy dans Intouchables 5 Johnny Depp dans Pirates des Caraïbes et Rhum Express 6 ex aequo JoeyStarr dans Polisse et Jérémie Elkaïm dans La guerre est déclarée

1 Drive de Nicolas Winding Refn 2 Black Swan de Darren Aronofsky 3 Melancholia de Lars von Trier 4 Polisse de Maïwenn 5 The Tree of Life de Terrence Malick 6 La guerre est declarée de Valérie Donzelli 7 La piel que habito de Pedro Almodóvar 8 Minuit à Paris de Woody Allen 9 Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache 10 Tomboy de Céline Sciamma

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François Rousseau

acteurs Ryan Gosling 21.12.2011 les inrockuptibles 27

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jeux vidéo

jeux vidéo Angry Birds

1 Angry Birds 2 The Legend of Zelda 3 L. A. Noire 4 Batman: Arkham City 5 Uncharted 3 –L’illusion de Drake 6 Fifa 12 7 Mario Kart 8 Rayman Origins 9 Portal 2 10 Assassin’s Creed: Revelations

musiques vos albums 1 The English Riviera de Metronomy 2 Suck It and See d’Arctic Monkeys 3 Blood Pressure de The Kills 4 Go Tell Fire to the Mountain de WU LYF 5 Crack My Bones de TheShoes 6 E volo love de Fránçois & The Atlas Mountains 7 Happy Soup de Baxter Dury 8 In the Grace of Your Love de The Rapture 9 Let England Shake de PJ Harvey 10 Bon Iver de Bon Iver

Karim Sadli

vos révélations

musiques Woodkid

1 WU LYF avec Go Tell Fire to the Mountain 2 Lana Del Rey avec Video Games 3 Woodkid avec Iron 4 Anna Calvi avec Anna Calvi 5 Colours In The Street avec Euphory 6 Julien Doré avec Bichon 7 James Blake avec James Blake 8 La Femme avec Sur la planche 9 Cults avec Cults 10 SBTRKT avec SBTRKT

vos singles

musiques Julien Doré

1 Iron de Woodkid 2 The Look de Metronomy 3 Don’t Sit down Cause I’ve Moved Your Chair d’Arctic Monkeys 4 Video Games de Lana Del Rey 5 Midnight City de M83

6 Pumped up Kicks de Foster The People 7 Easy de Colours In The Street 8 Rearrange de Miles Kane 9 Future Starts Slow de TheKills 10 Heavy Pop de WU LYF

vos concerts 1 Booba à Bercy 2 Julien Doré à l’Olympia 3 Sufjan Stevens à l’Olympia 4 Arctic Monkeys à la Cigale 5 Arcade Fire aux Eurockéennnes 6 The Kills à l’Olympia 7 ex aequo Metronomy à la Cigale et WU LYF au Festival des Inrocks 8 ex aequo The Strokes au Zénith de Paris et Shaka Ponk au Zénith de Paris 9 Patti Smith à l’Olympia 10 The Horrors à Rock en Seine

vos clips 1 Suicide Social d’Orelsan 2 Menace de mort de Youssoupha 3 RaelSan d’Orelsan 4 Stupeflip vite !!! de Stupeflip 5 Plus rien ne m’étonne d’Orelsan 6 La Menuiserie de Stupeflip 7 Suck It and See d’Arctic Monkeys 8 Gaelle de Stupeflip 9 Iron de Woodkid 10 La Source de 1995

livres vos romans 1 Limonov d’Emmanuel Carrère 2 1Q84 d’Haruki Murakami 3 Freedom de Jonathan Franzen 4 L’Enculé de Marc-Edouard Nabe 5 Le Club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia 6 Le Ravissem*nt de Britney Spears de Jean Rolin 7 ex aequo Jayne Mansfield 1967 de Simon Liberati et L’Armée furieuse de Fred Vargas

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web 8 Le Système Victoria d’Eric Reinhardt 9 Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer 10 La Vie sexuelle des superhéros de Marco Mancassola

vos bd

Johan Persson

bd Blast

scènes Artifact

1 Blast de Manu Larcenet 2 Quai d’Orsay – Chroniques diplomatiques de Christophe Blain et Abel Lanzac 3 Tu mourras moins bête de Marion Montaigne 4 Les Autres Gens de Thomas Cadène 5 Polina de Bastien Vivès 6 Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle 7 Les Ignorants d’Etienne Davodeau 8 Portugal de Cyril Pedrosa 9 3” de Marc-Antoine Mathieu 10 Journal d’un journal de Mathieu Sapin

scènes 1 Artifact de William Forsythe 2 Lulu de Frank Wedekind, par Robert Wilson et Lou Reed 3 Cesena d’Anne Teresa De Keersmaeker 4 Au moins j’aurai laissé un beau cadavre de Vincent Macaigne 5 (M)imosa de Cecilia Bengolea et François Chaignaud

expos web la vidéo avec Jade Foret et Arnaud Lagardère

télé Le Petit Journal (ici Catherine Deneuve)

1 Stanley Kubrick à la Cinémathèque française 2 Diane Arbus au Jeu de paume 3 Basquiat au musée d’Art moderne de la Ville de Paris 4 Metropolis à la Cinémathèque française 5 Paris-Delhi-Bombay au Centre Pompidou 6 Odilon Redon au Grand Palais 7 Van Dongen au musée d’Art moderne de la Ville de Paris 8 Edvard Munch, l’œil moderne au Centre Pompidou 9 Game Story au Grand Palais 10 Dogon au Quai Branly

vos sites 1 Le Tag Parfait www.letagparfait.com 2 Arte Live Web http://liveweb.arte.tv 3 Konbini www.konbini.com 4 Gonzaï http://gonzai.com 5 Dyru –Page officielle sur Facebook 6 Brain Magazine www.brain-magazine.com 7 Discordance www.discordance.fr 8 Vice www.vice.com 9 La Blogothèque www.blogotheque.net 10 Pitchfork www.pitchforkmedia.com

vos vidéos 1 Frédéric Lefebvre confond Zadig de Voltaire et la marque Zadig & Voltaire 2 Jade Foret et Arnaud Lagardère reçoivent Le Soir Magazine pour un shooting 3 DSK: reconstitution de l’agression en images de synthèse

télé vos séries 1 Breaking Bad (Arte et Orange) 2 Misfits (Orange) 3 How I Met Your Mother (Canal+ et NT1) 4 Mad Men (Canal+) 5 Dexter (Canal+) 6 Game of Thrones (Orange) 7 The Big Bang Theory (TPS Star) 8 The Walking Dead (Orange) 9 How to Make It in America (Orange) 10 Braquo (Canal+)

vos émissions 1 Le Petit Journal (Canal+) 2 Bref (Canal+) 3 Le Grand Journal (Canal+) 4 Taratata (France 2 et France 4) 5 Ce soir (ou jamais !) (France3) 6 Tracks (Arte) 7 One Shot Not (Arte) 8 ex aequo The Daily Show (Canal+) et C à vous (France5) 9 La Nouvelle Edition (Canal+) 10 L’Effet papillon (Canal+)

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Ecrivains, chanteurs, penseurs, cinéastes, plasticiens, politiques: ils racontent leur année.

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vue par…

photo Philippe Garcia stylisme Aurélien Storny et Alexandre Misericordia // Aassociés Valérie Donzelli robe John Galliano, chaussures Yves Saint Laurent Vintage Kyan Khojandi smoking et chemise De Fursac, nœud papillon et ceinture de smoking Yves Saint Laurent, mocassins vernis Ralph Lauren Black Label

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2011 vue par

Valérie Donzelli

“j’ai toujours cherché

mon double”

Dans une année consacrée avant tout à la sortie de son film La guerre est déclarée, elle a eu le temps d’en tourner un autre, de s’enthousiasmer au cinéma, de s’émouvoir de la mort d’Amy Winehouse, de découvrir Hollywood, de s’interroger sur la sexualité féminine.

L

’année2011 est difficile à dissocier pour moi de mon film Laguerre est déclarée. On l’a tourné en décembre2010, le 1erjanvier on commençait à le monter, en mai on le présentait à Cannes et en septembre il sortait en salle. J’ai vécu ces neufmois passés à accompagner le film comme une renaissance. J’emploie le mot à dessein parce qu’au milieu de ces événements, j’ai perdu ma mère. C’est arrivé juste avant Cannes. A de grands moments de tristesse se sont mêlés de grands sentiments de joie. Le passage de l’un à l’autre était délirant. Quand on perd sa mère, d’un coup on n’est plus un enfant, on s’enfonce un peu plus dans l’âge adulte. J’ai l’impression désormais, dans ma vie, d’être la seule mère. La reconnaissance agit toujours comme une réparation. Notamment sur le narcissisme. C’est surtout vrai pour celle que nous avons reçue avec La guerre est déclarée. Avec Jérémie, nous avons connu l’aspect douloureux et noir de cet événement (la maladie de leur enfant –ndlr) et ensuite son versant lumineux et joyeux. Les deux isolent de la même manière. C’est difficile de partager un drame personnel si violent, mais c’est également difficile de partager un succès. Les gens ne vous perçoivent plus de la même façon. Mais avec Jérémie, nous avons eu la chance d’être toujours incroyablement soudés. Dans la vie, j’ai toujours cherché

mon double… J’étais convaincue qu’on n’existait vraiment qu’à deux. C’est pour ça que je suis si émue par le film Deux en un des frères Farrelly. Quand ils sont unis par le tronc, ils réussissent à préparer des hamburgers à toute vitesse. Mais si on les désunit, ils n’arrivent plus à rien. Il faut qu’ils se renouent par un système de tablier pour pouvoir continuer à faire des choses. Ça me bouleverse et je crois que c’est de cette nécessité de la fusion que parlent mes films. Cette année, j’ai aimé beaucoup de films: Deep End, que j’ai trouvé magistral ; Super8, totalement jubilatoire ; j’aime bien Drive… Ryan Gosling est très bien mais vraiment j’adore Carey Mulligan. Le film est très beau sur leur relation, il ne cède jamais aux stéréotypes: c’est complexe, ambivalent, très fouillé. Et, bien sûr, c’est super bien mis en scène. J’avais très envie de voir Black Swan, d’autant plus que j’écrivais à ce moment-là mon nouveau film, qui se passe à l’Opéra-Garnier dans le milieu des ballets classiques, mais beaucoup de choses m’ont fait sourire. Le personnage de lamère y est très lourd, tout ça est un peu grandiloquent et à la limite du ridicule. Le film ne m’a pas bouleversée mais il m’a parfois troublée. Il dégage quand même un truc érotique très fort. Ce matin, je filmais les petit* rats à Garnier et j’ai pensé très fortement à L’Apollonide, de Bertrand Bonello,

que j’ai adoré. L’intimité et la solidarité de ces filles, qui se font des chignons, se massent, se mettent des pansem*nts, s’aident à accrocher leurs corsets… Il y a quelque chose de très beau sur le soin qu’elles prennent les unes des autres, opposé à la dureté de ce qu’elles vont vivre dans leurs corps. C’est pareil entre les petites filles de Garnier: elles n’arrêtent pas de s’arranger mutuellement, de se toucher pour mieux supporter ce que leurs corps vont endurer. Visuellement, L’Apollonide est un film sublime. J’adore aussi Tomboy. Je trouve ça dément, sur l’écriture, la mise en scène. Le film est un geste. J’adorerais faire un film sur l’identité sexuelle, l’indécision, mais pour l’instant j’ai trop peur de ne pas en avoir une connaissance assez intime et de le traiter faussem*nt. La mort d’Amy Winehouse m’a touchée mais pas vraiment surprise. Au fur et à mesure qu’elle annulait des dates de concerts, qu’on nous annonçait qu’elle allait mal, on se préparait à apprendre ça. J’adorais sa voix, sa présence. Sa mort est tragique et en même temps nourrit son mythe. Amy Winehouse, c’est déjà un mythe. 2011 a été pour moi la découverte de LosAngeles, une sacrée expérience. Tout à coup, Hollywood prend un sens. C’est une ville étirée et basse, qui semble avoir été construite pour justifier l’invention du Cinémascope. Même chose pour lalumière: quand on voit les films tournés là-bas, on

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“la prostitution est un mode de sexualité qui m’intéresse –payer, se faire payer”

Je ne me suis pas reconnue dans la façon dont un certain féminisme s’est emparé de l’affaire pour en faire le symbole de la domination masculine. Le féminisme qui m’intéresse aujourd’hui n’est pas du côté de la diabolisation du sexe, du désir. C’est plutôt celui qu’incarne Virginie Despentes. King Kong théorie, c’est remarquablement intelligent et ça me parle vraiment. De toute façon, je suis de plus en plus frappée par ce quelque chose d’irrésolu, d’intranquille dans le rapport des femmes à leur sexualité. On est prises au jeu du désir de séduire, on fait des choses qu’on ne veut pas… Moi, comme tout le monde, j’ai déjà couché par politesse. Parce que j’avais le sentiment de ne plus pouvoir faire autrement. J’étais jeune, j’ai appris.

pense que les réalisateurs ont utilisé des tonnes de filtres alors qu’en fait les couchers de soleil sont vraiment les plus incroyables que j’ai vus de ma vie. Je comprends pourquoi on parle de Sunset Boulevard. Tout transpire le cinéma à L. A. J’y suis allée pour la présentation de Laguerre est déclarée auxoscars. Pour espérer apparaître dans la liste des cinqfilms étrangers nommés, il faut faire une sorte de campagne, rencontrer les votants, les journalistes… Pour nous,

c’est à un niveau ridicule mais pour Jean Dujardin, ça dure des semaines, il fait des tournées dans les maisons de retraite… L’événement d’actu qui m’a le plus marquée, c’est l’affaire DSK. A un moment, on ne parlait plus que de ça dans les dîners, tout le monde avait son avis sur ce qui s’était passé. Et ce n’est pas fini. Les vidéos qui viennent de sortir sont très troublantes et démentent beaucoup de choses qui ont été dites.

L’acharnement à pénaliser la prostitution me scandalise. Ce débat est débile. Je ne vois pas pourquoi on interdirait aux femmes de se prostituer. Aux hommes non plus d’ailleurs. C’est une atteinte à la liberté. La prostitution doit être encadrée mais pas criminalisée. C’est un mode de sexualité qui m’intéresse –payer, se faire payer. Si je devais retenir une image, ceserait celle de cette jeune fille égyptienne, Alia ElMahdi, qui s’est mise nue sur internet. La photo est très belle. Les collants à pois, le maquillage des yeux, tout est magnifique. C’est un geste d’émancipation très fort, très subversif et complètement bouleversant. recueilli par Jean-Marc Lalanne photoPhilippe Garcia 21.12.2011 les inrockuptibles 35

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Kyan Khojandi

“si tu te marres…” Il vivait du RSA, voulait arrêter la comédie mais ne savait pas quoi faire d’autre. Puis un jour de2011, il a inventé la série Bref avec deux copains.

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econnaissance Ma vie a beaucoup changé en2011, parce que mon travail a obtenu une vraie reconnaissance. On me reconnaît d’abord au premier sens du terme, puisque dans la rue, tout à coup, j’ai l’impression d’être devenu une meuf hyper bonne: tous les mecs se retournent sur mon passage ! (rires) Début2011, j’étais plutôt dans une période de grosse remise en question et même de galères. Mais c’est là où, avec Bruno Muschio, on s’est vraiment rapprochés. On a écrit des trucs sans forcément gagner d’argent: des pilotes, des pitchs, un spectacle à deux, on s’est penchés sur mon spectacle solo, je payais mon loyer à coups de stand up et de RSA. Parfois, j’ai pu avoir envie de baisser les bras mais je ne voyais pas quoi faire d’autre. Bruno et mon ami Harry m’ont beaucoup soutenu et puis y a eu Bref ! travail Harry, le producteur de Bref, a été voir Canal+ au printemps. On se disait que tant que le contrat n’était pas signé, il ne fallait surtout pas y croire. On a signé le premier en juillet et là, vraiment, on a soufflé. Depuis, je n’ai pas trop changé de façon de vivre. Je connais la diète, donc je suis prudent, mais c’est sympa de prendre le TGV pour voir un ami jouer à Reims sans avoir à calculer comment on va finir le mois. En même temps, je travaille tellement que je n’ai pas le temps de profiter. Mais c’est super de pouvoir bosser avec Bruno avec qui j’écris et Baptiste Lecaplain qui joue mon coloc… Ils m’ont toujours soutenu, c’est cool de vivre ça ensemble. saisons On sait à peu près où on veut aller avec Bref. On essaiera d’éviter le“jumping de shark”. Tuconnais cette expression ? Elle vient d’Happy Days. A la saison genre…18, Fonzie, qui était un mec cool qui jouait au flipper, s’est mis à faire

du jet-ski et à sauter par-dessus un requin ! (rires) L’idée, c’est de ne pas en arriver à ce degré de complication où tu inventes n’importe quoi pour faire durer. identification Quand on a écrit Bref, on pensait qu’on parlait de nous. On ne mesurait pas du tout que les spectateurs allaient avoir à ce point le sentiment qu’on leur parlait d’eux. Tout le monde s’identifie à “J’ai pas réussi à dormir de la nuit”, “Je suis hyponcondriaque”, “Je sais pas dire non”… Ce qui est marrant, c’est que les gens à qui ça plaît ne sont pas forcément ceux qui ont la même vie que nous, c’est-àdire la trentaine, vivant seul. Il y a aussi beaucoup de gamins. C’est normal: nous, quand on était ados, on regardait Hélène et les garçons, LePrince de Bel-Air… On fantasmait sur les jeunes adultes, on les trouvait cool. L’autre jour, j’étais à un mariage, un gamin de 6ans m’a abordé. Il m’a fait: “J’ai mis un pied à l’intérieur, un pied à l’extérieur, j’ai pris une douche, j’ai mis du parfum !” C’est super marrant. kifs Récemment, je suis allé voir Intouchables et j’ai beaucoup aimé. Ilsont réussi une belle histoire, avec unfond très dramatique mais vraiment marrant. L’équilibre était pas facile à trouver et ils ont adopté un ton très juste. J’ai vu Drive. Très belle mise en scène. Son énorme ! Tout le monde, cette année, a été électrocuté par la bandeson de Drive je crois… (rires) J’aime beaucoup aussi Poulet aux prunes de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, c’est très beau, très graphique. J’ai beaucoup écouté de hip-hop français. Soit des années90 comme Akhenaton,

“j’ai l’impression d’être devenu une meuf hyper bonne: tous les mecs seretournent sur mon passage !”

Arsenik…, ou contemporain comme Orelsan. Ça nous a vachement influencés lorsqu’on écrivait Bref. Parce que les textes du rap sont très cadencés, condensés aussi: il y a des élisions, quelque chose de très cut. Dans la journée, au bureau, on met souvent aussi TheLook de Metronomy. Reims On me parle de plus en plus de Reims comme la ville où il se passe trop de trucs ! Quand je suis parti de là-bas, laCartonnerie ouvrait. C’est une salle de spectacles avec un studio d’enregistrement, où beaucoup d’artistes locaux ont débuté. Même s’ils ont mon âge, je n’ai pas connu Yuksek, TheShoes, Brodinski, TheBewitched Hands, TheWeasel & The Wasters – qui font les musiques rock de Bref –, Starlion… Mais c’est vrai qu’il y a une vraie scène, là-bas. Reims, c’est presque un peu Paris, c’est une grande ville, à environ quarante-cinqminutes en train de la capitale. Et pourtant, quand tu y vis, c’est vraiment pas Paris. Du coup, il y a un ennui formateur: tu dois faire les choses sinon personne ne les fera pour toi. crise C’est un peu soûlant le ton qu’emploie le gouvernement pour nous dire: “Attention, c’est la crise”, les têtes d’enterrement qui vont avec… Du coup, plus personne ne parle du Japon, de f*ckushima. La crise a éclipsé tout autre sujet dans les médias. Il faudrait peutêtre trouver un nouveau mot. Parce que celui-là, j’ai l’impression qu’il traîne partout depuis qu’on est gamin et il a sûrement trop servi. Si un enfant tombe et que tu prends un air catastrophé en faisant “Oh ! là, là ! Ça va ?”, le gamin se met à pleurer. Alors que si tu te marres, il va aussi se marrer. Aforce de répéter aux gens que ce qu’on vit, c’est super grave et que ça va pas s’arranger, on risque de décourager tout le monde. recueilli par Jean-Marc Lalanne photo Philippe Garcia

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Atiq Rahimi

“les révolutions arabes, ça ne marche pas” Pas d’opposition, trop de religion : même s’il s’est réjoui de voir enfin les pays arabes se révolter, l’écrivain d’origine afghane craint l’intégrisme islamique sous l’influence de l’Arabie saoudite.

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avec des teintes spirituelles: ils en sont restés là, sur leurs chameaux. Pendant ce temps, le monde occidental inventait la locomotive, ou plutôt le train de l’histoire. Bref, vivait à une autre vitesse. Le temps pour les pays de se réveiller, de sortir de leur oasis spirituelle, le monde autour d’eux était déjà trop en avance. Il leur aurait fallu courir pour rattraper l’histoire, et c’était trop tard. Même au XVIIIe, l’Occident pensait le monde autrement: les Lumières et l’humanisme, c’est-à-dire considérer l’homme comme un sujet, suffisant à lui-même. Alors que chez les Arabo-

Hélène Bamberger

out a commencé il y a exactement un an, en Tunisie, le 17décembre2010. Je me revois encore lisant le journal et découvrant ce jeune homme, Mohamed Bouazizi, qui s’est immolé juste parce que la police voulait saisir sa marchandise. La révolte, ça commence toujours comme ça: un événement très personnel qui n’a rien à voir avec le collectif ou la politique. C’est d’abord un désastre individuel qui déclenche un événement universel. Ici, la contestation et les protestations d’une couche sociale tunisienne et de sa jeunesse… Donc un jeune vendeur ambulant se tue, une génération proteste, une nation se révolte, une civilisation, le monde arabe, se réveille, le monde autour s’excite. Et alors, qu’est-ce qui se passe ? Les intellectuels occidentaux et arabes se mettent à réfléchir et à interroger l’histoire. Ce qui est formidable après trois siècles de silence, trois siècles à avoir vécu dans les marges de l’histoire, puisque, autant le dire, le monde arabo-musulman n’a pas bougé depuis le XVIIIesiècle, est resté comme en vacances. Il y a trois cents ans, le monde musulman dominait le monde,

“le temps pour les pays arabes de sortir de leur oasis spirituelle, le monde autour d’eux était déjà trop en avance”

musulmans, l’homme n’est pas le sujet, il est sur terre pour accomplir un certain nombre de missions dans son clan, conditions pour pouvoir vivre sa vie après la mort. Et cela change tout! matérialisme contre spiritualité Pour se consoler, le monde arabe a préféré se dire que la “locomotive” des Occidentaux n’était que pur matérialisme, alors qu’eux auraient le spirituel. En somme, puisqu’ils n’ont plus le vocabulaire pour réfléchir comme les Occidentaux, comme ils ne parviennent plus à rattraper leur retard face à l’histoire, ils la rejettent. Et de l’autre côté, les Occidentaux préfèrent maintenir les pays arabes dans leur retard parce que ce serait soi-disant ce qui les rend “authentiques”. Ils ont été exclus des pages de l’histoire, et cela jusqu’au 11 septembre 2001, qui a certes ramené ce monde arabomusulman dans l’histoire mais pas dans le bon sens, en se bannissant lui-même encore plus et d’une façon religieuse. Mais depuis, il y a dans le monde arabe, principalement chez les jeunes, un désir de reprendre le bon sens de l’histoire, voilà pourquoi l’immolation de ce jeune homme a soudain déclenché une révolte. Pourtant, un an après, force est de constater que ça ne marche pas. Pourquoi?

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Misam Saleh/ AFP

PlaceT ahrir, le Caire, avril 2011

Parce que les ex-régimes au pouvoir, depuis vingt ans, ont gommé tout mouvement progressiste puisque étant leurs rivaux, ils n’ont pas laissé d’alternative (de gauche) à leur manière de voir. La seule alternative a été l’islamisme; en Egypte, au Maroc, en Tunisie, et en Algérie bientôt, ce sont les mouvements islamistes qui sont en train de s’implanter, grâce à l’intervention de l’Arabie saoudite, qui veut recréer son empire du VIIIesiècle, qui veut revenir au centre de l’Islam. Ce sont d’ailleurs eux qui négocient avec le monde entier. Par exemple: pour négocier avec les talibans, l’Afghanistan et le monde entier sont obligés de passer par l’Arabie saoudite. Ce à quoi nous allons assister, c’est à une sorte de “saoudisation” de ces pays qui se sont révoltés au printemps. Ils ont été très malins: pour calmer un début de révolte chez eux, ils ont distribué de l’argent à tout-va.

Le nombre de lapidations qui ont lieu en Arabie saoudite est incroyable et personne n’en parle, parce qu’ils détiennent le pétrole. Et puis LaMecque s’y trouve, donc c’est le centre de l’Islam. pensée contre religion Mais tout de même, ce qui a été essentiel dans ces printemps arabes, c’est qu’il s’est agi d’un mouvement venant de l’intérieur du pays, pas de l’extérieur. C’est important parce que, d’habitude, les peuples arabes pensent que si ça ne va pas chez eux, c’est à cause des Occidentaux. Pour la première fois, ils montraient que leurs gouvernements étaient en cause, ils en prenaient conscience et s’y opposaient. Ça, c’est un pas énorme. Sauf, encore une fois, que derrière ces mouvements il n’y avait pas de mouvement intellectuel progressiste. Pas d’alternative et de pensée, et en face, la religion qui est trop bien

implantée. Pourquoi à ce point ? Parce que l’Islam, c’est la “religionisation” de la tradition. Il y avait une culture préislamique dans ces pays qui a été récupérée par la religion. Islamiser la tradition, c’est entrer dans les vies quotidiennes, les familles, ce qui les fonde. L’Islam est devenu lui-même une tradition, opérant un mouvement inverse: traditionnaliser une religion. Donc renier l’Islam reviendrait à renier ce qui fonde la collectivité. C’est là où le geste de ce jeune Tunisien qui s’est immolé a une importance symbolique énorme. On l’a interprété comme une figure sacrificielle, de martyre. Avant tout, c’est un suicide de révolte au sens d’Albert Camus, une question existentielle plus profonde: il a, par ce geste, revendiqué son individualité, son statut de sujet. C’est sa place en tant qu’individu –hors du collectif, de la tradition, de la religion– qu’il se réappropriait. recueilli par Nelly Kaprièlian 21.12.2011 les inrockuptibles 39

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Fránçois & The Atlas Mountains

“du surf dans la brume” Ils pensaient être un groupe bizarroïde mais le public a suivi et ils ont fait le tour du monde ou presque. Le récit de François, chanteur.

Rain de Prince. On ne savait pas du tout ce qu’on faisait et c’était génial. Je me souviens aussi qu’au mois d’octobre j’ai fait du surf vers l’île d’Oléron, dans la brume. J’étais au large, perdu, on n’y voyait pas grand-chose. C’était impressionnant. Sinon, je suis allé jouer du sabar, un instrument de percussion africain, dans une banlieue de Dakar. Unbon souvenir.

François Marry, meneur de l’Atlas

Tom Cops

Nous avons eu aussi des moments difficiles: les heures de route pendant les tournées, un atterrissage corsé à Bucaramanga en Colombie, un concert difficile à l’EMB-Sannois, un autre, très dur, à Londres. Je venais d’apprendre qu’une amie était gravement malade. Je ne voulais pas monter sur scène, je ne voulais pas être là. Mais il fallait jouer.

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011 fut bien remplie, pleine Les Inrocks, Bourges… J’étais très de rencontres. Nous avons étonné du succès de l’album car je commencé à faire de la musique pensais qu’on était un groupe bizarroïde. de façon professionnelle –on Je ne m’attendais pas à un accueil aussi jouait sans structure depuis chaleureux. J’étais heureux de constater des années. Nous avons signé l’ouverture d’esprit du public, heureux un contrat avec Domino. Laurence Bell, de lire des articles où les journalistes le directeur du label, avait récupéré mettaient en avant le côté humain notre premier album Plaine inondable via du groupe, les collaborations, le collectif. Fence Records qui l’avait sorti en Angleterre. Il cherchait à nous joindre On gardera beaucoup de bons et a appelé chez mes parents pour savoir souvenirs de 2011, notamment notre où j’étais. C’est un vrai passionné tournée en Colombie et un concert de musique, il va voir tous les concerts. formidable en Ecosse en clôture J’avais besoin de ça. Je suis fan de Domino du festival Fence. On y a repris Purple pour ses artistes moins populaires comme Movietone, Four Tet ou Crescent. “le concert qui m’a le plus Je préfère ça aux Arctic Monkeys. marqué, c’est celui de On a rencontré beaucoup de Zombie Zombie, dans un journalistes, de programmateurs. On s’est produit dans des tas de festivals, petit festival en Ardèche”

En 2011, j’ai beaucoup écouté les albums de SBTRKT et The Weeknd. J’aiaussi adoré les rééditions, chez Awesome Tapes from Africa, d’une chanteuse malienne, Nâ Hawa Doumbia. On a fait énormément de concerts mais j’ai aussi eu l’occasion d’en voir. Celui qui m’a le plus marqué, c’est Zombie Zombie, dans un petit festival en Ardèche, le festival Paradox. Je n’ai pas pu suivre l’actualité autant que je l’aurais voulu. Je crois que c’est l’image de f*ckushima qui restera dans ma mémoire. C’était en mars et j’ai l’impression que cela remonte à deuxans déjà. 2012 s’annonce excitante. On a hâte de pouvoir jouer avec un batteur sur scène. On espère aussi que l’organisation sera assez stable pour qu’on puisse dégager du temps pour faire autre chose. J’aimerais peindre un peu plus, continuer à faire des concerts et à m’amuser avec mes amis comme on le fait depuis des années. recueilli par Johanna Seban

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Monica Bellucci

“la grande force de l’Italie: savoir repartir de zéro”

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alamités Beaucoup de choses m’ont frappée cette année, bien sûr. Les calamités naturelles et celles causées par l’homme. Je pense au tremblement de terre qui a fait tant de morts en Turquie. Et aussi, parmi celles dont l’homme est responsable, à l’accident nucléaire au Japon. C’est difficile de ne pas penser que, face aux choses horribles que nous lui infligeons, le monde se révolte. écologie Je suis très soucieuse de l’écologie. Mais il est vrai que nos petit* gestes écologiques –éteindre la lumière, faire le tri pour la poubelle, économiser l’eau…– sont rendus bien dérisoires quand tant de pétrole se déverse dans la mer et que les gouvernements gèrent si mal la question nucléaire. Est-ce que la responsabilité de chacun dans son quotidien a un sens lorsque les structures qui nous encadrent s’avèrent ir responsables ? Berlusconi Les Italiens ont vraiment un côté “Viva il re, ha basso il re” ! Aujourd’hui, tout le monde en Italie crache sur Berlusconi, le traite de bouffon, mais après l’avoir élu quatrefois tout de même ! Il n’est ni Néron ni Mussolini, mais il est un chef de gouvernement élu quatrefois. Berlusconi, c’est d’abord notre responsabilité, la responsabilité collective des citoyens italiens.

Charles Platiau/Reuters

Ecologiste motivée, citoyenne concernée, la star italienne fait une déclaration d’amour à son pays. Qui aime bien châtie bien.

“aujourd’hui, tous les Italiens crachent sur Berlusconi, mais après l’avoir élu quatre fois tout de même !” crise italienne Moi j’adore l’Italie, comme la plupart des Italiens. Mais c’est un peuple qui ne croit pas en l’Etat, contrairement aux Français. En France, l’Etat existe encore: les citoyens gardent une relative confiance dans une structure, un système qui peut les aider, les soutenir. En Italie, cette confiance a totalement disparu, avant tout à cause du gouvernement Berlusconi. Il faut que les Italiens prennent conscience qu’ils ne peuvent pas s’en sortir sur un mode individuel. Il faut réinvestir l’espace politique, les préoccupations sociales… Le problème de l’Italie, plus encore qu’économique, est lié à ça. En France, bon gré mal gré, subsiste l’idée de méritocratie. Tu obtiens des choses selon tes capacités. En Italie, c’est plutôt le clientélisme qui régit le lien social. On se connaît, nous sommes entre amis, je te donne ça, tu me donnes ça. A un grand niveau, ça donne la Mafia. Mais cette mentalité est profondément ancrée dans la société et, à une petite échelle, elle touche un peu tout

le monde. Je pense qu’une crise économique, morale, sociale, c’est quelque chose qui vient nous prévenir que ça ne va pas, que ça ne peut plus durer. Alors je suis optimiste. Parce que la grande force de l’Italie, ça se vérifie dans l’histoire, c’est de savoir repartir de zéro et de recommencer. Un été brûlant Philippe Garrel a été une rencontre humaine et de cinéma particulière. Il m’a beaucoup appris. J’adore son côté scrupuleux, sa générosité avec les acteurs… Il dégage quelque chose de très pur, il n’a pas peur, il ne veut pas plaire, il fait ce qui lui plaît. le film de l’année J’ai adoré Uneséparation. Je l’ai regardé d’abord pour des raisons professionnelles –je vais tourner un film en iranien (Rhinos Season de Bahman Boghadi –ndlr) et je dois travailler la langue. Le film m’a stupéfaite. Les acteurs sont tellement naturels qu’on pourrait être dans un documentaire. Ce que ça raconte d’un pays, de sa société, est d’une puissance sidérante. chansons Ces derniers temps, j’ai beaucoup écouté Marisa Monte, une chanteuse brésilienne avec une très belle voix, dont j’aime beaucoup la musique. Et en France, j’écoute ce nouveau groupe, Brigitte. Je les trouve féminines, décalées… Je les aime vraiment bien ! recueilli par Jean-Marc Lalanne photo David Balicki

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Frédéric Lordon

“les ingrédients du désastre” Il fallait bien un “économiste atterré” pour nous expliquer en quoi l’Europe telle qu’elle existe aujourd’hui ne pouvait qu’aboutir à la crise de l’euro.

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oué à se perdre dans la prolifération des événements de première grandeur, comme seules les crises historiques en réservent, l’exercice de la rétrospective économique a tout d’une gageure. Si vraiment il fallait donner une cohérence à l’année2011, il est possible que, d’abord entendu en son sens étymologique, et puis peut-être en son sens ordinaire, ce soit le mot d’apocalypse qui, appliqué à la construction européenne, convienne le mieux. L’apocalypse, c’est la révélation, et ce que l’année2011 aura révélé, visibles sans doute depuis longtemps mais à qui avait au moins le désir de voir, ce sont les irréparables tares de la monnaie européenne, désormais mises en pleine lumière, accablantes, incontestables aux yeux mêmes des plus bornés soutiens de “L’Europe”, ce générique qui n’a jamais eu de sens sinon celui de rejeter dans l’enfer “nationaliste” des “anti-Européens” tous ceux qui avaient à redire, non pas à l’Europe, mais à cette Europe.

Emmanuelle Marchadour

Il aura donc fallu l’extrémité de cette crise pour faire apparaître que toute la construction de l’euro a reposé –par négation calculée ou par franche bêtise ? on ne le saura pas– sur l’ignorance crasse de la souveraineté comme principe fondamental de la grammaire politique moderne –où l’on aperçoit que des impasses intellectuelles peuvent emporter de terribles conséquences matérielles. De toutes les atteintes que ce principe aura eu à subir, la pire sans doute aura tenu au choix de remettre délibérément la surveillance et la normalisation des politiques économiques aux marchés de capitaux, agencement expressément voulu par l’Allemagne, soupçonnant, en l’absence de tout mécanisme institutionnel capable de les rendre exécutoires, que les règles des traités (et du pacte de stabilité) ne vaudraient rapidement pas beaucoup plus qu’un “chiffon de papier”. Il suffit d’y ajouter un modèle de Banque centrale européenne (BCE) très exactement décalqué de la Bundesbank et destiné lui aussi à garantir le primat des obsessions allemandes (exclusivité de la mission anti-inflationniste, interdiction des financements monétaires des déficits budgétaires et de toute forme de garantie des dettes publiques) pour avoir, combinés, les principaux ingrédients du désastre. Inexistant en2007, le “problème des dettes publiques” ne se constitue que par la récession consécutive à la crise des subprimes, mais encore est-il gérable jusqu’au début2010. C’est la spéculation sur les marchés obligataires qui, faisant monter les taux d’intérêt, donc le service de la dette, le transforme en une insoluble crise dès lors que la BCE refuse obstinément tout crédit direct aux finances publiques, toute garantie des dettes et toute formule de leur restructuration !

Incapables de concevoir l’impasse dans laquelle ils se sont mis, les gouvernements de la zone euro auront passé leur année à explorer des solutions qui ne font que la verrouiller davantage: leur asservissem*nt aux injonctions des marchés les conduit à des politiques d’austérité dont la “coordination” garantit la récession généralisée, donc l’effondrement des recettes fiscales, donc la détérioration des dettes ; chaque tour de vis supplémentaire imposé aux Etats secourus n’a pas d’autre effet que de les plonger dans des difficultés plus profondes et d’intensifier les effets de contagion ; la liste des Etats attaqués par la spéculation n’a donc cessé de s’allonger jusqu’à gagner les pays du cœur de la zone, la France notamment dont la notation ne tient plus qu’à un fil ; et le pauvre Fonds européen de stabilité financière (FESF) est si visiblement débordé qu’aucune des contorsions de l’ingénierie financière ne parvient plus à lui rendre un semblant de pertinence: c’est la BCE, dont les possibilités de création monétaire sont virtuellement infinies, et non un fonds, dont les moyens financiers sont par construction limités, qui devraient faire le back up des dettes souveraines européennes –mais voilà, la BCE ne veut pas… Ce sont ces inextricables contradictions que, dans leur récurrence presque comique, les sommets de l’eurozone n’ont pas cessé de reparcourir, pour se heurter toujours aux mêmes murs, et se conclure par les mêmes pathétiques communiqués triomphateurs mais dépourvus de toute solution, puisque des solutions, tant que l’on reste dans le cadre actuel, il n’y en a pas !… et qu’il est à craindre que la transformation du cadre, c’est-à-dire la modification des traités, appartienne à un horizon temporel sans rapport

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Production galerie Roger Tator, Lyon

“des politiques de rigueur n’ayant d’autre finalité que d’éviter au secteur bancaire de nouvelles pertes” Tout ça ne pourra pas durer éternellement. D’abord parce que la construction économique s’apprête à s’effondrer sous le poids de ses propres malfaçons et que l’on s’approche chaque jour davantage du point critique où la panique financière, en avance même sur les défauts souverains, mettra de nouveau à bas le système bancaire entier, ne laissant plus que les banques centrales comme uniques institutions capables, avec le risque que le refus de la BCE conduise au réarmement forcé des banques centrales nationales, donc à l’éclatement de l’euro. Mais ça ne pourra pas durer non plus parce qu’on ne dépouille pas impunément les corps sociaux de leurs prérogatives souveraines, en tout cas sans s’exposer au risque que vienne un jour où ceux-ci décident de la récupérer violemment –et, un peu à la manière de ce qu’avait montré Karl Polanyi à propos des années30, la chose peut ne pas être belle à voir…

Studio 21bis, Castle (2011)

avec l’urgence d’une crise au bord de devenir foudroyante. Pendant ce temps, les corps sociaux, qui ont déjà avalé à leurs frais le sauvetage de la finance, puis assisté, médusés, à son retournement contre les Etats qui l’avaient secourue et, pire encore, la voient exiger de ces derniers des politiques de rigueur n’ayant d’autre finalité que d’éviter au secteur bancaire de nouvelles pertes, les corps sociaux, donc, contemplent l’évanouissem*nt définitif de leur souveraineté et leur dépossession de tout pouvoir politique réel. Car l’Europe n’est plus qu’un gigantesque solécisme politique, où l’on trouve côte à côte: l’empire exclusif des marchés sur la définition des politiques économiques, conduites non plus d’après les intérêts du seul ayantdroit légitime de la puissance publique –le peuple–, mais selon les réquisits d’un tiers intrus

au contrat social –le groupe informe des créanciers internationaux– ; la neutralisation de toute expression financière de la souveraineté politique par la soumission des budgets nationaux auxdites “règles d’or”, ou par leur contrôle a priori par les instances européennes ; la quasi-éviction des gouvernants par des curateurs missionnés par des organisations internationales, à l’image de la Grèce désormais aux mains de ladite “troïka” (FMI, Commission européenne, BCE), ou de l’extravagante feuille de route envoyée telle quelle par la BCE au président du Conseil italien (il s’agissait alors de M.Berlusconi) ; enfin les tentatives désespérées de réobtenir les faveurs des marchés par la nomination de gouvernements d’“experts”, tels ceux de MM.Monti et Papademos, gouvernements prétendument apolitiques, évidemment on ne peut plus politiques.

La laideur cependant n’est pas non plus une fatalité, car c’est aussi une opportunité historique de renverser l’ordre néolibéral qui est en train de se former dans ce bouillonnement de contradictions. Et de se débarrasser par la même occasion de tous ses desservants, ceux-là mêmes qui ont des décennies durant expliqué au bas peuple que l’ordre du monde est idéal, qu’il avait de toute façon la force d’une donnée de nature et que l’on ne saurait se rebeller contre la loi de la gravitation, qu’au demeurant la construction européenne telle qu’elle est (était…), elle aussi intouchable dans sa perfection même, était là pour notre supplément de bonheur, qu’il fallait être au choix archaïque, frileux ou xénophobe pour trouver à y redire. Tous ces gens, hommes politiques de gauche, de droite, experts dévoués, chroniqueurs multicartes, éditorialistes suffisants et insuffisants comme disait non sans cruauté Bourdieu, tous ces répétiteurs, voués à la pédagogie du peuple obtus, se sont trompés sur tout, et les voilà qui contemplent sidérés l’écroulement du monde dont ils ont été si longtemps les oblats. Et l’on se prend à rêver de les voir eux aussi partir par la bonde à l’occasion de la grande lessive. 21.12.2011 les inrockuptibles 45

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Christophe Blain

“le bide en vrac, j’ai” En un an, le prolifique dessinateur de BD est passé des cuisines du chef Alain Passard à celles du Quai d’Orsay. Il est en train de découvrir les coulisses du cinéma.

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Aurélie Filippetti

“pas seulement des roses” Des centrales nucléaires menaçantes, un euro en danger, des démocraties fragiles, des ouvriers malmenés: il y a pourtant de l’espoir, dit la députée PS de Moselle.

O

nze a toujours été un très bon chiffre pour moi donc je partais plutôt confiante. Ce sont les années bissextiles qui me portent malchance. 2011 devait donc être l’année de préparation de la victoire, la “pénultième”. Jusqu’au 14mai, tout le monde avait déjà sablé le champagne à la prochaine victoire de la gauche, comme quoi, il n’y a pas que les Italiens qui savent reboucher une bouteille de spumante après l’avoir ouverte… Et puis, très vite, ça a quand même mal tourné. Non, bien sûr, pas simplement l’effondrement en septminutes de plans sur la comète que d’aucuns peaufinaient sans doute depuis des années et une partie de la gauche, impatiente, n’en pouvant plus, avec eux. Non je parle de l’ère du doute, de la faillibilité, non pas de la nature, mais de la technologie. f*ckushima, qui a changé les consciences et les certitudes à la vitesse d’un neutron dans Superphénix. Bien sûr, les vieux réflexes sont vite revenus. Ce “n’était pas une catastrophe nucléaire mais un tsunami” (celle-là, il fallait la trouver –total respect pour le président de la République). f*ckushima a même fait bouger les éléphants socialistes qui laissaient jusque-là les petit* crabes verdâtres se bouffer les pinces à ce sujet sans trop s’en soucier. Tout à coup, tout le monde s’est mis à s’intéresser aux taux de disponibilité de notre réseau nucléaire (historiquement bas l’hiver précédent, ce qui fait que nous importons de l’électricité en période de pointe), à la différence entre le nombre de réacteurs (58) et de centrales (19), à leur moyenne d’âge. Cet événement tragique nous a ainsi obligés à retrouver le sens de l’humilité, de cette science qui n’avance que par à-coups et par erreurs successives, mais surtout l’humilité devant les solutions techniques miracles qui permettraient de résoudre les besoins en énergie, de soigner la faim dans le monde et les épidémies. Nous avançons à petit* pas. Et nous devons prendre garde, selon le désormais fameux principe de précaution

et les théories d’Ulrich Beck, que rien de ce que nous mettons au monde ne risque de détruire l’humanité. Ce qui, par ailleurs, est en train de ruiner notre système social, c’est, bien sûr, la crise des dettes, désormais des dettes souveraines (les Etats) après celle des banques. L’euro est menacé. Les marchés ont vu la faille d’un système dans lequel une zone économique monétaire unique, accompagnée d’un marché libre des biens et des personnes, ne s’accompagnait de quasiment aucune gouvernance efficiente politique ! Les historiens de l’avenir se demanderont avec raison comment nous avons pu en arriver là. Pour le moment, attention, la tentation serait grande d’imaginer le retour à ce “bon vieux franc” préconisé par le FN. Mais l’euro –s’il doit être renforcé par un nouveau pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance prôné par François Hollande– nous protège ! Combien devrait-on payer notre plein d’essence sans l’euro ? Sans doute au moins le double ! Le seul intérêt du franc serait de faire de la dévaluation compétitive, pour baisser les salaires des ouvriers français –belle perspective– mais surtout, baisser les salaires n’a de sens que si on exporte, or Marine LePen prône le retour aux frontières nationales ! Donc plus d’exportations ! Donc, aucun intérêt à baisser nos salaires, sauf à retourner tous travailler dans les champs, puisque nous ne pourrons plus non plus importer de produits manufacturés, devenus bien trop chers. Ce nouveau monde est une chance si nous participons à l’émergence de vraies démocraties, sans ingérence, mais avec soutien. Les révolutions arabes doivent permettre aux femmes, aux enfants d’avoir accès à l’éducation et à la culture, et à tous de jouir de la liberté de vivre comme ils le veulent, de trouver les voies de leur épanouissem*nt, professionnel ou intime. Là, réside la véritable solution à ce que d’aucuns à droite nomment “le problème” de l’immigration. Comment

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Aurélie Filippetti (longue écharpe) avec François Hollande lors d’un déplacement à Bruxelles, le 30novembre

ne pas avoir envie de fuir un pays quand on y est pourchassé comme hom*osexuel, quand des hommes refusent de saluer des danseuses car elles sont “impures”. Oui, c’est par la liberté des corps que passe la liberté tout court, c’est d’ailleurs pour cela que l’art nous émeut, car il est chair, présence-absence, matérialité et réflexion. Nous devons sans cesse inventer de nouveaux moyens d’approfondir cette démocratie, ailleurs mais aussi chez nous. Elle est toujours au pied de l’arc-en-ciel. Nous avons réussi un bel exercice, avec la primaire socialiste. Elle a mobilisé plus de 2,8millions de personnes. C’était inédit, et à vrai dire cela dépassait nos espérances (j’avais parié sur deux millions). C’est la preuve que les Français ont envie d’inventer de nouvelles pratiques politiques. Je me félicite que l’on mette un terme au cumul des mandats parlementaires, par exemple, ce que j’ai toujours fait moi-même. Maintenant il faut aussi avancer sur la parité, car les nerfs sont souvent en pelote lorsque quinzehommes s’expriment avant qu’une femme n’avance un argument pour se faire aussitôt couper la parole. Mais nous tiendrons bon. Comme nous tenons bon sur la sidérurgie lorraine. Car c’est par là que je veux finir. C’est mon histoire, ma famille, mon enfance, mais pas seulement: c’est une filière qui a de l’avenir si l’on investit dans les technologies innovantes pour réduire la production de CO2. François Hollande est allé à Bruxelles défendre ce dossier auprès de M.Barroso. J’étais fière d’être à ses côtés. Fière d’essayer, sans garantie de résultat bien sûr, de défendre ceux qui n’ont que la gauche pour les défendre: les ouvriers, les classes populaires. François Hollande l’a compris: il leur fallait des actes, pas seulement des roses et des promesses. Merci à eux tous, et le combat continue. Bonne année2012, surtout vers le printemps et le joli mois de mai. photo Guillaume Binet/M.Y.O.P

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Anna Calvi

“j’aime tant

jouer sur scène” Succès soudain, tournées interminables, exigences folles: l’incandescente musicienne a résisté à tout.

A

l’époque où j’ai enregistré mon album, je n’avais aucun fan, j’étais seule, je n’attendais pas grandchose. J’avais une vision très claire de ce que je voulais faire et j’y suis restée fidèle, même si je n’étais pas sûre que quelqu’un puisse aimer ce disque à part moi. Mais il fallait que je le fasse, avant tout pour me faire plaisir. Je me souviens très bien du jour de la sortie du disque. J’étais à Paris pour une Black Session. Pour la première fois de ma vie, je réalisais que des gens s’étaient déplacés pour me voir et entendre mes chansons. Ce sentiment était tout simplement incroyable. Ce fut un grand jour. Le public français a été le premier à comprendre ma musique et à réagir, bien avant l’Angleterre, et je l’en remercie. Une bonne partie de la musique que j’aime vient de chez vous. Vous avez une relation particulière à la musique. Je suis aussi très fière de mon succès en Italie. Ma famille vient de là-bas. Aujourd’hui, j’ai davantage d’assurance, de confiance en moi. J’ai appris à comprendre mon corps. Il est un véhicule pour ma musique. Etre musicienne, c’est comme être une athlète: il faut prendre soin de son corps. Moi, je chauffe ma voix avant les balances puis pendant une heure environ avant le concert. Et je refais des exercices après le concert. Même chose avec les mains pour la guitare. Tout ça peut me prendre deux

“on m’a souvent comparée à PJHarvey. Je ne prends pas ça comme un compliment”

heures et demi mais je le fais très sérieusem*nt. C’est indispensable si je veux donner le meilleur de moi-même sur scène. On m’a souvent comparée à PJHarvey mais je ne prends pas ça comme un compliment, c’est un raccourci tellement paresseux. Je n’ai jamais été fan de PJHarvey, sa musique m’est assez étrangère. Du coup, il me semble que les gens qui me comparent à elle n’ont pas vraiment compris ma musique. Cet été, j’ai participé à trente-trois festivals. Je n’ai pas le compte de tous les autres concerts mais je sais en revanche que je n’ai eu que quinze jours de vacances. La vie en tournée, c’est physiquement épuisant. Mais j’aime tant jouer… Sur scène, je me sens à ma place, spirituellement comblée. Je me dis souvent que c’est ce que je peux faire de mieux. Je me sens toujours heureuse à la fin d’un concert, même pas épuisée. Je trouve une telle force en moi quand je suis sur scène ! C’est si important que c’en est presque effrayant. Ça reste vraiment gratifiant de voir tous ces gens venir à mes concerts. J’ai travaillé très dur pour en arriver là. La seule chose qui me manque par rapport à ma vie d’avant, ce sont mes amis et ma famille, que je ne vois pas assez. Sinon, ma vie est la même: je suis une musicienne qui fait son boulot, c’est tout. Quand je vois ma tête en couverture d’un magazine, je ne ressens que du détachement, c’est comme un réflexe de protection. Je ne me sens en aucune manière célèbre. recueilli par Stéphane Deschamps photo Benni Valsson 21.12.2011 les inrockuptibles 51

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Yto Barrada Pour ce calendrier conceptuel, l’artiste franco-marocaine, lauréate du prix Deutsche Bank 2011, a recensé des centaines de google alerts sur son pays d’origine.

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Christian Louboutin

“la crise, ce n’est pas mon boulot” Au Caire, des révolutionnaires se sont glissés dans son lit : il est ravi. Malgré la crise, les femmes continuent à porter des escarpins à semelles rouges : il est heureux.

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alliano, victime de la mode Quand l’affaire Galliano a éclaté, je préparais les célébrations liées aux 20ans de ma marque. Cela m’a permis de remettre les événements en perspective et d’analyser un peu l’évolution du milieu. En1991, au moment de me lancer, j’avais demandé conseil à une connaissance très établie dans le milieu. “Il y a deux façons de faire, m’avait-elle dit. Soit tu montes ta marque seul, avec les moyens du bord et tu galères pendant dixans dans ta cave avant qu’éventuellement ça ne décolle. Soit tu montes ta marque avec un partenaire et tu as les coudées franches, tu peux te concentrer sur la création.” En toute logique, j’aurais donc dû chercher un partenaire. Mais je me suis immédiatement vu passer des heures à négocier dans les restaurants, grossir de jour en jour. Alors, j’ai choisi la cave. J’ai surtout choisi la liberté. Vingtans, plus tard, c’est cette idée de liberté qui domine chez moi.

Les problèmes qu’ont connus John Galliano ou Christophe Decarnin (le créateur de Balmain, hospitalisé en début d’année pour dépression –ndlr) sont certainement liés à ce manque de liberté. Dans une grande marque, encore plus quand elle appartient à un grand groupe, on dépend d’une chaîne de gens. Il faut rendre des comptes en permanence. Il faut faire de l’image. Vos propos sont rapportés, déformés. Vous êtes loin du produit et de la création. Votre liberté est très restreinte et cela finit forcément par vous affecter. C’est mécanique. Pour durer dans la mode, il faut être son propre patron. C’est la solution. Même s’il faut gérer beaucoup de soucis, c’est la seule façon d’être libre. Au fil des ans, j’ai reçu de nombreuses offres de rachat pour ma marque. Mais pour quoi faire ? Pour avoir plus d’argent ? Aquoi cela servirait-il ? Je suis viscéralement attaché à la liberté, et si mon parcours peut servir d’exemple, prouver que l’on peut faire son chemin hors des grands groupes, tant mieux.

faire de la mode pendant la crise Je suis imperméable à l’idée de la crise. Quand j’ai créé la marque, la guerre du Golfe se terminait à peine et tout le monde me disait que c’était le pire moment… Mais ce n’est jamais le moment idéal. Finalement, ça n’a pas posé de problème. Les gens me parlent tout le temps de la crise mais cela n’influence pas du tout mon travail. Il y a troisans, une femme est venue me voir lors d’une séance de dédicace en Californie. Elle m’a dit: “Vous ne trouvez pas indécent de signer des souliers, des souliers si chers en période de crise ?” Puis elle m’a reproché de ne rien faire contre la crise. Je lui ai répondu que, d’abord, ce n’était pas mon boulot. Ensuite, pensait-elle vraiment que, si je faisais des souliers voilés de crêpe noire, cela aiderait l’Afrique ? Personne ne les achèterait, c’est tout. Dans la crise, le travail créatif prend toujours le contre-pied. Ala fin de la Seconde Guerre mondiale, les comédies musicales ont émergé. C’est toujours comme ça. Quand les

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temps sont durs, les gens ne veulent pas des films sombres, ils préfèrent se divertir. La meilleure façon de lutter contre la crise, c’est de continuer à faire ce que l’on sait faire. Se mettre en berne ne changerait rien. Aujourd’hui, j’ai la chance que la marque marche bien. Cela me donne la liberté de ne pas regarder les chiffres. Quand je vais dans une boutique et que je demande comment s’est passée la journée, on me donne souvent le chiffre d’affaires. Ça ne me parle pas. Je veux connaître le nombre de paires vendues, le nombre de femmes chaussées en Louboutin. Les finances ne m’intéressent pas. J’ai la chance de gagner assez pour pouvoir vivre tranquillement sans devoir regarder les chiffres. C’est une grande liberté. la révolution à domicile Je possède un appartement au Caire, tout près de la place Tahrir. Pendant le soulèvement, il a été en partie saccagé, la télé et deux ou trois choses ont disparu. Mais surtout, le lit a été

“les problèmes que John Galliano a connus sont certainement liés au manque de liberté dans la mode” occupé. Selon toute vraisemblance, des gens se sont installés dans l’appartement pendant une longue période. Mais franchement, j’en suis ravi. Tant mieux s’il a pu servir à la révolution. Quand je suis retourné dans l’appartement, quelques semaines après la chute de Moubarak, il y avait de bonnes ondes. Paradoxalement, je n’ai pas senti une vraie différence dans l’atmosphère au Caire. J’ai plus ressenti le changement à Louxor, où je possède aussi une maison. Là-bas, les gens se sont mis à lire la presse, ce qu’ils ne faisaient absolument pas auparavant tant l’information était contrôlée. Ils se sont mis à commenter l’actu. Aujourd’hui, on sent là-bas une vraie fierté à pouvoir

Matthieu de Martignac/Le Parisien/Maxppp

Arrivéed e John Galliano à la 17echambre correctionnelle deP aris, le 22juin2011

donner son opinion, débattre. Ace niveau-là, le changement est radical. ALouxor, on sent que la révolution a vraiment été un événement heureux. J’ai parlé avec beaucoup de gens, de tous les milieux. Je n’ai pas entendu une seule personne regretter les événements. Bien sûr, on sent parfois de la peur, de l’inquiétude, mais il y a aussi beaucoup de légèreté. Tout le monde a été stupéfait, personne ne s’y attendait mais tous les Egyptiens ont crié de joie. Unanimité complète. Ils se rendent compte que, en trenteans, Moubarak n’a rien fait pour le pays. Pas une route, pas une école. ALouxor, dans les années70, il y avait une corniche magnifique, une gare incroyable, construite dans les années20. Tout cela a été détruit et remplacé par d’horribles bâtiments. Le patrimoine a été massacré au profit d’intérêts personnels. On a dilapidé les richesses du pays. Pour un lieu touristique comme l’Egypte, aussi riche culturellement, c’est dramatique. recueilli par Marc Beaugé 21.12.2011 les inrockuptibles 57

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Arthur Nauzyciel

“me consoler

de l’inconsolable” Pour préparer sa pièce Jan Karski (Mon nom est une fiction), le metteur en scène d’origine polonaise a replongé dans les heures noires de son histoire familiale. Une année émouvante.

C

ette année aura été un flux tendu d’une intensité rare, d’une beauté exceptionnelle, probablement une des plus importantes de ma vie. J’ai repris L’Image, avec Damien Jalet et Lou Doillon, Julius Caesar au TGP, Le Musée de la mer de Marie Darrieussecq (créé en Islande) au T2G. J’ai mis en scène mon premier opéra, Red Waters, avec Keren Ann, Sjón et Bardi Johannsson. Et c’est l’année de Jan Karski (Mon nom est une fiction), au Festival d’Avignon –manifeste artistique arraché à l’abîme et qui m’aura transformé. apaiser la douleur Je vois les visages de ceux qui ont participé à ces aventures, cosmogonie bienveillante, les témoins et acteurs d’une histoire intime qui s’écrit de spectacle en spectacle. Le théâtre est pour moi une façon de vivre: un outil de construction de soi, de compréhension et de découverte du monde, et un art de la “réparation”. Le plateau du théâtre est le lieu qui me console de l’inconsolable. Au théâtre, les morts sont invisibles mais pas absents, comme disait saint Augustin. On peut croire à la résurrection des morts, à l’immanence, l’éternité. Y chercher les corps absents, réactiver les paroles étouffées. Se reconnecter à ce qui nous traverse et que nous ne maîtrisons pas. J’espère ainsi apaiser en moi quelque chose d’incertain, de douloureux parfois.

s’écrouler sur le gazon Ces spectacles sont le fruit de voyages, de rencontres, d’expériences singulières. Les reprendre est une façon de retrouver les acteurs, passer du temps ensemble, faire évoluer notre travail commun. C’est retourner à Boston, New York ou Reykjavík, transporter jusqu’ici la mer et la neige, le chaud et le froid, la nuit, les ciels immenses, des langues étrangères, d’autres temps. Vivre et travailler dans le déplacement, l’inconnu, est mon moteur le plus essentiel et cette année il s’est passé quelque chose de précieux: dans le chaos de cet enchaînement de projets créés à divers moments dans divers pays, j’éprouve une forme de justesse, une géographie cohérente, quelque chose qui me ressemble enfin. Ma mémoire n’est pas un ruban que je déroule, mais une brume plus ou moins opaque faite de trous, d’images, de stridences et d’éclats. Je vois Lou, radieuse, vaciller sur ses talons et la crête des mots ; les acteurs américains pleurer devant les standing ovations des jeunes de Saint-Denis au TGP ; les Islandais partager du requin pourri avec les spectateurs de Gennevilliers. Inoubliable représentation de Karski devant d’anciens bundistes1, le jour

“je parcours les rues de Varsovie comme un cimetière. On sent le sol arrondi par les cadavres dessous”

de l’anniversaire de mon père. Je vois Damien s’affranchir du sol avant de s’écrouler sur le gazon odorant. Il arrive de Tokyo, en tremble encore. Le gazon sur lequel il s’allonge devient radioactif, il porte en lui des sensations de terre qui tremble, de raz-de-marée, d’inquiétude, et des milliers de disparus. remonter dans le temps Une image résume cette année: Jim True-Frost, acteur essentiel dans mon histoire, le Prez de The Wire, éloigné de nous pour s’occuper d’un enfant très malade, retrouve son rôle de Brutus dans Julius Caesar (créé à Boston) après deuxans d’absence. Ses partenaires flottent autour de lui avec une douceur extrême, ils guident cet homme plein de larmes au milieu de ses propres traces. De même, la préparation de Jan Karski à Varsovie me hantera longtemps: Alexandra Gilbert qui répète sa danse finale un soir dans un couloir de l’opéra, mon étrange remontée dans le temps en rechaussant mes claquettes après vingt-cinqans, seul dans le théâtre à quelques stations de tram de l’ancien ghetto. En y apprenant mon texte, m’entendre énoncer le message désespéré transmis soixanteans plus tôt par ces deux juifs à Karski à quelques mètres de là me submerge. J’entends les notes des Pêcheurs de perles qui accompagnent Laurent Poitrenaux, surréel et traversé, l’enregistrement avec Marthe Keller dans la pénombre d’une cave. Je vois mes parents juifs d’origine polonaise qui y viennent pour la première fois. Un voyage éprouvant

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Frédéric Nauczyciel pour le Centre dramatique national Orléans/Loiret/Centre

Dans le ghetto de Varsovie

Szymon Roginski

à Siedlce, le berceau familial, se termine étrangement en pleine nuit dans le camp de Treblinka pourtant bien fermé et gardé. Nous errons à la lueur des téléphones portables: je suis terrifié par les aboiements lointains, mais je filme en nightshot mes parents qui rigolent dans le froid et font pipi derrière les arbres, images grinçantes d’un Blair Witch Project improbable. Ils sont extraordinaires, tellement dans la vie. Cela me bouleverse, j’apprends. Le lendemain, l’artiste polonais Mirosław Bałka, que je rencontre pour Jan Karski, me parle lui aussi de son film fait au nightshot à Treblinka. Il a filmé les pommiers, leurs feuilles qui bruissent dans le vent. La vidéo est hantée par les cendres dans l’air, dans le sol, et qui ont nourri les arbres, fertilisé les fruits. C’est le début de notre travail commun. Je parcours les rues de Varsovie comme un cimetière. On sent le sol arrondi par les cadavres dessous. Les grues qui creusent les fondations du musée de l’Histoire des juifs de Pologne me font froid dans le dos. Plus tard, à Avignon, l’article approximatif d’un quotidien essaie

de relancer une inutile polémique et me fait une peine immense parce qu’il m’attaque dans ce que j’ai de plus intime, malgré les retours bouleversants d’inconnus polonais, de survivants des camps et de leurs descendants. se cacher dans les trains Comme en écho, dans un train au retour de Florence, deux jeunes filles tunisiennes frappent et entrent dans ma cabine. Après trois mois à Lampedusa, elles ont des autorisations de séjour italiennes avec interdiction de sortie du territoire, maintenant périmées. L’une d’elle a écrit il y a trois mois

à sa sœur pour lui dire qu’elle arriverait à Bercy, ce jour-là. Achaque poste frontière, nous ne respirons plus, elles se cachent sous la couchette du bas. Le contrôleur fait semblant de ne rien voir. Al’arrivée au petit matin, la sœur est là et fond en larmes en les voyant. Fin d’année: sous les ciels gelés et cristallins d’Islande, il m’est arrivé quelque chose de troublant. Je faisais fondre de la neige dans ma main et respirais doucement l’air glacé. Je pensais à une distribution que je dois finir et me souviens d’un ami acteur que je n’ai pas vu depuis longtemps. J’imagine sa tête quand je lui annoncerai la nouvelle. Soudain je réalise que Daniel est mort depuis cinq ans déjà. Je me vide de mon sang. Mon cœur s’accélère. J’avais oublié qu’il était mort. “Il est impossible de supprimer la vie d’un homme, parce qu’un homme existe dans la vie des autres, et ce qu’on appelle le temps agrandit l’existence de chacun parmi toutes les existences” (Jan Karski, Yannick Haenel, Gallimard). 1. Membres du Bund, parti ouvrier juif créé en 1897 presque totalement anéanti durant la Shoah 21.12.2011 les inrockuptibles 59

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bas les masques Des artistes s’emparent de l’actualité de l’année. par Maria Bojikian, Jean-Max Colard, Claire Moulène

haro sur Berlusconi Dans cette vidéo intitulée Shifting SittingII, réalisée en 2011 et présentée au Jeu de paume, le vidéaste néerlandais Aernout Mik met en scène le triste sire Silvio Berlusconi, quelques mois avant sa chute, dans une parodie de procès où il endosse tous les rôles: celui de l’accusé, des jurés ou du public présent à l’audience. Aernout Mik, Shifting Sitting II (2011) 60 les inrockuptibles 21.12.2011

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Courtesy carlier | gebauer, Berlin. Photo Florian Braun

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Cyprien Gaillard, courtesy Sprüth Magers, Berlin, London

l’Irak en ruines Réalisé en Irak cet été, le dernier film de Cyprien Gaillard, lauréat du prix Marcel-Duchamp et de la Nationalgalerie à Berlin, a été tourné au téléphone portable sur les ruines archéologiques de l’ancienne Babylone, transformées en camp militaire pour les forces américaines. Cyprien Gaillard, Artefact (2011)

Un clin d’œil prémonitoire à l’affaire DSK ? Présenté cet été au MoMA PS1 mais réalisé en 2007, un cliché en ombres chinoises signé Laurel Nakadate, jeune photographe et vidéaste new-yorkaise. Laurel Nakadate, Farther from Home Than I’d Ever Been (2007)

Courtesy The Atlas Group/Walid Raad et Sfeir-Semler gallery, Hamburg, Beirut

Courtesy galerie Anita Beckers, Frankfurt, and Leslie Tonkonow Artworks + Projects, New York

que s’est-il passé dans la suite 2806 ?

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Courtesy The Atlas Group/Walid Raad et Sfeir-Semler gallery, Hamburg, Beirut

révolutions arabes: la fin de la captivité Dans ces clichés fantômes présentés à la Frieze Art Fair, l’artiste libanais Walid Raad, qui vient de recevoir le prix Hasselblad 2011, met en scène un (faux ?) prisonnier systématiquement photographié de dos par ses geôliers durant ses dixannées de captivité. Politique-fiction. The Atlas Group/Walid Raad, Hostage the Bachar Polaroids (2011), set of 20plates, plate 002, plate 008, plate 013, plate 018 21.12.2011 les inrockuptibles 63

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Courtesy Khaled Jarrar et galerie Polaris, Paris

la Palestine: vers la reconnaissance ?

Courtesy Karma International, Zurich

Artiste et ancien membre de la garde rapprochée de Yasser Arafat, Khaled Jarrar a fait sensation lors de la dernière Fiac. Sur le stand de la galerie Polaris, il a présenté un timbre et un tampon à l’effigie de la Palestine. Un pari en forme d’anticipation à l’heure où la Palestine négociait son entrée à l’ONU. Khaled Jarrar, State of Palestine # 2 (2011)

la banqueroute mondiale Peinture de la crise ? Sauvage et primitive, une peinture en forme d’épitaphe qui entérine la chute de la sphère économique mondialisée. David Hominal, 320 x 200cm in 2 Part, Part I (2011)

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un œil sur l’infini

De The Tree of Life à Melancholia, beaucoup de films en 2011 avaient la tête dans les étoiles afin de répondre à leurs questionnements terrestres. par Jean-Marc Lalanne

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The Tree of Life de Terrence Malick

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arement la ligne de partage n’a été aussi nette qu’en 2011: le cinéma mondial filme le monde, alors que le cinéma français ne filme que la société. Mais qu’est-ce que le monde ?

le monde Le monde ne suffit pas. Dire “les mondes” paraîtrait plus juste. Laphysique quantique a dégagé un terme pour décrire la coexistence d’univers possibles, qui doubleraient notre univers observable. Au socle solide de l’univers succèderait celui, beaucoup plus flottant et labile, de multivers. “Dans quel monde multiversel vivons-nous ?”: telle a été la grande question d’une année riche en films métaphysiques. Champion de la catégorie: TheTree of Life de Terrence Malick. On sait que la Palme d’or 2011 n’a pas rallié que des fans. Il est assez facile de railler l’ambition un peu folle d’un film qui entend dénouer les fils qui tressent une vie individuelle et le fonctionnement de l’univers. Quelle place occupe une vie humaine dans l’agencement cosmologique de l’univers ? D’où vient la vie ? Où va le passé ? En s’immergeant dans la mémoire d’un homme –ses jeux d’enfant, la terreur que lui inspirait son père, l’amour débordant pour sa mère–, c’est toute la mémoire du monde qui peut tout à coup faire irruption, jusqu’au temps des dinosaures. Le questionnement est immense, les réponses forcément insuffisantes et le cinéma un outil parfois trop faible pour les formuler

(autrement que sous la forme d’une imagerie saint-sulpicienne à base de plans de nature d’ArthusBertrand et d’images de plage censées figurer la vie après la mort). Le film est pourtant assez sidérant dans sa façon d’imaginer des courts-circuits entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, les mystères de la Voie lactée et une coccinelle posée sur une brindille, la formation du monde et des enfants qui jouent dans un jardin. Grâce à un montage étourdissant, où chaque plan semble ne durer que le temps d’être aperçu, où aucune scène ne se pose et rien ne consiste, le film opère d’incessantes ruptures de proportions et parvient à filmer dans un même élan, une même ferveur, la vie et son envers, le fini et l’infini, toutes les pointes du temps ramassées comme dans un bouquet. La personnalité de Lars von Trier est aux antipodes de celle de Malick. C’est l’ironie contre la foi, la cruauté contre l’empathie, un vieux fond de misanthropie contre des effusions de chrétien illuminé. Les ponts sont pourtant nombreux entre TheTree of Life et Melancholia. Même façon d’articuler l’immensité cosmique avec un drame intimiste à peu de personnages. Même tribut à Kubrick –qui, de la Cinémathèque française qui l’exposait aux films les plus en vue de l’année qui ne cessaient de le pasticher, était omniprésent cette année – et plus particulièrement à2001: la naissance de la compassion chez les dinosaures en réponse à celle de la technique chez les primates ; le bal grandiose dans les deux films de la rotation des planètes, etc. Moins répéré, et pourtant assez intéressant, Another Earth,

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Melancholia de Lars von Trier

film enfermé, L’Apollonide est aussi un film-monde, une odyssée de l’espace intérieur le premier film du cinéaste américain Mike Cahill, décrivait aussi quelques vies humaines souffrantes mises en regard d’une autre planète (visuellement très proche de celle de Melancholia), ouvrant nos vies sur des dimensions parallèles. Ajoutons, pour finir sur ces complexes feuilletés de mondes, que la confrontation à d’autres mondes peut se faire de façon moins dépressive ou angoissée. C’est par exemple sur le mode enchanteur de la féerie qu’Owen Wilson surfe sur les vagues du temps dans Minuit à Paris de Woody Allen. Dans ce monde gigogne, où le présent s’ouvre sur un passé (les années folles) qui s’ouvre sur un passé (les années1890),

les personnages entrent et sortent, pantins réjouis, passagers de ce grand manège propre à l’émerveillement que peut devenir le multivers. la société Où trouver dans le cinéma français une telle ambition, une telle ampleur de geste ? Quel film cette année, dans l’Hexagone, a bien voulu ouvrir sur un peu d’immensité cosmique les quatre murs de sa petite histoire socio-psychologique ? C’est paradoxalement le plus fermé de tous qui s’y est risqué. Bien qu’emmuré dans son bordel claustrophobique, L’Apollonide –Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello est aussi un véritable film-monde, une odyssée de l’espace intérieur, où les perceptions se dérèglent, où le temps devient une matière élastique, qui forme d’hypnotiques boucles. C’est peu dire que L’Apollonide, le plus beau film de l’année, tranche dans le cinéma français, où domine plutôt un cinéma de témoignage et de commentaire social. A son meilleur, cela donne L’Exercice de l’Etat de Pierre Schœller, étude fouillée et instructive du fonctionnement d’un cabinet ministériel. A son pire, c’est La Conquête, pantomime atroce, vieux cinéma de chansonnier à la remorque de la satire politique audiovisuelle. Entre les deux, cela donne des films gentiment bien-pensants, comme Toutes nos envies de Philippe Lioret, ou au contraire assez agressivement racoleurs, comme Polisse de Maïwenn et son éloge zélé de l’abnégation, du dévouement et de l’exemplarité de la brigade de protection des mineurs. 21.12.2011 les inrockuptibles 69

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Black Swan de Darren Aronofsky

La piel que habito de Pedro Almodóvar

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Le genre social par excellence, en France, c’est la comédie, qui n’a cessé de vouloir panser cette année l’angoisse de l’injustice sociale et la peur de l’exclusion. Les riches et les pauvres se prennent donc la main dans Intouchables, voire plus, comme dans Les Femmes du 6eétage ou Mon pire cauchemar. Et cet unanimisme réjoui a quelque chose d’indécent. Du coup, on sait gré à Cédric Klapisch d’injecter un peu de dissensus social à sa comédie romantique, jusqu’à en empêcher le dénouement réconciliateur (Ma part du gâteau). Et à Robert Guédiguian, avec son très inspiré Les Neiges du Kilimandjaro, de dresser le portrait abîmé d’une France de “classes moyennes à la dérive” (selon la belle expression du sociologue Louis Chauvel), où le travailleur, même prolétaire, devient un privilégié aux yeux du sans-emploi en voie d’exclusion pure et simple. le réel Que le cinéma puisse outiller ses spectateurs d’instruments de compréhension pour le monde dans lequel nous vivons, c’est ce dont ne doute pas le public de plus en plus nombreux des documentaires projetés en salle. Le secteur n’a jamais paru aussi vif et diversifié dans ses sujets –parfois hélas plus que dans ses choix formels. On a pu cette année suivre les travaux d’un photographe brésilien travaillant sur les décharges publiques au Brésil (Waste Land) et ceux du plasticien français JR (Women Are Heroes). On a suivi le quotidien d’une classe de première étudiant un roman du XVIIe disqualifié par le président de la République (Nous, princesses de Clèves) et celui d’un enfant palestinien recueilli dans un hôpital israélien (Precious Life). On s’est immergé dans un quartier égyptien dans le colossal Mafrouza, on a parcouru les grands espaces américains à dos de mouton (Sweetgrass), on a revécu l’histoire du Larzac (Tous au Larzac) et celle du régime Ceausescu (la très rusée Autobiographie de Nicolae

Ceausescu). Frederick Wiseman a frayé avec des danseuses semi-nues (Crazy Horse) et Wim Wenders avec la compagnie de Pina Bausch (Pina). A l’instar deson compatriote Wenders, mais de façon plus éclatante, Herzog a agrandi l’espace du cinéma documentaire par le fond avec une Grotte des rêves perdus en 3D. De ces feux croisés particulièrement nourris, on retiendra particulièrement Qu’ils reposent en révolte de Sylvain George, le très beau portrait de quelques migrants de Calais, tout en fragments expressifs et inspirés. l’argent Il n’y a pas que la niche du documentaire qui respire la santé. C’est l’ensemble de l’exploitation du cinéma en salle qui peut se féliciter d’excellents résultats. L’année 2010 avait paru exceptionnelle, puisqu’avec 206millions de spectateurs elle atteignait un chiffre record depuis 1967. L’année 2011 sera meilleure encore. Les prévisions annoncent 210millions d’entrées. Quelles que furent les craintes et les pronostics pessimistes dans les années90, décennie de déclin où la fréquentation passait en dessous des 190millions, les Français n’ont pas arrêté d’aller au cinéma, y vont même de plus en plus. Et pas seulement pour voir Intouchables. Beaucoup de films d’auteur ont trouvé leur public. The Tree of Life (850 000 entrées), Habemus papam (700 000), Melancholia (400 000), La piel que habito (600 000), La guerre est déclarée (850 000), Uneséparation (900 000, soit quatre fois plus que les meilleurs scores obtenus jusqu’alors par des films iraniens). Au-dessus, il faut compter aussi avec Drive (1,5million), Minuit à Paris (1,7) et surtout Black Swan (2,6), trois cartons pleins, critiques et publics. En dessous, on peut se réjouir des scores plus modestes, mais excellents rapportés à leur économie,

5 révélations

Elle Fanning En janvier, elle nous touchait en fillette rêveuse au bras d’un papa qui ne s’est pas beaucoup occupé d’elle dans sa vie (Somewhere de Sofia Coppola). En août, elle chassait l’alien et se déguisait en zombie sans rien perdre de sa grâce angélique (Super8 de J. J.Abrams). C’est la nouvelle petite princesse du cinéma et on fond.

Jessica Chastain Sa beauté de rousse tachetée a d’abord frappé les esprits dans The Tree of Life, où elle incarnait toute l’aura d’une mère idéalisée par les flux de mémoire d’un fils en pleine introspection. Dans le très fort Take Shelter, découvert à Cannes et en salle le 4janvier, elle creuse son sillon de mère de famille inquiète. Elle n’a que 30ans et sa maturité déjà impressionne.

Djinn Carrénard C’est le storytelling le plus efficace de l’année. Le garçon aurait réalisé son film pour 150euros et les médias ont adoré l’histoire, marchant comme un seul homme. Donoma n’est pas qu’une bonne opé marketing mais aussi un film à l’énergie électrique, révélant une personnalité de cinéaste tout à fait originale.

Athina Rachel Tsangari Elle est le socle de cette nouvelle vague du cinéma grec qui fleurit dans les festivals. Productrice, elle était associée au succès de Canine (2009), mais c’est comme cinéaste qu’elle explose avec le jubilatoire Attenberg, chronique des états successifs d’euphorie et de dépression d’une jeune femme perdue dans une zone industrielle sinistre.

Pierre Niney Le plus jeune pensionnaire de la Comédie-Française a brillé cette année sur les écrans. Sa prestation de charmant bluffeur dans J’aime regarder les filles devrait lui valoir au minimum une nomination aux César. Il était aussi un irrésistible garçon de café aux petit* soins pour Ariane Ascaride dans Les Neiges du Kilimandjaro de Guédiguian. 21.12.2011 les inrockuptibles 71

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de L’Apollonide ( 200 000), Pater et Tomboy (deuxfilms qui par leur dispositif ou la finesse de traitement de leur sujet comptent parmi les meilleurs de l’année et ont dépassé tous deux les 150 000entrées), Ilétait une fois en Anatolie (100 000). Tous les grands films de l’année n’ont pas marché (on peut déplorer par exemple que L’Etrange Affaire Angélica ou Un été brûlant n’aient pas élargi le cercle des fans d’Oliveira et Garrel, que le cinéma capiteux et virtuose de James L.Brooks –Comment savoir– soit aussi confidentiel) mais beaucoup de gestes artistiques forts, de films qui inventaient leur propre format, ont fédéré le public. Hollywood Le cinéma hollywoodien, s’il domine bien sûr très largement la fréquentation hexagonale, n’était pas cette année en très grande forme. Ce qui a assuré au cinéma français l’excellent score de 40 % de parts de marché sur son territoire (contre 35 l’an dernier). Aux Etats-Unis aussi, les scores sont assez moyens. Les plus fortes recettes sont assurées par des franchises plus ou moins usées: Harry Potter 7, Pirate des Caraïbes4, Le Monde de Narnia3, Kung Fu Panda2, Transformers3, Fast and Furious5… Difficile de dire pour chacun des titres de la série si on l’a vu ou si on le confond avec le précédent. Cette année c’est plutôt le cinéma d’auteur qui est sorti du lot dans le cinéma américain: Black Swan, Drive, True Grit des Coen, Somewhere de Sofia Coppola, Beginners de Mike Mills… Le cinéma de production plus courante a en revanche manifesté de gros signes d’essoufflement, notamment au sein des deux genres qui lui avaient valu durant les années2000 ses plus éclatantes réussites: le film de superhéros et la comédie. Ni Thor, ni Green Lantern, ni Captain America ne se sont imposés de façon incontestable. Etles excellents The Green Hornet de Michel Gondry et X-Men –Le Commencement de Matthew Vaughn ont déçu au box-office. En comédie, la situation est plus inquiétante encore. Le L.A. Times s’est même fendu d’un article durant l’été pour déclarer le secteur sinistré. De fait, B.A.T des frères Farrelly, Very Bad Trip2 ou Crazy, Stupid, Love n’ont ni le charme, ni la liberté d’écriture des grandes réussites du genre au milieu des années2000. Judd Apatow, maître en la matière, s’en tire néanmoins

en 2011, les Français n’ont pas arrêté d’aller au cinéma, ils y vont même de plus en plus

avec les honneurs. Mes meilleures amies, qu’il a produit, porté par l’irrésistible Kristen Wiig, a imposé une alternative féminine vigoureuse (et pas conventionnellement girly) au comique parfois exagérément masculin de ce type de comédie. hier et ailleurs Quand on quitte les Etats-Unis et la France, on tombe dans les 3 % d’entrées consacrées au reste du monde. Beaucoup de cinématographies nationales semblent se réduire aujourd’hui à une seule signature locomotive. Pedro Almodóvar, Lars von Trier, Nanni Moretti, Aki Kaurismäki, Nuri Bilge Ceylan et désormais Asghar Farhadi pour l’Iran (Uneséparation) ont donc représenté des pays dont leurs films sont chez nous l’unique vitrine (ou presque. En dehors de ce cinéma de grands auteurs, le reste du globe a du mal à exister. Quelques lueurs ont été observées néanmoins cette année du côté du Chili avec deux beaux films (Santiago73 de Pablo Larraín, Bonsái de Cristián Jiménez). La Corée du Sud est désormais le seul endroit d’Extrême-Orient dont on reçoit régulièrement des nouvelles: Entre chien et loup, J’ai rencontré le diable, TheMurderer et carrément deux films du prolixe Hong Sangsoo, HA HA HA et Oki’s Movie. Cet analyste obsédé des sentiments inconstants en a aussi tourné un troisième, avec Isabelle Huppert, que l’on devrait découvrir bientôt. Si l’ailleurs a du mal à mobiliser le cinéma français, l’ancien se taille en revanche un franc succès. A Paris, les grandes rétrospectives de la Cinémathèque française ou du Centre Pompidou valent tous les jours des salles remplies à bloc à des muets de Fritz Lang, des inédits de Werner Schroeter, des Blake Edwards méconnus ou les films de Kubrick, dont on pensait pourtant que tout le monde les avait déjà vus. Le plus beau retour au premier plan de l’année est incontestablement celui de Jerzy Skolimowski (dont Paris cinéma présentait toute l’œuvre). Avec Essential Killing, film poursuite à la fois haletant, mutique et abstrait, le cinéaste polonais a réalisé un de ses films les plus forts, tandis que Walkover, LeDépart, Travail au noir et surtout DeepEnd retrouvaient le chemin des salles (avec un beau succès public pour ce dernier). le cinéma Alors que les gens ne sont pas allés aussi massivement dans les salles (en tout cas en France) depuis plus de quaranteans, que des tas de beaux films disaient la vivacité intacte du cinéma, la vieille question théorique de la mort du cinéma a pourtant fait retour. Dans Hugo Cabret de Martin Scorsese, c’est l’irruption du long métrage, du romanesque, du personnage psychologique qui anéantit le petit laboratoire de prestidigitation de Georges Méliès. Dans TheArtist, c’est tout à coup le retentissem*nt d’un mug posé sur une table qui provoque l’incompréhension affolée de cette star de cinéma qui percevait le monde aussi muet que ses films.

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Les Aventures de Tintin de Steven Spielberg

Dans Dernière séance, c’est tout le cinéma d’auteur moderne qui menace de disparaître avec la fermeture d’un petit cinéma d’art et d’essai de province. A chaque fois qu’une forme disparaît, c’est tout un monde qui redoute l’engloutissem*nt. L’histoire du cinéma se résume désormais à la somme de ses trépas. C’est donc d’une certaine façon, nostalgique mais pas tragique (en tout cas chez Scorsese et Hazanavicius) à la mort de la mort du cinéma qu’on assiste. Car à chaque fois, c’est aussi à son incessante résurrection que nous convient lescinéastes: Hugo Cabret recense toutes les formes successives du cinéma après Méliès (pastichant successivement Chaplin, Truffaut…) ; TheArtist se clôt par le passage du muet au musical ; plus ambigu, Dernière séance se termine tout de même avec un projecteur qui se rallume. Car le cinéma, bien qu’il ne transmette plus que de la mort, ne saurait se résoudre à mourir. Pourquoi le cinéma s’est-il autant penché cette année sur ses successives métamorphoses, sur son parcours de phénix sans cesse consumé et re-né ? Probablement parce qu’il se trouve au seuil d’une grande mutation. Verrons-nous un jour la disparition du cinéma enregistré au profit de la performance capture ? La 3D menace-t-elle la 2D ? Deux films cette année ont rêvé sur un hypothétique cinéma du futur, qui sauterait l’étape de l’enregistrement. Dans LesAventures de Tintin, les lunettes cassées par la voix de la Castafiore, tous les instruments de vision sont moins performants que les surfaces réfléchissantes (vitres, flaques, miroirs) sur lesquelles glissent et se dupliquent les images. Le cinéma de demain, bientôt peut-être sans caméra, entièrement modélisé par ordinateur, sera celui de l’hallucination: les délires éthyliques du capitaine Haddock, les visions des filles de Sucker Punch qui les projettent dans des mondes parallèles. Les images iront directement du cerveau à l’écran en sautant l’étape de la reconstitution dans le réel et de l’enregistrement. La présence virale d’une image enregistrée, c’est pourtant cela qui rend par moments très émouvant Tintin, lorsque le visage de Jamie Bell scintille comme un feu follet sous le masque numérique du héros. Protocole fantôme, c’est l’intitulé magnifique, beau

comme un titre de Garrel des années 70, du dernier Mission:impossible. C’est aussi le mot de passe du cinéma à venir, où l’image enregistrée est promise à ne plus exister que sous une forme spectrale. Le cinéma n’est donc toujours pas mort, mais de plus en plus hanté.

top 10 des critiques Emily Barnett (sans ordre) L’Etrange Affaire Angélica deManoel deOliveira HA HA HA de Hong Sangsoo Rabbit Hole de John Cameron Mitchell Tomboy deCéline Sciamma Pater d’Alain Cavalier My Little Princess d’Eva Ionesco Un amour de jeunesse deMia Hansen-Løve Melancholia deLars vonTrier La guerre est déclarée deValérie Donzelli True Grit deJoel et Ethan Coen Romain Blondeau 1 L’Apollonide –Souvenirs de la maison close deBertrand Bonello 2 L’Etrange Affaire Angélica deManoel deOliveira 3 Tomboy deCécile Sciamma 4 Comment savoir deJames L.Brooks 5 La Dernière Piste deKelly Reichardt 6 La guerre est déclarée deValérie Donzelli 7 Attenberg d’Athina Rachel Tsangari, Dernière séance deLaurent Achard 8 Minuit à Paris deWoody Allen 9 Les Bien-Aimés deChristophe Honoré 10 Poursuite deMarina Deak Patrice Blouin 1 Dernière séance deLaurent Achard 2 L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu d’Andrei Ujica 3 Comment savoir deJames L.Brooks 4 L’Etrange Affaire Angélica deManoel deOliveira 5 The Tree of Life deTerrence Malick 6 Mes meilleures amies dePaul Feig 7 HA HA HA d’Hong Sangsoo 8 Super8 deJ.J.Abrams 9 La Grotte des rêves perdus deWerner Herzog 10 My Little Princess d’Eva Ionesco

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Amélie Dubois (sans ordre) La Dernière Piste deKelly Reichardt Sweetgrass deLucien Castaing-Taylor et Ilisa Barbash L’Etrange Affaire Angélica de ManoeldeOliveira Winter’s Bone deDebra Granik LeHavre d’Aki Kaurismäki O somma luce deJean-Marie Straub L’Epée et la Rose deJoão Nicolau Attenberg d’Athina Rachel Tsangari L’Eté de Giacomo d’Alessandro Comodin (inédit) La piel que habito dePedro Almodóvar Jacky Goldberg 1 Comment savoir de James L. Brooks 2 Les Aventures de Tintin –Le secret de la Licorne deSteven Spielberg 3 L’Apollonide –Souvenirs de la maison close deBertrand Bonnello 4 Sucker Punch de Zack Snyder 5 Detective Dee de Tsui Hark 6 Habemus papam deNanni Moretti 7 Mes meilleures amies dePaul Feig 8 Le Stratège deBennett Miller 9 Mission:Impossible –Protocole fantôme deBrad Bird 10 La guerre est déclarée deValérie Donzelli, Donoma deDjinn Carrénard Olivier Joyard 1 Essential Killing deJerzy Skolimowski 2 L’Apollonide –Souvenirs de la maison close deBertrand Bonello 3 The Tree of Life deTerrence Malick 4 Super8 deJ.J.Abrams 5 Hors Satan deBruno Dumont 6 L’Etrange Affaire Angélica deManoel deOliveira 7 La guerre est déclarée deValérie Donzelli 8 Pater d’Alain Cavalier 9 La piel que habito dePedro Almodóvar 10 Restless deGus VanSant Serge Kaganski 1 Hugo Cabret deMartin Scorsese Sweetgrass deLucien Castaing-Taylor et Ilisa Barbash 3 Trilogie Welcome in Vienna d’Axel Corti Mafrouza d’Emmanuelle Demoris 5 La piel que habito dePedro Almodóvar, L’Apollonide –Souvenirs de la maison close deBertrand Bonello, Melancholia deLars von Trier 8 Une séparation d’Asghar Farhadi 9 Pater d’Alain Cavalier 10 Tomboy deCéline Sciamma, 17filles deMuriel et Delphine Coulin Jean-Marc Lalanne 1 L’Apollonide –Souvenirs de la maison close deBertrand Bonello 2 Minuit à Paris deWoody Allen 3 L’Etrange Affaire Angélica deManoel deOliveira 4 Comment savoir deJames L.Brooks 5 Essential Killing deJerzy Skolimowski 6 Pater d’Alain Cavalier 7 La piel que habito dePedro Almodóvar, Dernière séance deLaurent Achard 8 Les Bien-Aimés deChristophe Honoré 9 Super8 deJ. J. Abrams, 10 La guerre est déclarée deValérie Donzelli

Jean-Baptiste Morain 1 Comment savoir deJames L.Brooks, Minuit àParis deWoody Allen 2 LeHavre d’Aki Kaurismäki, Qu’ils reposent en révolte deSylvain George 3 Le Cheval de Turin deBéla Tarr 4 La piel que habito dePedro Almodóvar 5 L’Etrange Affaire Angélica deManoel deOliveira 6 L’Apollonide –Souvenirs de la maison close deBertrand Bonello 7 Les Bien-Aimés deChristophe Honoré 8 Black Swan deDarren Aronofsky 9 Super8 deJ.J.Abrams 10 The Artist deMichel Hazanavicius Vincent Ostria (sans ordre) Attenberg d’Athina Rachel Tsangari La Solitude des nombres premiers deSaverio Costanzo Exit – Una storia personale deMassimiliano Amato La Ballade de l’impossible deTran Anh Hung Agua fria dePaz Fabrega Hors Satan deBruno Dumont Augustine deJean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat Dharma Guns deF.J.Ossang Entre chien et loup deJeon Soo-il Essential Killing deJerzy Skolimowski Olivier Père 1 Drive deNicolas Winding Refn 2 Melancholia deLars vonTrier 3 The Tree of Life deTerrence Malick 4 Essential Killing deJerzy Skolimowski 5 Black Swan deDarren Aronofsky 6 A Dangerous Method deDavid Cronenberg 7 La piel que habito dePedro Almodóvar 8 Super8 deJ.J.Abrams 9 La Grotte des rêves perdus deWerner Herzog 10 Dernière séance deLaurent Achard Axelle Ropert 1 Comment savoir deJames L.Brooks 2 Hahaha de Hong Sangsoo 3 Dernière séance deLaurent Achard 4 Impardonnables d’André Téchiné 5 Habemus papam deNanni Moretti 6 L’Etrange Affaire Angélica deManoel deOliveira 7 Minuit àParis deWoody Allen 8 Le Moine deDominik Moll 9 Mes meilleures amies dePaul Feig 10 Biette de Pierre Léon Léo Soesanto (sans ordre) L’Apollonide –Souvenirs de la maison close deBertrand Bonello Attenberg d’Athina Rachel Tsangari L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu d’Andrei Ujica Donoma deDjinn Carrénard La guerre est déclarée deValérie Donzelli Je veux seulement que vous m’aimiez de Rainer Werner Fassbinder Melancholia deLars vonTrier Mes meilleures amies dePaul Feig The Murderer deNa Hong-jin Pater d’Alain Cavalier 21.12.2011 les inrockuptibles 75

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–Souvenirs 1deL’Apollonide de la maison close Bertrand Bonello Pour son quatrième long métrage, Bertrand Bonello passe un cap et livre un film magnifiquement accompli. Hypnotique, addictif, suave et toxique comme une fleur carnivore, L’Apollonide est à la fois un grand film sur le travail et l’exploitation, le désir et la pulsion de mort, et enfin sur le cinéma.

Affaire Angélica 2PasL’Etrange de Manoel de Oliveira étonnant que la mort travaille Manoel de Oliveira, cinéaste centenaire. Mais on s’enchantera de voir que c’est une mort amoureuse qui le subjugue. Dans cette fable surnaturelle, un photographe (alter ego de l’auteur ?) s’éprend d’une jeune défunte dont le regard s’anime lorsqu’il la prend en photo. Hors du temps, ensorcelée, la chronique parvient, par quelque magie, à rendre l’au-delà romantique et envoûtant.

Comment savoir 3James de James L.Brooks L.Brooks prouve à nouveau son génie (incompris) avec une comédie sentimentale magistralement écrite, bâtie autour d’un triangle amoureux désopilant (Reese Witherspoon, Paul Rudd et Owen Wilson, aussi élégants que pathétiques) qui prend à bras-lecorps l’obsession numéroun de la comédie américaine sophistiquée: les bad life choices. 76 les inrockuptibles 21.12.2011

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top 20 films piel que habito 4EnLadese frottant Pedro Almodóvar à nouveau au genre, non loin des cauchemars de Franju ou de Cronenberg, Almodóvar trouve le meilleur des terrains pour traiter la problématique crossgender qui lui est chère. Adaptant Mygale de Thierry Jonquet, l’Espagnol défigure son cinéma, entre drame psychologique et thriller baroque, s’imposant plus que jamais comme le cinéaste de la métamorphose.

La guerre est déclarée 5A partir de Valérie Donzelli d’un matériau tragique, qu’on aurait cru inséparable d’une gravité oppressante (le cancer de son fils), Valérie Donzelli se lance dans une tragi-comédie pop en forme d’ode à la vie. En réussissant une alchimie bariolée, ménageant habilement la dérision et l’effroi, la belligérante Donzelli terrasse la sinistrose nationale.

séance 6LeDernière de Laurent Achard troisième long du plus sous-estimé des grands cinéastes français. Un grand film ténébreux sur la haine du principe de réalité, le pouvoir mortifère des fantasmes et la perte absolue de repères que constitue l’érosion du monde tel qu’on l’a d’abord connu et aimé.

7OnPater d’Alain Cavalier savait Alain Cavalier joueur, mais imaginait-on qu’il signerait un film politique si espiègle ? Mobilisant de sommaires moyens (une caméra, quelques décors naturels), Cavalier et Lindon singent le pouvoir, démontrant que ce dernier n’est que comédie. Un grand film sur les pères et les faux-semblants, aussi goûteux que les crus dégustés par nos deux tartuffes magnifiques.

8 8UnSuper de J. J. Abrams blockbuster numérique à alien, avec à l’intérieur un film de zombies low-cost à l’ancienne. Une initiation à l’amour, au deuil et au cinéma. Séparément, et bien sûr ensemble –l’amour du cinéma comme deuil. A la fois le film le plus spectaculaire et le plus intimiste de l’année.

Killing 9LeEssential de Jerzy Skolimowski corps muet et apeuré de Vincent Gallo traqué par la caméra inquiète de Skolimowski. Abrité au début par les canons de l’action movie, Essential Killing propose une inversion de point de vue, portant toute l’empathie du spectateur sur un taliban fugitif –joué par un Américain. Plus qu’un tour de force, le procédé vise une abstraction vertigineuse: l’existence n’est plus que fuite effrénée.

Minuit à Paris 10 de Woody Allen Peut-être lassé de Londres, Woody Allen s’offre une escapade à Paris, transbahutant Owen Wilson dans les années folles, à la rencontre d’Hemingway, Buñuel ou Dali. Le retour du New-Yorkais au fantastique, vingt-sixans après LaRose pourpre du Caire, lui permet non pas de filmer un Paris clicheteux, mais précisément de signer un film sur les clichés et une rêverie minnellienne sur le nouage entre rêve et réalité

11Melancholia de Lars von Trier 12Attenberg d’Athina Rachel Tsangari meilleures amies 13Mes de Paul Feig Tree of Life 14The de Terrence Malick

Havre 15Hahaha 19Le d’Hong Sangsoo d’Aki Kaurismäki Bien-Aimés papam 16Les 20Habemus de Christophe Honoré de Nanni Moretti Swan Hors Satan 17Black 20exde aequo de Darren Aronofsky Bruno Dumont 18Sweetgrass de Lucien CastaingTaylor et Ilisa Barbash 21.12.2011 les inrockuptibles 77

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“Mon père se moque toujours de mon obstination à tourner sur film, lui qui est à fond dans la technologie numérique.”

c’est dit ! propos recueillis en2011 par LesInrocks

“Etre obsédé par son apparence est la pire chose qui puisse arriver àun comédien.” NataliePortman

(n° 792, 2f évrier) “On peut faire des films ou des romans avec des personnages antipathiques. Personne n’a écrit la constitution légiférant sur le type de personnages qu’on a le droit d’écrire ou de ne pas écrire.” JoelCoen

(n° 795, 23f évrier) “Si être acteur, c’est jouer comme Sean Penn, alors je ne suis pas acteur.” NicolasCage

(n° 799, 23m ars) “Dans les années60, j’ai reçu une lettre de Jean-Luc Godard, que j’ai toujours en ma possession, où il me disait: ‘N’écoute pas ces imbéciles d’Américains ! Toi et moi sommes les meilleurs cinéastes du monde !” Benni Valsson

JerzySkolimowski

RyanGosling (n° 827, 5octobre)

MichelPiccoli

(n° 807, 18m ai)

SofiaCoppola

(n° 788, 5j anvier)

“Je me souviens de Rambo comme d’un choc. J’avais la sensation d’être somnambule, d’évoluer dans un autre monde. Exactement comme mon personnage dans Drive.”

“Tout le monde a une double vie. Sauf Sarkozy, qui n’est rien derrière la marionnette.”

(n° 801, 6a vril) “Ce qui manque à la 3D aujourd’hui, c’est une culture, une habitude. On n’a pas encore vu assez de films en 3D.”

“J’ai joué beaucoup de mères instables ces dernières années, je crois que j’ai fait le tour de la question !” IsabelleHuppert

(n° 807, 18mai) “Je ne veux pas être une star.” JessicaChastain (n° 807, 18m ai) “Avec Chiara, on est très différents, on n’a pas la même vie, les mêmes parents, le même milieu social, mais il y a toujours ce sentiment qu’avec elle j’arrive à parler à la première personne.” ChristopheHonoré

(n° 808, 25m ai) “La vérité n’est pas une notion abstraite. Elle surgit entre la personne qui la recherche et la personne qui la cache.” AsgharFarhadi

(n° 810, 8j uin) “Alain Cavalier, tout l’intéresse. Tout l’amuse, mes joies comme mes peines. C’est un peu le père que tout le monde rêverait d’avoir.” VincentLindon

(n° 812, 22j uin)

TsuiHark

(n° 803, 20avril) “Au moment où mon monde est en révolution, je suis à 10 000 kilomètres, en train de filmer la postrévolution c ubaine !” EliaSuleiman

“Une de mes influences majeures, c’est la chanson Pirouette, cacahuète: ‘Ma maison est en papier…, mes escaliers sont en papier’, etc.” MichelGondry

(n° 813, 29j uin)

(n° 805, 4m ai) “Cannes, c’est chiant. Et je ne suis pas très paillettes.” JoeyStarr (n° 807, 18m ai)

“Quand je suis parti tourner Moonraker, mes amis rive gauche m’ont dit: ‘Mais tu as joué Beckett, tu ne vas pas

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faire le méchant de James Bond.” MichaelLonsdale (n° 814, 6j uillet)

David Balicki

“Les seventies n’ont rien d’une île déserte, mais de manière relative, peut-être que si. Je vois cette période comme une utopie lo-tech.” J.J.Abrams (n° 816, 20j uillet)

“Le plus compliqué, c’est d’arriver à la simplicité. Dans la vie comme dans l’art. Car l’art n’est rien d’autre que la représentation de l’énigme de la vie.” ManoeldeOliveira (n° 798, 16mars)

“Pendant la Movida, les gens nous demandaient: ‘Mais que se passe-t-il en Espagne ?’ Je répondais: ‘Je ne sais pas’… Alors on acommencé à intellectualiser des actes et des œuvres qui avaient été conçus sans ça.” AntonioBanderas

(n° 820, 17a oût) “La transmission, c’est une fascination française. On atoujours peur de ressembler à sa famille… Jen’aime pas le mot ‘héritage’, c’est comme si on subissait quelque chose.” LouisGarrel (n° 821, 24a oût) “Je n’ai jamais eu envie d’être acteur. Comme j’ai toujours eu un côté petite pute, séducteur, ça me paraissait facile de l’être. Mais j’ai toujours pensé que les acteurs étaient de la chair à canon.” JérémieElkaïm (n° 822, 31a oût) “Un personnage que j’aimerais jouer ? Tartuffe de Molière. Pour être honnête, je ne le connaissais pas il y a

Nicolas Hidiroglou

“C’est ma mère qui m’a transmis le goût transgressif du cinéma. Elle m’a mis le nez dedans… Après, les gens s’étonnent ! J’étais très attirée par le cinéma, mais pas par le métier d’acteur spécifiquement. J’aurais pu devenir scripte.” ChiaraMastroianni (n° 821, 24août)

deuxheures, mais je suis passé devant une affiche et on m’a pitché la pièce. Je l’aime déjà.” TomHardy (n° 824, 14s eptembre)

“Je n’ai pas fait L’Apollonide avec une caméra1900. Donc, pourquoi utiliser forcément de la musique 1900 ? La soul, ce n’est pas théorique. Pour moi, c’est un choix évident, qui correspond à la condition des prostituées.” BertrandBonello

(n° 825, 21septembre) “Ça me convient assez de me définir comme le disciple de Godard. C’est mon maître.” PhilippeGarrel

(n° 826, 28s eptembre) “Je voudrais que le féminisme ne semble plus une cause annexe et communautaire, qu’il devienne un enjeu collectif, mixte… C’est un des rares et puissants leviers révolutionnaires.” CélineSciamma

(n° 830, 26oc tobre) “Mon travail est terminé. Je ferme la boutique. Je ne veux pas être un vieux bourgeois qui accumule les films et se répète sans arrêt.” BélaTarr (n° 835, 30n ovembre) “On entend souvent des gens reprocher au cinéma d’être un moyen d’échapper à la vraie vie. Et alors ? Et s’il y avait parfois nécessité de lui échapper, à la vie ?” LaurentAchard

(n°836, 7décembre)

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Le retour de Rayman, Uncharted 3, Child of Eden parmi tant d’autres : en2011, une avalanche inédite d’excellents jeux s’est abattue sur les joueurs. Cela n’a pas empêché la crise de mettre en déroute nombre de studios. par Erwan Higuinen

bonne année, mauvaise santé

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Rayman Origins: le retour en 2D du héros cartoon de Michel Ancel, l’excellente surprise de l’année 21.12.2011 les inrockuptibles 83

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Child of Eden: que se passe-t-il sur l’écran ?, On ne sait pas trop, mais c’est magnifique

I

l y a eu un petit bonhomme sans bras qui fait des bonds, un aventurier charmeur, des formes fantasmagoriques qui répondent à nos gestes, et puis des justiciers masqués, la renaissance du jeu de rôle “ouvert”, une plongée dans le LosAngeles des années40, des simulations automobiles à ne plus savoir qu’en faire… Le jeu vidéo avait-il déjà connu une aussi belle année ? Etablir un top10 n’a pas été une sinécure. Manquent notamment à l’appel: Skyrim, Forza Motorsport4, Top Spin4, NBA 2K12, El Shaddai, Driver–SanFrancisco, Shadows of theDamned, Bastion, Dirt3, BulletStorm et DeadSpace2, qui y auraient trouvé leur place dans une année “normale”. Pour les derniers Zelda et Assassin’s Creed, c’est différent, on l’a fait exprès –franchement, les gars, faites preuve d’un peu plus d’audace, la prochaine fois. Mais nous pardonnerat-on d’avoir exclu Blocks That Matter ? Le paradoxe est que cette effervescence créative s’inscrit dans un contexte économique morose. Pour un Modern Warfare3 qui bat des record au boxoffice (775millions de dollars de recettes en cinqjours), combien de studios et d’éditeurs en difficulté ? En mai paraissait l’excellent L.A.Noire. En octobre, le studio australien Team Bondi, qui l’a conçu sous l’égide de Rockstar Games, fermait ses portes. Et même sur l’AppStore, pris d’assaut (toutes proportions gardées) par les superproductions, certains indépendants font grise mine –difficile de suivre lorsque les jeux se comptent par milliers et que le marketing prend le pas sur le bouche à oreille. S’il n’a pas trop en tête le destin tumultueux des responsables de ses plus belles rêveries assistées, l’amateur de jeux vidéo a donc passé une bien belle année, équilibrée entre franches nouveautés et approfondissem*nts de concepts ludiques éprouvés. La grande tendance, c’est l’absence de tendances, l’explosion du marché en une multitude de chapelles qui ont la bonne idée de dialoguer un peu entre elles. L’évolution du jeu reposant sur la détection

la grande tendance, c’est l’absence de tendances

de nos mouvements est révélatrice. Chez Nintendo, on s’apprête à passer à autre chose. La console WiiU, qui succédera l’an prochain à la Wii, mise sur une autre grande mode actuelle avec sa manette-tablette: le jeu tactile. Chez Sony, le PS Move est à la fois une option offerte par des titres qui s’en passent très bien (Resistance3, par exemple) et une gamme séparée (dont se dégagent l’inusable EyePet et le très chouette Medieval Moves). Côté Microsoft, Kinect semble perçu moins comme l’avenir du medium que comme une interface alternative –pour commander ses vidéos à la demande, visiter Disneyland ou faire le malin sur Forza4. Child ofEden est l’exception qui confirme la règle: voilà un jeu qui offre une expérience vraiment neuve en analysant nos gestes. Dans ce tourbillon, 2011 aura marqué une sorte de retour aux fondamentaux, au game design (l’esbroufe technologique marche de moins en moins) et même au level design– à la conception d’environnements interactifs élaborés avec précision. C’est ce qui fait le prix de Portal2, d’Uncharted3 (qui ne se repose pas sur sa mise en scène cinématographique), de Super Mario 3DLand (modeste, obsédé par les détails, où chaque instant savamment amené est important) et même de Batman – Arkham City, dont la ville s’apparente à une accumulation de lieux passionnants plutôt qu’à un grand espace laissé plus ou moins à l’abandon comme c’est parfois le cas dans les jeux à monde ouvert. Xenoblade Chronicles est un peu à part: c’est la possibilité de voir au-delà de ce que l’on vit dans l’instant qui fait décoller le jeu. Mais le role playing game (RPG) japonais s’était trop souvent abandonné au grand spectacle strictement délimité pour qu’on ne salue pas sa hauteur de vue –et sa manière de négocier les temps morts qui, quoi qu’on en pense, ont leur importance dans le jeu vidéo. 2012 est presque là et les grandes manœuvres vont commencer. Le jeu portable est le premier visé. Après Nintendo et sa 3DS (à qui il a fallu une sévère baisse de prix et deux jeux Mario pour décoller commercialement), Sony s’apprête à défier les smartphones avec sa prometteuse PlayStation Vita. Mais les consoles de salon devraient suivre rapidement. Si la WiiU est déjà annoncée, les machines appelées à succéder à la Xbox360 et à la PS3 sont déjà dans les cartons. Les “vieilles” consoles ont pourtant encore beaucoup à nous offrir. Attendu cette année, TheLast Guardian (de Fumito Ueda, l’auteur d’Ico et de Shadow of the Colossus) a été reporté. C’est notre grand pari pour2012.

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top 10 jeux vidéo Origins (Ubisoft, sur PS3, Xbox360 et Wii) 1QuiRayman l’aurait cru ? C’est en revenant à la2D de son premier épisode vieux de seizeans que Rayman a retrouvé tout son allant. Avec son papa Michel Ancel aux manettes, le héros cartoon au gros nez se voit offrir une aventure aussi longue que riche en inspirations ludiques. Et qui ne refuse personne –venez, les amis, on peut même jouer à quatre. Pour être tout à fait honnête, on en attendait beaucoup. Mais quand même pas tant. (Naughty Dog/Sony, sur PS3) 2OnUncharted3 connaît la chanson. La technologie et les outils de développement sont rodés, tout le monde a le calendrier en tête: rien de plus simple que d’offrir une suite soigneusem*nt calibrée à un blockbuster vidéoludique. Et puis non: Uncharted3, ce n’est pas du tout ça. On pense à Indiana Jones, à Lara Croft, à Tintin. Et, soudain, on se retrouve seul dans le désert ; seul face à soi-même. L’expérience est mémorable.

Child of Eden (QEntertainment/Ubisoft, sur PS3 et Xbox360) 3Est-ce une baleine dans l’espace ? Et que nous veulent ces cubes explosifs ? Créateur célébré de Rez (mais aussi de Sega Rallye, de Lumines), Tetsuya Mizuguchi s’est emparé du capteur de mouvements Kinect (et du Move, sur PS3). Le résultat est un shooter sensuel et philosophique, un truc bizarre mais profondément marquant. On se surprend, on danse devant l’écran. Une chose est sûre: ce qui se passe ici est magnifique. (Valve/Electronic Arts, sur PS3, Xbox360 et PC) 4LaPortal2 vie est une énigme, et le plus beau, c’est qu’on trouve la solution. Aussi pop que cérébral, Portal2, encore plus fort que le premier, détourne les conventions du jeu de tir en vue subjective. Avec ses flingues sophistiqués, le joueur crée des passages d’un mur à un autre. Il navigue dans l’espace comme jamais auparavant. Il se creuse la tête, tombe du plafond, n’en revient pas. Et en demande toujours plus.

Kart7 (Nintendo, sur 3DS) 5OnMario aurait pu voter Forza4, Shift2 ou Dirt3. Mario Kart7 est pourtant le jeu de course de l’année. Après des années passées à ajouter et, parfois, soustraire des options de leur saga automobile née en1992, les développeurs de Nintendo ont cette fois tout mis sur la table et fait des choix. Le résultat se révèle merveilleusem*nt rythmé et équilibré –et il y a même du neuf: on plane et on conduit sous l’eau.

– Human Revolution (Square Enix, sur PS3, Xbox360 et PC) 6DeusEx Chronicles (Monolith Soft/Nintendo, sur Wii) 7Xenoblade Noire (Rockstar Games, sur PS3, Xbox360 et PC) 8L.A. Mario 3DLand (Nintendo, sur 3DS) 9Super – Arkham City (Rocksteady/Warner, sur PS3, Xbox360 et PC) 10Batman 21.12.2011 les inrockuptibles 85

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c’était mieux demain Alors que s’effondraient certaines valeurs sûres (R.E.M., Radiohead), de nouveaux sons et visages sont apparus dans le monde entier. Des Black Keys à Anthony Joseph, de WU LYF à Tinariwen, la musique, plus que jamais, parle toutes les langues. par JD Beauvallet et Stéphane Deschamps photo Vincent Ferrané

The Black Keys, auxs ources dur ock’n’roll: sexe, fête et sauvagerie 21.12.2011 les inrockuptibles 87

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Metronomy

C

ette année, ce magazine a fêté ses25ans. En compilant les meilleurs albums et chansons de2011, on s’est rendu compte, non sans un certain trouble ou un sourire en coin, que pas mal d’entre eux auraient aisément pu sortir en1986. Par un de ces cycles immuables de revival dont le rock a le secret, c’est comme si on avait effacé le disque dur, que l’on repartait de zéro. Des craquettes prometteuses comme Trailer Trash Tracys réinventent ainsi en parfaites Madame Jourdain le rock souillon et irréel de MyBloody Valentine. TheDrums, godelureaux américains sans doute même pas nés à l’époque, pourraient être fers de lance de labels que ces pages défendaient alors, de Factory à Sarah Records. Il y a plus troublant encore: voir les Smiths partout en vitrine des magasins de disques (il en reste, merci au DisquaireDay de le rappeler). Réédités à l’identique, comme des pièces historiques, on a vu ces vinyles des Smiths repartir sous le bras

de très jeunes fans, pour qui cette musique résonne avec la même pertinence, la même puissance qu’elle le faisait pour ce magazine en1986. Ce trouble spatiotemporel s’est étendu aux salles de concerts. En attendant les Stone Roses et les Happy Mondays en2012, on a ainsi revu Pulp ou Primal Scream, héros de nos premières années, devant un public pas forcément venu par mélancolie puante du “c’était mieux avant”. A 20ans, la nostalgie est heureusem*nt largement devant soi. En revanche, on ne devrait pas revoir R.E.M., Sonic Youth ou les White Stripes avant longtemps: les groupes se sont séparés. Fin d’une époque: même Bernard Lenoir et France Inter se sont séparés. Tout le monde n’a heureusem*nt pas conduit au rétroviseur. Dans le hip-hop notamment, où malgré quelques réactions d’orgueil des mastodontes, de Drake à Kanye West & Jay-Z en passant par les géniaux Roots, l’underground a fourni les voix les plus autoritaires, les plus indiscutables. Elles ont proposé à2011 ses argots de demain: on pense

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5 espoirs pour 2012

David A. Smith

Alabama Shakes

Metronomy a offert à la pop anglaise une magistrale leçon de modernité et de modestie

Météo France est formel: pas de tornade prévue en France ces prochaines semaines… Ça veut juste dire que les Alabama Shakes n’ont pas encore programmé de tournée ici. Un grand malheur pour tous ceux qui consomment le rock avec leurs tripes, leurs jambes et leurs hanches, toutes alpaguées par la soul électrique de ces Américains du Sud faussem*nt nonchalants, qui font passer les Kings Of Leon pour un boys-band. Eux ont une chanteuse, atomique et féline: elle sera star en 2012.

www.alabamashakes.com

Lana DelRey Voix à stopper les cœurs, production vintage, mélancolie sombre et moue de lolita fantasmatique, sa sublime et mélodramatique Video Games a incendié le net et propagé le feu bien au-delà de la simple hype passagère. Taillée pour la gloire internationale, l’Américaine Lana DelRey y dévoilait les premières pierres de son “Hollywood sadcore”. La suite devrait venir dès janvier, avec ce qui pourrait bien être l’album le plus attendu de2012. Cette élection-là est gagnée d’avance.

www.lanadelrey.com

Pavla Kopecna

Django Django On suit les Irlando-Ecossais depuis déjà quelque temps. De single génial en tube potentiel, on n’a pas eu à se presser pour ne pas les perdre de vue: malchance poisseuse et accidents divers ont jusqu’ici empêché ce croisem*nt du Beta Band, de Hot Chip et des Beach Boys d’atteindre la pleine lumière. Il faudra pourtant bientôt galoper derrière Django Django pour suivre le rythme infernal qu’ils imposeront à nos danses heureuses et folles. Un album, fabuleux, à venir en2012 les mettra, c’est certain, dans toutes les crampes.

Vincent Ferrané

www.djangodjango.co.uk

Madeon Dix-septans, mais le jeune Nantais Madeon a déjà bien plus que l’âge de ses artères. Avec septmillions de vues sur YouTube pour le bien nommé mash-up Pop Culture, des petit* tubes d’electro nucléaires en série, des remixes pour Yelle ou les Killers, des tournées sur les cinqcontinents, une science fantastique du mélange détonant (house, pop, hip-hop, rock et electro, en un maelstrom à danser), le garçon a plutôt l’âge des immenses boulevards et ponts internationaux qu’ont dessinés avant lui Daft Punk ou Justice. L’avenir du monde est sien.

à Orelsan ou au rap psychiatrique du collectif Odd Future, dont le garnement Tyler, The Creator est la personnalité la plus imposante apparue dans le game ces dernières années. Mais, dans la famille, on compte aussi sur les complexes Shabazz Palaces, sur une ribambelle de couillons joyeux (Das Racist, Set&Match, Theophilus London…) ou sur les étonnants Parisiens de 1995 pour confirmer que le rap a trouvé dans la marge, loin des projecteurs bling-bling et des capitulations FM, une nouvelle aire de jeux et d’enjeux, une nouvelle ère tout simplement.

Givers

Eliot Brasseaux

En Angleterre, la question du futur du rap ne se pose même pas: rien ne plaît plus aux Britanniques que d’adapter à leurs propres climats et patois des langues étrangères. Le hip-hop est ainsi, en trenteans, passé par toutes les métamorphoses, tous les étirements pour devenir une musique anglaise première langue. La dernière forme recensée de cet hybride en mutation constante, le dubstep, évolue

www.facebook.com/itsmadeon Ils sont basés à LaNouvelle-Orléans et offraient le mois dernier, lors d’un concert fou sur la scène de la Cigale, un des temps forts du dernier Festival des Inrocks. Repéré par le label Glassnote (TheTemper Trap, Mumford &Sons), Givers marche dans les pas de Vampire Weekend ou Matt &Kim, pour cet art de marier structures pop et rythmes d’ailleurs, et de jouer de la musique comme on fait le poirier des billes plein les poches: le cœur léger et le sourire immense. InLight est sorti il y a quelques semaines. Il fera la joie toute l’année.

www.giversband.com 21.12.2011 les inrockuptibles 89

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ainsi au jour le jour, s’immisçant tel un virus dans des musiques –de la pop au hip-hop– dont il ralentit le pouls, déglingue les humeurs, repeint la façade en noir. Sans rien lâcher de son exigence, de son goût immodéré pour l’expérimentation, il s’est ainsi invité dans le rap à gros bras de Drake comme dans la pop sensible de James Blake, dans les tourments de Zomby comme dans l’album de fête futuriste de SBTRKT. Sur leurs premières maquettes, le rap avait également été détourné, défiguré, martyrisé par les géniaux Mancuniens de WULYF, choc visuel et sonique de l’année. Sur leur premier album, on ne trouve plus la moindre trace de hip-hop, mais la même exaspération que chez leurs lointains cousins d’Odd Future face aux formats rigides des musiques, leur commerce dépassé. Leur musique, long cri primal, sera peut-être sans lendemain, tant on doute de leur capacité à maintenir si haut, si sauvage cette flamme, cette urgence. Mais ils ont signé la bande-son idéale pour le chaos, l’insurrection qui a secoué l’Angleterre à la fin de l’été (pour la saison2 des émeutes, attendre lesJO): un pays tétanisé par la peur qui réalise soudain que plus rien ne sera comme avant. Dans la pop ou le rock, il est étonnant de constater que ceux qui, ces dernières années, savaient à la Bowie traduire les idées de l’underground pour en faire une langue publique et accessible, ont fini par découvrir le bégaiement: pour leur futur, Björk, TheStreets ou Deus devront vampiriser d’autres cobayes. Même Radiohead, parti se requinquer dans le dubstep, en a rapporté un album trop inégal pour compter vraiment. Ace jeu de la remise en question, peu des valeurs sûres, bien en place, ont vraiment convaincu, à part les Kills, Arctic Monkeys ou, comme toujours, PJHarvey, sublime en correspondante de guerre.

Richard Brimer

Connan Mockasin, des rêves made in New Zealand

EnFrance, on mesure sur la diversité et l’ambition de la musique les effets secondaires de l’affaissem*nt des maisons de disques. Peut-être plus encore qu’ailleurs, les grands labels apparaissaient ici souvent comme un unique recours, une providence dont il fallait accepter les diktats, imposés par un environnement hostile au rock au sens large (politique des quotas, dictature des FM…). Livrés à eux-mêmes, libérés de l’obligation du français ou des formats, on ne compte plus les jeunes artistes aux ambitions internationales: derrière l’impressionnant péplum signé Justice, ils sont par dizaines partis, décomplexés, battre le pavé du village global. Juveniles, StuckIn TheSound, le collectif Kütu Folk, les fantastiques Frànçois & TheAtlas Mountains, DonRimini, Concrete Knives, MrNô, LaFemme, Housse DeRacket, Yuksek, Mansfield.TYA, Yelle, M83, Madeon ou le formidable Woodkid sont nés en France, mais –enfants du net– ignorent tout des frontières et des marchés locaux. Un tour sur les InrocksLab confirme aisément cette effervescence et cette impression de liberté gagnée.

on ne compte plus les jeunes artistes français aux ambitions internationales

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top 20 singles

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Fred Thomas

Lana DelRey Video Games

Anthony Joseph, le maître alchimiste

Foster ThePeople Pumpedup Kicks Metronomy The Look

TheBlack Keys Lonely Boy

Kanye West & Jay-Z Otis

La bougeotte agite également quelques jeunes vétérans ou vénérables premiers du rock d’ici, sortis brillamment cette année de leurs gonds et habitudes –on pense à Daniel Darc, Michel Cloup ou Miossec. Pour en terminer avec la France, on réserve une pensée émue à DJMehdi, mort absurde et vide répugnant dans l’electro française. Même tarif pour la diva soul Amy Winehouse, disparue en juillet. Dans les magazines, quand on veut étiqueter à la hâte une musique lancinante, mystérieuse, outrageusem*nt sexuelle sous ses airs angéliques, on parle de chansons “lynchiennes”. Il faudra trouver plus distinct désormais, après que David Lynch a justement publié un album où, comme dans un film, la réalité terrienne, animale de certaines musiques connues (blues, electro) est irrémédiablement viciée par des cauchemars toxiques, des rêves en spirales maudites. Ils ne se sont pas encore croisés, ni sur un tournage, ni dans un studio, mais2011 a proposé à David Lynch une égérie sur mesure: Lana Del Rey, déjà star après deux chansons –et il faudrait franchement être sourd, cynique ou blasé pour ne pas accueillir l’Américaine comme une sauveuse. Tout ceci paraît complexe, opaque même ? L’époque et sa confusion extrême l’exigent sans doute. Et pourtant, en contrepoids à cette gravité, nos deux meilleurs albums de l’année ont brillé par leur euphorie, leur générosité et surtout leur simplicité. Celui de Metronomy, espoirs année après année depuis2006, confirme enfin tout le bien qu’il faut penser du cerveau multicoloré de Joseph Mount, qui a offert à la pop anglaise une magistrale leçon de modernité et de modestie. Celui des Américains Black Keys, tout en sauvagerie potache et en fiesta turbo,

Miles Kane Come Closer

TheRapture How Deep Is Your Love? WULYF Dirt

TheKills Satellite SBTRKT Wildfire Massive Attack & Burial Four Walls Beirut SantaFe Chairlift Amanaemonesia Yelle Safari Disco Club Cults Go Outside TheWeeknd House of Balloons Blood Orange Sutphin Boulevard Drake Take Care Girls Vomit Theophilus London Wine and Chocolates 21.12.2011 les inrockuptibles 91

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top 10 concerts

1 2 3

Odd Future à Rock en Seine WU LYF au Point Ephémère

Frànçois & TheAtlas Mountains au Festival LesInrocks BlackXS

4 5 6 7 8 9 10

Battles à la Route du rock

Gruff Rhys au Point Ephémère

Pulp à Primavera Sound TV On The Radio à l’Olympia

Connan Mockasin à la Maroquinerie

Seamus Murphy

Sufjan Stevens à l’Olympia

PJ Harvey, déesse de la guerre

Booba à Bercy

Parler aux fesses, et parfois même avec les fesses, c’est aussi la grande affaire de deux sujets de sa Majesté, dont les disques ont cette année réconcilié la tête et les jambes –voire le cœur. Le premier, Anthony Joseph, originaire des Caraïbes, a sorti le bien nommé Rubber Orchestras, disque rétro-visionnaire monté sur ressorts, qui fait de la gym acrobatique avec la soul, le free-jazz, le slam et toutes les musiques sudatoires, et nous console de la disparition de Gil Scott-Heron. Soit un grand disque créole, encore plus passionnant que le retour de Kid Creole et ses Coconuts. La seconde, Hollie Cook, a mis des cocotiers plein la pochette de son premier album. Fille d’une paire de punks anglais historiques, elle a 25ans et fantasme l’âge d’or du reggae roots avec innocence, gourmandise et talent mélodique. Son disque solaire nous a permis de survivre à un été pluvieux. Vous l’avez compris, vous êtes entrés dans la phase “musiques du monde” de ce bilan annuel. Parce que le monde occidental a de moins en moins le monopole de la créativité, parce que les moyens de diffusion de la musique sont eux aussi globalisés, parce que plein de bons disques viennent de partout, il serait temps de parler de “musiques des mondes”. Ou de méditer cette phrase entendue sur le dernier album de Baloji: “C’est pas de la world-music, c’est de la musique de chez nous !” Baloji est un rappeur belge d’origine congolaise. Ou juste un musicien d’aujourd’hui, d’origine incontrôlée. Sur son album Kinshasa Succursale, on entendra aussi bien des musiciens congolais (dont Kononon° 1)

Mattia Zoppellaro

a redonné au rock’n’roll les jambes et la sexualité débridée de ses 20ans. Deux albums qui ont bien parlé aux fesses de2011, quand les têtes ont été malades.

que le hipster electro-pop Theophilus London, du rap que de la rumba. Comme Kinshasa Succursale, quelques-uns des meilleurs disques sortis cette année sont nés de rencontres, de frictions calorifères, de duos en grande conversation: David Neerman et Lansiné Kouyaté confirment tout le bien qu’on pensait de leur premier album, Justin Adams et Juldeh Camara cherchent la transe sous le nom de Juju, Pedro Soler et son fils Gaspar Claus offrent un futur au flamenco… AuBrésil, un continent musical à lui tout seul, on célébrait il y a une paire d’années les 50ans de la bossa. Aujourd’hui, on est contents de fêter l’avenir, grâce au disque de Lucas Santtana, qui s’inscrit dans la tradition des grands maîtres de la bossa, tout en usant d’une grammaire électronique contemporaine. Mais2011 fut surtout (comme2010) une grande année pour les musiques en provenance du Sahara: Tinariwen, Tamikrest et Bombino ont tous les trois sorti des albums de rêve, incandescents, généreux et sans concessions. C’est pas de la world-music, c’est de la musique de chez eux.

Les Rémois The Shoes : la pointure au-dessus

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Black Keys 1The El Camino

Le plus grand petit groupe du monde. Ce qualificatif, jusqu’ici exclusivement accolé à R.E.M., est désormais à attribuer aux Black Keys. Les deux d’Akron (Ohio) désormais installés à Nashville (Tennessee) –Dan Auerbach au chant et à la guitare, Patrick Carney à la batterie– prouvent, avec ce nouvel essai conçu juste dans la foulée d’un précédent album déjà classe et bombastique (Brothers), que le jus est plus que jamais de leur côté. Le disque en question, peaufiné par Danger Mouse, s’appelle ElCamino: surprenant, charnel, décomplexé et discoïde, il place le duo au cœur d’une sorte de Big Four qui ferait et déferait les tendances de la musique actuelle –juste aux côtés d’Arcade Fire, Daft Punk et, pourquoi pas, Kanye West.

Premiers Français à signer sur le primordial label anglais Domino. Important ? Oui et non. Car qu’elles soient liées à Bristol où il a vécu, à la Charente-Maritime où il vit, au Sénégal ou au Mali où elles vont prendre certains de leurs airs chauds, les chansons de Fránçois ne sont attachées par aucune racine. Aériennes, océaniques, radieuses, elles n’approchent jamais la terre ferme car elles appartiennent aux cieux et à l’océan. “Soyons les plus beaux”, est-il chanté: promesse tenue.

5Jonathan Wilson Gentle Spirit

Dans les années60, sur les hauteurs de Laurel Canyon, à LosAngeles, une tribu de musiciens rédigeait un des grands chapitres du folk-rockUS. Quaranteans plus tard, Jonathan Wilson leur rend hommage sur un album éblouissant et sous haute influence psychédélique, que hantent les fantômes de Crosby Stills & Nash, des Byrds ou même d’Elliott Smith. Jonathan Wilson n’est pas le petit-fils de Brian, mais son Gentle Spirit mérite sa place au panthéon West Coast.

6Daniel Darc La Taille de mon âme

Metronomy The English Riviera

2

En phénix perpétuel, séparé de son compère Frédéric Lo (aux commandes de Crèvecœur et Amours suprêmes) mais désormais associé à Laurent Marimbert, Daniel Darc renaît une nouvelle fois dans toute sa sombre superbe avec un album constituant le parfait reflet de son âme variable, de ses malédictions pesantes et de ses innocences plus enfantines entremêlées. En équilibre entre chanson divine, BO de film et rock racé, entre sérieux et cocasserie, autodérision et romantisme, poids des mots et légèretés mélodiques, La Taille de mon âme est l’un des plus beaux albums français de l’année.

Plus éblouissante que jamais, la formation de l’Anglais Joseph Mount inventait sur The English Riviera une pop sans sucre, sans gras, allégée et pourtant hautement calorique, à la consistance assez insolite: carapace rigide mais cœur fondant. Une véritable libération pour un groupe débarrassé de toutes ses autolimitations arty, dont on connaissait l’énorme talent depuis les premiers singles. “We broke free” (“nous nous sommes libérés”), murmure l’une des chansons de The English Riviera: c’est effectivement la grande évasion, fleur au fusil.

7Connan Mockasin Forever Dolphin Love

Le Néo-Zélandais Connan Mockasin a dessiné les arabesques sublimes de Forever Dolphin Love dans les boiseries craquantes d’une baraque abandonnée près de Wellington. Un chef-d’œuvre, écrit et déroulé comme un gamin perturbé déploie son subconscient dans des rêves incongrus. Forever Dolphin Love n’est pas réellement un album: un océan, plutôt. Un sac et son ressac, sous haute influence lunaire, quelque part entre Air (mais dans l’eau), la belle époque du Gainsbourg enfumé et les merveilles stellaires des Flaming Lips.

WU LYF Go Tell Fire to the Mountain

3

On se souvient parfaitement de cette nuit où WU LYF est arrivé pour la première fois à nos oreilles. C’était en2010 et le groupe, planqué derrière d’obscurs slogans et d’étranges collages faits main, n’avait pas encore dévoilé son visage, ni donné naissance à l’immense Go Tell Fire to the Mountain. La décharge, pourtant, fut intense et violente. Incantation animale hurlée comme un chant du cygne, la cathédrale pop viscérale des Mancuniens, dont la moyenne d’âge ne dépasse pas 20ans, brutalise l’âme et la chair, sent la passion et le désespoir. Sur un premier album incandescent, elle brûle le son par les deux bouts et ne laisse pas grand-chose sur son passage. Quitte à mourir maintenant, autant le faire, béat, dans les bras de ces gamins-là.

David Balicki

4Fránçois & The Atlas Mountains E volo love

8PJ Harvey Let England Shake

En refusant le confort d’un savoir-faire, la redite sans doute juteuse d’une carrière balisée en rock irascible, cagneux et électrique, PJHarvey progresse depuis vingtans à la machette dans une terra incognita où elle fréquente aussi bien le chaos que la plénitude, les ronces que le satin. Sous ses allures sereines et opulentes, son neuvième album raconte le chaos de la guerre et le déclin de l’Angleterre –un sommet à part, à la fois plus hostile et plus hospitalier, dans une discographie riche en pics escarpés.

9The Shoes Crack My Bones

Après une grosse série de collaborations (de Gaëtan Roussel à Shakira, de Yuksek à Erol Alkan), le duo rémois livrait cette année un premier album époustouflant. Telle une version moderne du Screamadelica de Primal Scream, Crack My Bones chasse la tête haute sur les traces de Hot Chip ou Metronomy. Têtu, généreux et authentique, refusant de choisir entre la pop et l’electro, le disque s’écoute un pied sur la piste de danse et l’autre en dehors –ces chaussures sont faites pour marcher.

10Tyler, The Creator Goblin

Disque de sang et de haine bordé d’un radicalisme punk sans concession, le brûlot noir et claustrophobe de Tyler, The Creator ne saurait mentir sur la nature profonde de son auteur: celle d’un gamin dérangé qui soliloque à loisir sur son enfance brisée, la haine de son père absent et la jalousie maladive qu’il voue aux trous du cul bien-pensants de l’Amérique blanche. Opéra hip-hop psychotique, l’album prodige du frontman du collectif californien Odd Future réussit un exploit: cartonner tout en ne s’adressant qu’aux puristes.

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top 50 albums Rhys 11Gruff Hotel Shampoo

22Justice Audio, Video, Disco

Leader cramé des furieux Super Furry Animals, GruffRhys est aussi un délicat génie pop: la preuve avec son splendide, ouaté et luxueux deuxième album solo.

Le duo electro s’offre une deuxième vie avec unalbum barjo, pop et unique.

Drums 23The Portamento

Un an après une rencontre douloureuse avec la gloire, les Américains livrent un deuxième album fulgurant sur lequel ils confirment leur talent de songwriters pop.

Cults Cults

12

Ranimée par ces deux jeunes Américains enthousiastes, la pop-music retrouve ses airs sixties et remet le slow au goût du jour.

Jaar 24Nicolas Space Is Only Noise

Baxter Dury Happy Soup

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Avec un album au minimalisme élégant, le jeune prodige new-yorkais ajoute son nom à la liste des producteurs electro passionnants.

Retour après sixans sans album de l’injustement ignoré Baxter Dury avec ce brillant Happy Soup qui casse la baraque.

Lives 14Other Tamer Animals

25Feist Metals

Reprendre une liberté totale après un tube interplanétaire et s’échapper pendant plus d’un an: Feist la forte tête sort de sa retraite avec un album sauvage, baba et magnifique.

Sorti des sous-bois pour tutoyer les anges, le folk majestueux des Américains d’Other Lives échappe à la pesanteur.

Blake 15James James Blake

Sensation britannique de l’electro laconique et du dubstep, le jeune James Blake confirme son statut de plus bel espoir catégorie crooner de l’ère digitale.

Timber Timbre Creepon, Creepin’on

26

Avec leur pop pastorale mais hantée, les Canadiens sont aujourd’hui les vrais champions de l’americana. Le groupe idéal pour une veillée joyeuse à Twin Peaks.

16Cat’s Eyes Cat’s Eyes

En duo avec une chanteuse d’opéra, le leader des Horrors signe un album de pop émerveillée et habitée, sous influence spectorienne.

Beaches 17Dirty Badlands

Father, Son, 27Girls Holy Ghost 11

Un Montréalais enfumé chasse le dragon entre Lynch et Suicide: noir et beau.

Hurry up, 18M83 We’re Dreaming

Installé à L. A. où il pourrait connaître un destin à la Phoenix, M83 y a conçu un péplum hollywoodien, épique et pop.

19SBTRKT SBTRKT

Par un collègue de Jamiexx et James Blake, l’album dubstep, langoureux et humain à emporter en vacances.

The Rapture In the Grace of Your Love

28 15

22

20Tom Waits Bad As Me

Tom Waits revient en grande forme après septans d’absence, plus rock’n’roll que jamais.

37

Après cinqans d’absence, TheRapture revient avec un album de dance hédoniste et sombre. Des titres jaillis des décombres qui s’affirment pourtant plus brillants que jamais.

29Beirut The Rip Tide

Revenu des doutes et de la folie qui rôdait, l’Américain sort un album radieux et apaisé. Un road-trip phénoménal sans bouger du hamac.

Drake Take Care

30

21Yelle Safari Disco Club

Les anciens fluokids sortent un fantastique deuxième album qui redéfinit la pop culture avec aplomb et malice.

Avec un disque à écouter à l’arrière d’un combi Volkswagen, le duo Girls met de la sauvagerie dans la surf pop. Pour les filles et pour les garçons.

44

Avec un deuxième album fleuve et sensuel, le Canadien Drake enfonce rien qu’avec le doigt le clou d’un hip-hop léthargique.

Kane 31Miles Colour of the Trap

41Orelsan Le Chant des sirènes

War On Drugs 32The Slave Ambient

El Khatib Will 42Hanni the Guns Come out

33Salem King Night

Foxes 43Fleet Helplessness Blues

Dum Girls 34Dum Only in Dreams

Past Life 44EMA Martyred Saints

Séparé des Rascals, échappé des Last Shadow Puppets, Miles Kane fait ses premiers pas en solo, entre pop sixties et rock fuselé sur un album rempli de petit* tubes anglais.

Vendue sous le couvert d’un CD, une drogue dure et addictive par les anciens camarades de Kurt Vile. Ça plane pour nous. Les Américains cintrés organisent la rencontre du hip-hop, de l’electro et d’une morgue gothique. Pour se préparer sereinement à l’apocalypse.

Amazones californiennes en cavale, les Dum Dum Girls ajoutent une goutte d’eau de rose à leur bouquet de chardons.

Go! Team 35The Rolling Blackouts

Extraordinaire antidépresseur, le troisième album des Anglais affine l’équilibre du groupe, entre pop roudoudou et lo-fi cradoque.

36The Horrors Skying

Formidables outsiders du royaume indie-rock, lesAnglais invitent le fantôme des Smiths sur un troisième album atmosphérique et sombre.

Dø 37The Both Ways Open Jaws Leur premier album fut un carton, mais TheDø était trop audacieux pour se contenter d’une copie carbone. La paire s’est lancée dans une nouvelle aventure impressionnante.

Zola Jesus Conatus

38

Fan de films d’horreur et de musiques gothiques et industrielles, l’Américaine réalise un troisième album d’electro anxieuse et pop.

Loin des polémiques, le nouvel album d’Orelsan retrace sans chichis la vie ordinaire d’un jeune homme moderne et offre au hip-hop français une de ses écritures les plus précises.

Le vent en poupe, le Californien Hanni El Khatib débarque avec sa musique, fière héritière de la British Invasion modèle 1964.

Troisans après un premier album vertigineux, les prodiges du folk américain réalisent un disque qui atteint lui aussi des sommets.

EMA a beaucoup bourlingué, de son Dakota natal àla scène punk de L.A.. Sur son premier album, sa musique âpre et fulgurante cherche des noises à PJHarvey, Courtney Love ou Cat Power.

Theophilus London 45 Timez Are Weird These Days Après une série de mixtapes tapageuses et un ep renversant, Theophilus London fait sauter les cloisons musicales sur un premier album passionnant.

46Mansfield.TYA Nyx

Fortes de deux albums prometteurs, les Nantaises explosent avec un opéra rock nocturne, baroque et fascinant.

47Miossec Chansons ordinaires

Pour son huitième album, Miossec revient toutes guitares dehors. Rock et dangereux.

Monkeys 48Arctic Suck It and See

De jeunes chiens fous aux riffs bâtis pour les dance-floors, la troupe d’Alex Turner passe au statut de loups de mer du rock avec un quatrième album béton.

39Anna Calvi Anna Calvi 49Yuck Yuck Déboulée de nulle part –un grenier londonien où elle s’est longtemps calfeutrée avec sa guitare–, Anna Calvi a été l’une des révélations de 2011, avec un rock âpre et distingué.

Bon Iver Bon Iver

40

S’adonnant dorénavant à la luxuriance, le folkeux américain Justin Vernon se réinvente en apesanteur. Du tout Bon Iver.

Un son distordu et en accidents constants : ces quatre Londoniens réinventent le rock slacker, simplement parce qu’ils adorent ça.

Lynch 50David Crazy Clown Time

Lynch a puisé son inspiration dans la musique impure, perverse et athmosphérique de John Lee Hooker. Un bon disque de sérieB, libre et sale. 21.12.2011 les inrockuptibles 95

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5 rééditions Beach Boys 1The Smile Sessions

tops 5 & 10 des critiques

Newbury 2 Mickey An American Trilogy

Abigaïl Ainouz 1 La Femme Le Podium 2 Twin Shadow Forget 3 Alex Beaupain BO LesBien-Aimés 4 Oh Land Oh Land 5 Metronomy The English Riviera 6 Cults Cults 7 WU LYF Go Tell Fire to the Mountain 8 Grouplove Never Trust aHappy Song 9 Hanni El Khatib Will the Guns Come out 10 Fránçois & The Atlas Mountains E volo love

Spector The Philles Album 3 Phil Collection

JD Beauvallet 1 WU LYF Go Tell Fire to the Mountain 2 SBTRKT SBTRKT 3 Metronomy The English Riviera 4 PJ Harvey Let England Shake 5 The Black Keys El Camino 6 Connan Mockasin Forever Dolphin Love 7 Salem King Night 8 Anna Calvi Anna Calvi 9 Tinariwen Tassili 10 Tyler, The Creator Goblin

(Capitol/EMI) Smile, annoncé à grand renfort de publicité chez les disquaires en janvier1967, devait être l’album le plus révolutionnaire de son temps, succédant dans le crescendo artistique hallucinant des Beach Boys du milieu des sixties au déjà culminant Pet Sounds. Pour des raisons complexes liées en grande partie à la paranoïa de Brian Wilson, Smile resta inachevé. Quarante-cinqans après l’avoir mis en berne, son maître d’œuvre l’affiche dans un impressionnant coffret: 5CD, un double lp et deux 45t, dans une charmante boutique en relief reprenant le dessin original de Frank Holmes.

(Saint Cecilia Knows/Differ-ant) Disparu il y a dixans, le malchanceux songwriter texan Mickey Newbury fut l’un des grands rénovateurs de la country au tournant des années70. Un coffret somptueux remet en lumière trois de ses disques foudroyants accompagnés d’inédits. L’ensemble est une véritable pastorale américaine qui puise dans les racines les plus profondes de la country et épouse ses ramifications folk et pop les plus fécondes. Ces trois albums résonnent comme les pendants américains de ceux que Nick Drake, dans les coursives du folk anglais, publia exactement à la même époque. (Sony Music) En sept albums qui définissent son fameux Wall ofSound, le producteur américain PhilSpector se faisait ànouveau coffrer cette année. Une pierre angulaire pour les monomaniaques et ceux qui veulent juste prendre la plus grande claque sonore de leur vie: beats contagieux, mélodies catchy, vocaux sexy et célestes, ensembles orchestraux (portés par le génial Wrecking Crew)… Cinquanteans plus tard, ces sessions sonnent comme une idéale bande-son sixties.

Nevermind 4 Nirvana –20thAnniversary Edition

(Geffen/Universal, 4CD + 1DVD) Déclinée sous les formes les plus diverses, la réédition du classique grunge offre, dans sa version à 100euros, des demos, des répètes, du live sauvage et le mix original de l’album par Butch Vig, finalement non commercialisé. Pour élargir le sujet, on se jettera sur la réédition en DVD du film 1991: The Year Punk Broke, docu sur la genèse du mouvement grunge.

5 The Smiths Intégrale

(Rhino/Warner, coffret 8CD) Simultanément sont sortis trois magnifiques coffrets reprenant l’intégrale des Smiths, amoureusem*nt remasterisés par leur guitariste Johnny Marr. La première version, livrée avec poster, reprend tous les CD du groupe, soit une mine d’or toujours brûlante. La seconde offre la même chose en vinyle. La troisième, un véritable petit placard, abrite des rééditions à l’identique de tous les singles, tous les albums, tous les CD plus quelques gadgets.

Guillaume Belhomme 1 Oren Ambarchi & Jim O’Rourke Indeed 2 Daunik Lazro Some Other Zongs 3 Eliane Radigue Transamorem –Transmortem 4 Morton Feldman Triadic Memories 5 Radu Malfatti/Keith Rowe ĭ Ondine Benetier 1 WU LYF Go Tell Fire to the Mountain 2 Beirut The Rip Tide 3 Slow Club Paradise 4 Black Lips Arabia Mountain 5 Tom Waits Bad as Me 6 Jeffrey Lewis A Turn in the Dream-Songs 7 Blood Orange Coastal Grooves 8 Friendly Fires Pala 9 Wugazi 13Chambers 10 Givers In Light Marc Besse 1 Metronomy The English Riviera 2 The Kills Blood Pressures 3 The Drums Portamento 4 Miossec Chansons ordinaires 5 David Lynch Crazy Clown Time

Thomas Blondeau 1 Aelpéacha Val II Marne Rider2 2 Grems Algèbre 2.0 3 Kendrick Lamar Section.80 4 Psykick Lyrikah Derrière moi 5 Tyler, The Creator Goblin Thomas Burgel 1 Yelle Safari Disco Club 2 Connan Mockasin Forever Dolphin Love 3 Fránçois &The Atlas Mountains E volo love 4 Baxter Dury Happy Soup 5 Feist Metals 6 M83 Hurry up, We’re Dreaming 7 EMA Past Life Martyred Saints 8 Battles Gloss Drop 9 The Rapture In the Grace of Your Love 10 Gruff Rhys Hotel Shampoo Nicolas Chapelle 1 Michel Cloup (duo) Notre silence 2 J.Mascis Several Shades of Why 3 Paul Thomas Saunders Lilac and Wisteria 4 Let’s Wrestle Nursing Home 5 Underground Railroad White Night Stand Christophe Conte 1 PJHarvey Let England Shake 2 White Denim D 3 Girls Father, Son, Holy Ghost 4 Cat’s Eyes Cat’s Eyes 5 Jonathan Wilson Gentle Spirit 6 Hyetal Broadcast 7 Daniel Darc La Taille de mon âme 8 Other Lives Tamer Animals 9 Balam Acab Wander/Wonder 10 Kate Bush 50Words for Snow Stéphane Deschamps 1 Emmanuelle Parrenin Maison Cube 2 Anthony Joseph & The Spasm Band Rubber Orchestras 3 The Black Keys El Camino 4 Bill Callahan Apocalypse 5 Francis Bebey La Belle Epoque 6 Michel Cloup (duo) Notre silence

7 Death Grips Exmilitary 8 The Dø Both Ways Open Jaws 9 Baloji Kinshasa Succursale 10 Hollie Cook Hollie Cook Francis Dordor 1 Anthony Joseph & The Spasm Band Rubber Orchestras 2 Tinariwen Tassili 3 Juju In Trance 4 Iron & Wine Kiss Each Other Clean 5 Melingo Corazón yHueso 6 Wye Oak Civilian 7 Jay-Jay Johanson Spellbound 8 Tamikrest Toumastin 9 Daniel Darc La Taille de mon âme 10 Hollie Cook Hollie Cook Jean-Baptiste Dupin 1 Moon Duo Mazes 2 Kurt Vile Smoke Ring for My Halo 3 Bosco Delrey Everybody Wah 4 Dirty Beaches Badlands 5 Grails Deep Politics Azzedine Fall 1 Connan Mockasin Forever Dolphin Love 2 Blood Orange Coastal Grooves 3 Booba Lunatic 4 Twin Shadow Forget 5 Metronomy The English Riviera 6 John Maus We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves 7 Theophilus London Timez Are Weird These Days 8 WU LYF Go Tell Fire to the Mountain 9 Lil Wayne Tha CarterIV 10 Joakim Nothing Gold Bruno Juffin 1 Gillian Welch The Harrow and the Harvest 2 Mustang Tabou 3 Girls Father, Son, Holy Ghost 4 Sonny And The Sunsets Hit After Hit 5 Shelby Lynne Revelation Road Jean-Marc Lalanne 1 Metronomy The English Riviera 2 Connan Mockasin Forever Dolphin Love 3 Fránçois & The Atlas Mountains E volo love 4 Housse De Racket Alesia

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tops 5 & 10 des critiques 5 James Blake James Blake 6 M83 Hurry up, We’re Dreaming 7 Alex Beaupain BO Les Bien-Aimés 8 The Shoes Crack My Bones 9 Katerine, Francis Et Les Peintres 52Reprises dans l’Espace 10 Collectif Jacno Future Christian Larrède 1 Mogwai Hardcore Will Never Die, But You Will 2 Hanni El Khatib Will the Guns Come out 3 Baxter Dury Happy Soup 4 Vinicius Cantuária & Bill Frisell Lágrimas mexicanas 5 Danay Suarez Havana Cultura Sessions Noémie Lecoq 1 Connan Mockasin Forever Dolphin Love 2 The Wave Pictures Beer in the Breakers 3 The Black Keys El Camino 4 Kate Bush 50Words for Snow 5 Other Lives Tamer Animals Gaël Lombard 1 Nicolas Jaar Space Is Only Noise 2 James Blake James Blake 3 Zomby Dedication 4 SBTRKT SBTRKT 5 Sepalcure Sepalcure Jean-Luc Manet 1 WU LYF Go Tell Fire to the Mountain 2 Wanda Jackson The Party Ain’t Over 3 The Fab Mods The Fab Mods 4 The Lords Of Altamont Midnight to 666 5 The Norvins Yoga with Mona Benjamin Mialot 1 The War On Drugs Slave Ambient 2 Aucan Black Rainbow 3 Iceage New Brigade 4 Tom Vek Leisure Seizure 5 John Maus We Must Become the Pitiless Censors of Ourselves 6 Tim Hecker Ravedeath, 1972 7 The Antlers Burst Apart 8 James Blake James Blake 9 Peter Kernel White Death, Black Heart 10 Social Distortion Hard Times and Nursery Rhymes Anne-Claire Norot 1 Brazzaville Jetlag Poetry

2 Russian Red Fuerteventura 3 The Pierces You &I 4 Arctic Monkeys Suck It and See 5 Smith Westerns Dye It Blonde 6 Dum Dum Girls Only in Dreams 7 Dengue Fever Cannibal Courtship 8 Noah & The Whale Last Night on Earth 9 Yuck Yuck 10 Marissa Nadler Marissa Nadler Yann Perreau 1 Cold War Kids Mine Is Yours 2 PJ Harvey Let England Shake 3 Metronomy The English Riviera 4 Lykke Li Wounded Rhymes 5 Yelle Safari Disco Club Jérôme Provençal 1 Mirel Wagner Mirel Wagner 2 Shabazz Palaces Black up 3 Peter Kernel White Death, Black Heart 4 ZZT Partys Over Earth 5 Ricardo Villalobos &Max Loderbauer Re: ECM Yannis Ruel 1 Miguel Zenón Alma Adentro –The Puerto Rican Songbook 2 Lucas Santtana Sem nostalgia 3 Bio Ritmo La Verdad 4 Melingo Corazón yHueso 5 Baloji Kinshasa Succursale Géraldine Sarratia 1 Metronomy The English Riviera 2 Connan Mockasin Forever Dolphin Love 3 Planningtorock W 4 PJ Harvey Let England Shake 5 Mansfield.TYA Nyx 6 The Drums Portamento 7 Discodeine Discodeine 8 M83 Hurry up, We’re Dreaming 9 Fránçois &The Atlas Mountains E volo love 10 Zola Jesus Conatus Johanna Seban 1 Mehdi Zannad Fugue 2 Josh Rouse And The Long Vacations Josh Rouse And The Long Vacations

3 Brent Cash How Strange It Seems 4 Fránçois & The Atlas Mountains E volo love 5 Smith & Burrows Funny Looking Angels 6 Real Estate Days 7 Treefight For Sunlight A Collection of Vibrations for Your Skull 8 Piers Faccini My Wilderness 9 The Middle East I Want That You Are Always Happy 10 Jonathan Wilson Gentle Spirit Pierre Siankowski 1 Orelsan Le Chant des sirènes 2 Bon Iver Bon Iver 3 The Weeknd House of Balloons 4 Tyler, The Creator Goblin 5 The Black Keys El Camino 6 Justice Audio, Video, Disco 7 Stalley Lincoln Way Nights 8 The Shoes Crack My Bones 9 Jay-Z/Kanye West Watch the Throne 10 Cults Cults Bernard Zekri 1 Foster The People Torches 2 Drake Take Care 3 Ibrahim Maalouf Diagnostic 4 Metronomy The English Riviera 5 Trombone Shorty For True 6 Jay-Z & Kanye West Watch the Throne 7 Omar Souleyman Jazeera Nights 8 The Roots Undun 9 Aziz Sahmaoui University of Gnawa 10 Akalé Wubé Akalé Wubé édition/maquette 1 Metronomy The English Riviera 2 Black Lips Arabia Mountain 3 Baxter Dury Happy Soup 4 Miles Kane Colour of the Trap 5 The Kills Blood Pressures 6 PJHarvey Let England Shake 7 GusGus Arabian Horse 8 Cults Cults 9 Scott Matthew Gallantry’s Favorite Son 10 The Rapture In the Grace of Your Love

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top 20 albums Baloji Kinshasa Stéphane Belmondo Succursale The Same as It Never 5Rescapé 13 du groupe de rap belge Was Before

Anthony Joseph & The Spasm Band 1Rubber Orchestras Né dans les Caraïbes et adopté par l’Angleterre, Anthony Joseph est forcément créole, métis, adepte des frictions et des échanges. Son troisième album est un grand chaudron où bouillonnent funk, afrobeat, free-jazz, slam. C’est surtout le disque d’un poète classique, ultime garant de la tradition de la great black music. Vintage, mais surtout vital, vivant et visionnaire.

Starflam, Baloji est parti au Congo, le pays de ses ancêtres, pour enregistrer Kinshasa Succursale, un album aussi sauvage qu’élégant. Il y a trouvé la meilleure façon, tradi-moderne, de raconter son histoire, faite de chaos et d’énergies débordantes.

Lucas Santtana 6Révélation Sem nostalgia de l’année, le jeune Brésilien est à la hauteur des grands maîtres de la bossa, tout en rénovant le genre par un traitement électronique de la musique. Sans nostalgie, donc.

Tinariwen Tassili

2la Après avoir parcouru le monde et trouvé gloire avec leur rock du désert électrique, les Touaregs de Tinariwen sont rentrés au pays (le Sahara) pour enregistrer un disque acoustique. Leur musique n’a jamais été aussi nuancée, lyrique, profonde, élémentaire que sur Tassili. Musique de fin de bivouac, quand les dernières braises s’éteignent, que l’immensité étreint.

Matana Roberts 7gens Coin Coin Chapter One, de couleur libres La saxophoniste se penche sur l’histoire afro-américaine et ça donne le vertige. Disque ambitieux et hanté, entre free-jazz, soul et gospel, Coin Coin nous en bouche un coin.

Melingo Corazón & Hueso 3chante L’Argentin Daniel Melingo d’une voix burinée l’argot des faubourgs de Buenos Aires et des taulards. Pour autant, Melingo n’est pas un travailleur social mais un poète et un comédien, dont le dernier album est un grand cru, un recueil d’histoires parfaitement orchestré, une cour des Miracles de blues latin.

Kouyaté-Neerman Skyscrapers & Deities

4album “Des gratte-ciel et des divinités”: le titre du deuxième du duo Lansiné Kouyaté et David Neerman plaçait

Agadez 8avecBombino La musique touarègue tient Bombino son guitar-hero. Son groupe sonne comme un Velvet ocre, au coucher du soleil, et sa voix douce louvoie comme un ruisseau au milieu de chansons assoiffées.

Aaron Neville I Know I’ve Been Changed

9Vétéran de la soul New Orleans,

la barre très haut. Le disque tient les promesses du titre: partis de racines africaines, le balafon de Kouyaté et le vibraphone de Neerman planent tout aussi haut vers le dub, le psychédélisme ou une musique d’ambiances inédites.

Aaron Neville a 70ans. Mais il chante toujours comme s’il était un ange ou un enfant. Ce disque de gospel à l’ancienne tient du miracle.

Sally Nyolo La Nuit àFébé

10 Sur son cinquième album, la diva franco-camerounaise poursuit son retour aux sources. Etonnante balade entre musique ethnique et chanson française.

Vinicius Cantuaria 11 &Bill Frisell Lagrimas mexicanas L’un brésilien, l’autre américain, deux guitaristes curieux musent et s’amusent, passant du rock psychédélique à la langueur tropicale, sur un terrain de jeu grand comme le monde.

Denis Rouvre

Oren Ambarchi & 12 Jim O’Rourke Indeed Après avoir enregistré de beaux disques en trio avec le vociférant Keiji Haino, Jim O’Rourke et Oren Ambarchi se retrouvent seuls le temps d’une joute atmosphérique chargée en électricité. Indeed…

En formation réduite, Stéphane Belmondo fait voyager sa trompette et ses conques entre New York et l’Afrique, entre hard-bop élégant et ethno-jazz mystérieux. “Pareil que jamais”: bon titre.

Hollie Cook Hollie Cook 14 Le premier album de l’Anglaise Hollie Cook recycle les bonnes vieilles recettes du reggae roots. Mais avec une naïveté, une chaleur et des mélodies qui ont fait de ce disque le rayon de soleil de l’été.

Juju In Trance 15 Ces deux-là se sont trouvés: le guitariste anglais Justin Adams et le musicien gambien Juldeh Camara cherchent désormais la transe sous le nom de Juju, et leur troisième album fait trembler la terre.

Pedro Soler & 16 Gaspar Claus Barlande Conversation intime entre un père guitariste de flamenco, Pedro Soler, et son fils violoncelliste touche-à-tout, Gaspar Claus. Emotions enracinées et manière contemporaine.

Tamikrest Toumastin 17 En 2010, les jeunots de Tamikrest faisaient souffler un courant d’air très chaud dans les musiques du désert. Le groupe confirme avec ce deuxième album, encore un peu plus rock et mystique.

Daunik Lazro 18 Some Other Zongs Le saxophoniste français Daunik Lazro enregistre au baryton la suite de son album Zong Book: d’autres chanzons périlleuses et accomplies, par un musicien intègre et singulier.

Fatoumata Diawara 19 Fatoumata Comédienne et chanteuse, Fatoumata Diawara s’offre le premier rôle dans un disque de folk sans frontières, de ballades funky sans œillères, dont la profondeur a la douceur consolatrice d’une caresse.

Tigran Hamasyan 20 AFable A 23ans, le pianiste Tigran Hamasyan tente le coup de l’album solo. Et c’est une réussite, entre jazz, répertoire pop et Satie, où la perfection technique n’empêche jamais l’émotion d’affleurer.

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c’est dit ! propos recueillis en 2011 par LesInrocks

“J’ai toujours eu en tête une vision de mon groupe préféré, celui que j’attendais. Comme iln’existait pas, je l’ai créé.” WU LYF

(n° 810, 8juin)

“Longtemps, ma voix a été un animal sauvage. Je l’ai apprivoisée.” Anna Calvi (n° 791, 26j anvier) “Un bon artiste est celui qui sait prendre les mauvaises décisions pour en tirer un élément positif.” Mike Skinner (n° 792, 2f évrier)

“La musique intemporelle, çam’a fait chier. On veut faire de la musique qui révèle une époque et son sens.” Yelle (n° 798, 16mars)

“Le minimalisme doit servir à aider la musique. C’est une mission difficile, faire plus avec moins.”

Thurston Moore

Nicolas Jaar

(n° 808, 25m ai)

(n° 798, 16m ars) “Pour moi, le monde est une grande plaine dans laquelle je chasse les bisons. Je chante et je suis un cheval.” Dick Annegarn

(n° 799, 23m ars) “La vie est plus grande que nous et seul l’art permet d’atteindre cette hauteur.” Lykke Li

“Plus je joue de manière traditionnelle, plus je me sens radical.”

“Je me disais qu’Oasis serait au moins aussi gros que Dodgy.” Alan McGee

(n° 813, 29j uin) “La pop-song n’a pas toujours été un truc putassier et vulgaire.” Cults

(n° 814, 6j uillet)

“Parfois, enregistrer un disque, c’est se cogner la tête contre les murs pour réussir àfaire entrer un carré dans un rond.” The Horrors

(n° 820, 17août) “Courir et finir le marathon m’a réappris legoût de l’effort et de larécompense: il faut se concentrer et fournir beaucoup d’efforts mais c’est simple, mesurable, il y a un départ et une fin.”

“Un cascadeur, c’est l’inverse d’un casse-cou: ça réfléchit à tout.”

“Pour moi, les bluesmen américains et les musiciens africains jouent à peu près la même chose.”

Cascadeur

Vieux Farka Touré

Baxter Dury

(n° 800, 30m ars)

(n° 814, 6j uillet)

(n° 820, 17a oût)

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“J’ai l’impression que lesartistes qui partent en couilles, c’est ceux qui n’ont pas vu qu’ils étaient devenus plus leur personnage qu’euxmêmes. Je fais gaffe à ce qu’Orelsan ne dépasse jamais Aurélien.” Orelsan (n° 821, 24a oût)

“Je ne veux pas être ce type qui fait de la musique des Balkans pour toujours.” Beirut

“Ma mère m’emmenait aux répétitions de Culture Club dans un panier en osier.” Hollie Cook (n° 815, 13juillet)

“Dans la vie, tu te fais une représentation de ce qui est confortable pour toi et tuévites ce qui ne l’est pas. Je veux explorer ce qui m’est inconfortable.” Zola Jesus

(n° 825, 21s eptembre) “J’ai toujours aimé la nuit, il y a des tas de choses dedans qui parlent, qui chantent ou qui racontent.” Feist (n° 827, 5oc tobre) “Qui peut prédire les sons qui naîtront des révolutions a rabes ?” Alex Kapranos

(n° 821, 24août)

(n° 830, 26oc tobre)

“On a commencé l’album lelendemain de la mort de Michael Jackson. Il fallait réécrire l’histoire, repartir de zéro.”

“Dans vingt-cinqans cesera peut-être le règne deshologrammes: au lieu de télécharger une chanson de Katy Perry, on téléchargera KatyPerry !” Beth Ditto (n° 830, 26oc tobre)

Housse De Racket

(n° 821, 24a oût) “Le monde voyage dans des avions et nous allons encore à pied. Il faut que l’un descende ou que l’autre monte.” Tinariwen (n° 822, 31a oût)

“Si je dois finir sans label, en jouant dans des bars minuscules, ça me va.” Hanni El Khatib

(n° 830, 26oc tobre)

“ Il faut apprendre àmettre les couilles sur la table pour que ça fasse tac-tac-tac.”

“Tous les groupes ont besoin d’un morceau pour se faire Joeystarr (n° 830, 26octobre) connaître, “Petit, je voulais devenir d’un gros leJames Dean juif.” caillou Adam Green (n° 822, 31a oût) pour fendre “Les sentiments adolescents lafenêtre.” sont les choses les plus sincères et vibrantes que l’on puisse transmettre dans une chanson. Ça va au-delà de la nostalgie.” Metronomy

Benni Valsson

(n° 823, 7s eptembre) “A part le sexe et certains trips au LSD, il n’y a rien de mieux que d’être sur scène avec des musiciens qui donnent tout et lepublic qui hurle.” Anthony Joseph

(n° 824, 14s eptembre)

Foster The People

(n° 830, 26octobre) “Si les filles se mettent àtuer des lapins, on est mal.” Jean-Louis Murat (n° 831, 2n ovembre) “Tout est chiant et nous sommes tous des putains de menteurs.” Spank Rock (n° 832, 9n ovembre) “Je suis né d’une aventure.” Baloji (n° 837, 14d écembre)

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où était le cool cette année ? par Laurent Laporte et Marc Beaugé

chez Ozwald Boateng, évidemment Dans le match ancestral qu’ils livrent à leurs confrères italiens, les tailleurs anglais ont marqué un point cette année, par l’intermédiaire de leur joueur le plus doué, Ozwald Boateng. Respectueuse des codes du tailoring anglais mais profondément moderne, la dernière collection de l’ancien designer de chez Givenchy fut certainement la plus excitante de l’année chez l’homme.

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dans l’émergence d’un nouveau streetwear Si2009 et2010 furent des années de consécration pour tous les aspirants bûcherons adeptes de la flanelle et du chambray, 2011 a vu l’émergence d’un contre-pouvoir. Sous l’influence de marques comme Norse Projects, Supreme ou New Balance, un nouveau streetwear, raffiné, sobre, un peu bourge aussi, est né. Il devrait prendre de l’ampleur en 2012.

plus du tout dans la chemise àcarreaux Ouf, il était largement temps que la tendance mode la plus increvable de l’histoire contemporaine s’essouffle enfin.

chez Warriors of Radness En 2011, alors que la plupart des créateurs cherchaient une énième façon de digérer les héritages preppy et workwear, les gars de chez Warriors of Radness se marraient. Pour la marque de Rick Klotz, fasciné par le look débile des surfeurs californiens90’s, 2011 fut l’année de l’explosion. Amplement méritée.

sans l’ombre d’un doute dans cette campagne Lanvin Les gens de la mode n’étant pas particulièrement réputés pour leur sens de l’humour et de l’autodérision, c’est avec délectation que l’on vit cet été les mannequins Lanvin danser comme des tanches sur un morceau du rappeur Pitbull. Drôle, belle et sexy, la campagne publicitaire de l’année. 21.12.2011 les inrockuptibles 107

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dans la collection hiver2011 de Jil Sander pour Uniqlo Parce que c’était la dernière, et peut-être la meilleure. En deuxans de collaboration avec Uniqlo, la créatrice allemande a réussi là où les designers ayant pactisé avec H&M ont toujours échoué. Elle fait descendre la mode, la vraie, intelligente, portable et durable, dans une chaîne de magasins grand public et relativement abordable. Jil Sander a décidé d’en rester là et de partir alors que tout roule. C’est frustrant. Mais cela lui ressemble. Bonne chance à Jun Takahashi, le designer de la marque Undercover, qui lui succède.

certainement pas dans les it-shoes de l’année, les Miu Miu Glitter Ankle Boots Très moches, les it-shoes de l’année, cette année.

dans le chemisier Equipment de Lana Del Rey Si l’Américaine, lookée par le réputé styliste Johnny Blueeyes (certainement un pseudo), se trompe rarement en matière de fringues, elle touche parfois au sublime. Dans le clip Blue Jeans, elle arborait ainsi, pour notre plus grand bonheur, un très chouette chemisier de la marque Equipment. Pour la petite histoire, la marque fut créée en1976 par Christian Restoin, le conjoint de Carine Roitfeld. Absolument culte dans les années90, elle a été relancée en2010.

sur le blog de Mr Mort Aforce de photographier des vieillards, hippies, ouvriers et marginaux aussi magnifiques les uns que les autres, MrMort a fait avancer, en2011, une idée à laquelle on souscrit pleinement: les modeux et les modeuses n’ont pas le monopole du style, loin s’en faut. mistermort.typepad.com 108 les inrockuptibles 21.12.2011

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Courtesy of Alexander McQueen photo Sølve Sundsbø/Art + Commerce

auMetropolitan Museum à NewYork, pour la rétrospective Alexander McQueen Archi bondée de son ouverture à sa fermeture, la rétrospective Alexander McQueen au Metropolitan Museum de New York a écrasé la concurrence en termes d’expo mode cette année. Mais au vu de la matière laissée par le designer anglais, décédé l’an passé, est-ce vraiment une surprise ?

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Gabriel Bouys/AFP

Jean Rolin et un roman noir hypercontemporain, Le Ravissem*nt de Britney Spears 110 les inrockuptibles 21.12.2011

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sunlights forever De Jean Rolin à Jonathan Franzen, d’Emmanuel Carrère à Eric Reinhardt, de Marie Darrieussecq à Nicole Krauss, un nombre impressionnant d’étoiles de la littérature a métamorphosé l’année 2011 en une constellation d’œuvres étincelantes. par Nelly Kaprièlian

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F

ascination. Le roman s’intitulait Ce qu’aimer veut dire, sans point d’interrogation: il s’agirait donc de nous divulguer un programme de vie, de nous faire don de cette vérité: qu’est-ce qu’aimer, en acte, quelqu’un ? Près d’un an après sa parution, le roman de Mathieu Lindon, qui prouve encore qu’on peut être un critique littéraire ET un très bel écrivain –chose aussi rare qu’un edelweiss sur l’île Maurice–, nous hante encore par sa langue inimitable, sa grâce bienveillante, la générosité de ses protagonistes dont le philosophe Michel Foucault et ce qu’il transmit au jeune Lindon: un art d’habiter sa vie et de se lier aux autres. Tout ça, mine de rien, sans jamais peser, s’angoisser, dépendre, exiger, contrairement à l’autre grande figure qui traverse le roman, Jérôme Lindon –ou des aléas de l’amour

Philippe Garcia

Marion Poussier

Emmanuel Carrère et une épopée passionnante, Limonov

Nicole Krauss et une fresque magnifique, LaGrande Maison

d’un père pour son fils et inversem*nt. Avec en guest-star, ou en frère de rêve, Hervé Guibert –ou de l’art de se choisir sa famille. Quel est le point commun entre le livre de Mathieu Lindon et ceux qui allaient nous surprendre, nous enchanter quelques mois plus tard lors de la rentrée littéraire– l’impressionnant Limonov d’Emmanuel Carrère, l’excentrique Ravissem*nt de Britney Spears de Jean Rolin ou le très novateur Clèves de Marie Darrieussecq ? Un même éditeur, Paul OtchakovskyLaurens, à la tête de la maison d’édition P.O.L, à qui on a envie de rendre hommage pour cette année 2011 tant ilnous a impressionnés par sa rigueur et son goût, sa passion toujours en actes de la littérature la plus pertinente. Une fois n’est pas coutume, trois des livres publiés par P.O.L se retrouvent ainsi parmi les cinq meilleurs textes de notre sélection.

Célébration. Saluons un instant le travail de certains éditeurs: les Editions de l’Olivier qui eurent 20ans cette année et s’imposèrent encore comme le meilleur éditeur de littérature étrangère avec la publication, dès janvier, de l’enquête choc de Jonathan Safran Foer sur le traitement des animaux que nous consommons (Faut-il manger les animaux ?), celle du magnifique La Grande Maison de Nicole Krauss au printemps dernier, et enfin la sortie fracassante de l’épopée familiale de Jonathan Franzen, Freedom, point fort de la rentrée littéraire. 2011 fut aussi l’année du centenaire de Gallimard, l’occasion de rendre hommage à Antoine Gallimard, petit-fils du fondateur Gaston, qui centans après sait toujours maintenir très haut la barre d’une qualité indéfectible. C’est chez Gallimard que paraissait cette année le plus somptueux roman d’amour qu’on ait lu depuis Belle du Seigneur d’Albert Cohen, LeMusée de l’innocence d’Orhan Pamuk.

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David Balicki

Philippe Garcia

Mathieu Lindon et un roman d’initiation émouvant, Ce qu’aimer veut dire

année sombre pour l’édition un marché morose D’un mois sur l’autre, des chiffres de vente négatifs. L’activité a reculé encore de 3,5 % au mois d’octobre. En cause, lacrise bien sûr, et la baisse du pouvoir d’achat. Surtout dans un contexte oùlalecture semble se dévaloriser socialement et où le nombre de “grands lecteurs” ne cesse de chuter. L’exceptionnelle actualité de 2011 –printemps arabe, f*ckushima, DSK– a également joué en défaveur du livre. Les premiers à en faire les frais: lespetit* éditeurs et les libraires indépendants. l’émergence du numérique En France, le livre numérique ne représente qu’à peine 1 % du marché, contre 8 % aux Etats-Unis. Mais avec l’arrivée du Kindle, la liseuse électronique d’Amazon, et la multiplication des tablettes (iPad,

Galaxy Tab…), l’offre devrait rapidement augmenter et répondre à une demande qui paraît forte. Les éditeurs semblent l’avoir compris et commencent à proposer des livres spécialement conçus pour ce support qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives, d’autant qu’une loi sur le prix unique du livre numérique a été votée en mai. le piège de la TVA En cette fin d’année, le gouvernement a choisi de ne pas faire de cadeau. Dans le cadre du plan d’austérité, le taux de la TVA sur le livre devrait passer de 5,5 % à 7 %. Certes, la commission des finances du Sénat vient de supprimer cet amendement du budget 2012. Mais c’est l’Assemblée nationale qui aura ledernier mot. Si l’augmentation est maintenue, elle pourrait porter un nouveau coup à un secteur déjà affaibli. Elisabeth Philippe 21.12.2011 les inrockuptibles 113

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top 25 livres

Illumination. Une année littéraire ne serait pas belle si elle ne charriait pas avec elle son lot de surprises. Surprise de découvrir des auteurs qu’on avait jusque-là boudés et qui s’imposent définitivement. Ainsi, lors de la rentrée, Simon Liberati nous a convaincus avec Jayne Mansfield1967 ; Sophie Fontanel aussi avec son élégant, fin et grave roman de l’abstinence joliment intitulé L’Envie ; et en novembre, Bernard-Henri Lévy a réussi, avec LaGuerre sans l’aimer, son plus grand livre, mix de journal de guerre (la Libye), roman géopolitique avec son lot de saynètes dérisoires ou immenses, roman aussi de la transmission paternelle, questionnements intimes autant que philosophiques sur la guerre et l’engagement, bilan d’une vie… Un texte hybride et total. Déception. Est-ce à cause de l’arrivée de Régis Debray dans le jury Goncourt à la place du grand Jorge Semprum, disparu cette année ? Le Goncourt, qui semblait avoir enfin décidé de s’adapter à son temps et à la littérature contemporaine en choisissant Atiq Rahimi en 2008, Marie NDiaye en2009 et Michel Houellebecq en 2010, a régressé d’un coup en 2011 en récompensant la fresque pompière et académique d’Alexi Jenni, L’Art français de la guerre, au détriment de l’épopée Limonov d’Emmanuel Carrère. Une injustice tellement flagrante qu’elle nous reste toujours en travers du gosier. Déviation ? Dans une année débordée par l’info et l’actualité, la littérature s’est vue débordante elle aussi de réel: Patrick Deville sur les Khmers rouges, Emmanuel Carrère sur Limonov et la Russie, Jean Rolin et Simon Liberati autour de vraies stars, le pénible Morgan Sportès sur un fait divers, etc. Une tendance lourde s’est dégagée en littérature en 2011: le réel a envahi le roman. Jusqu’à le tuer ? Au contraire: il l’a plutôt vivifié, contemporanéisé. Depuis longtemps, Emmanuel Carrère nie la désignation de “roman” pour ses textes tout en utilisant les techniques romanesques pour les écrire. Le réel devient plus que jamais moteur d’une littérature qui se joue encore davantage hors genres.

Mathieu Lindon Ce qu’aimer veut dire (P.O.L) Paru en janvier, le beau roman de Mathieu Lindon autour de son amitié avec Michel Foucault nous hante encore longtemps après : leParis des années70 et 80, Hervé Guibert, Jérôme Lindon, le père de l’auteur, Alain Robbe-Grillet et bien d’autres, la découverte de lalittérature et de l’hom*osexualité, mais avant tout ce qui nous unit aux autres. Un inoubliable roman d’initiation autour de ceux qui partent et de ce qu’ils nous lèguent. Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence (Gallimard) Le plus grand roman d’amour qu’on ait lu depuis des décennies, par le plus grand écrivain turc vivant –qu’on n’attendait vraiment pas dans le mélo amoureux. Autour d’une passion impossible entre une jeune fille pauvre et son cousin riche, Pamuk nous entraîne dans lescoulisses de la société stambouliote d’hier et d’aujourd’hui et nous ouvre les portes de son musée imaginaire, hautement fétichiste, à la base de toute son œuvre. Emmanuel Carrère Limonov (P.O.L) Entre biographie de l’écrivain russe le plus sulfureux, Edouard Limonov, et essai-reportage autour des bouleversem*nts de la Russie contemporaine, Emmanuel Carrère signait l’épopée la plus passionnante de cette rentrée littéraire. Du Moscou bolchevik aux dance-floors du Palace à Paris, de la Bosnie du mauvais côté à la Tchétchénie, de la politique jusqu’à la taule, itinéraire d’un aventurier à haut voltage romanesque, très limite idéologiquement, qu’on aime et déteste à la fois. Jean Rolin Le Ravissem*nt de Britney Spears (P.O.L) Le roman le plus original, excentrique et fragile de la rentrée nous avait complètement charmés. Reporter et écrivain, Jean Rolin transmutait en roman le récit de son pari: arpenter àpied Los Angeles, ville habituellement dévolue à la voiture, à la recherche-prétexte d’une pop-star déjantée, Britney Spears. Résultat: le texte hors norme, languide et drolatique d’une déroute sur fond de ville-cinéma fantomatique et de rues abandonnées aux losers en tout genre et paumés venus de l’Est. Un roman noir hypercontemporain. Eric Reinhardt Le Système Victoria (Stock) Quatreans après le choc Cendrillon, Eric Reinhardt s’impose toujours autant par son ambition, son souffle, la tension constante de son écritureet, avouons-le, sa réussite de scènes de sexe torrides. Un architecte bobo entre en collision avec une executive woman le temps d’un adultère très hot: un thriller brûlant, prétexte à interroger les rapports de classes et de domination sociales via le sexe.

Nicole Krauss La Grande Maison (L’Olivier) Marie Darrieussecq Clèves (P.O.L) Philip Roth Le Rabaissem*nt (Gallimard) Jonathan Safran Foer Faut-il manger les animaux ? (L’Olivier) David Grossman Une femme fuyant l’annonce (Seuil) Bernard-Henri Lévy La Guerre sans l’aimer (Grasset) Simon Liberati Jayne Mansfield 1967 (Grasset) Laura Kasischke Les Revenants (Bourgois) Jonathan Franzen Freedom (L’Olivier) Sophie Fontanel L’Envie (Robert Laffont)

Pierric Bailly Michael Jackson (P.O.L) Céline Minard So Long, Luise (Denoël) Alan Warner Les Etoiles dans le ciel radieux (Bourgois) Patrick Deville Kampuchéa (Seuil) Philippe Djian Incidences (Gallimard) Jérôme Garcin Olivier (Gallimard) Pascal Quignard Les Solidarités mystérieuses (Gallimard) Sara Stridsberg Darling River (Stock) James Frey Le Dernier Testament de Ben Zion Avrohom (Flammarion) Eric Laurent Les Découvertes (Minuit)

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5 révélations Adam Levin Les Instructions A 34ans, cet Américain a dépassé le seuil christique mais est déjà prophète en son pays. Aux Etats-Unis, ce jeune auteur originaire de Chicago, disciple absolu de Philip Roth, est comparé à David Foster Wallace. Cette année, il a évangélisé laFrance avec la parution de son premier livre, Les Instructions, génial roman monstre de plus

de 1 000 pages, dans lequel le héros, Gurion Maccabee, 10ans et plutôt violent, se prend pour le messie et se retrouve à la tête d’une révolte démentielle dans son collège. Entre l’ovni littéraire façon LaMaison des feuilles de Mark Z. Danielewski et l’humour de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, un livre culte. (Incultes)

top 10 des critiques

Eleanor Catton La Répétition Elle a tout de l’enfant prodige. A 10ans, cette Néo-Zélandaise qui a grandi en Angleterre écrivait son premier livre et l’envoyait à un éditeur. Elle a seulement 22ans quand paraît en Nouvelle-Zélande son premier roman, La Répétition, teen novel délicieusem*nt pervers qui a fait sensation à la rentrée. Une histoire de scandale sexuel dans unlycée de filles, adapté sur scène par des apprentis comédiens. Passionnée par la théorie du genre, Catton brouille les pistes à merveille entre le réel et sa représentation et parvient à entretenir l’ambiguïté propre à l’adolescence, âge trouble par excellence. Sa Répétition est un coup de maître. (Denoël)

Jean-Luc Bertini

Dalibor Frioux Brut Il raconte avoir fait le tour des éditeurs, son manuscrit sous le bras… Normalien, agrégé de philo, Dalibor Frioux n’aura pas attendu longtemps pour voir son premier roman publié. Il fut la révélation française de la rentrée. En transportant le lecteur dans une Norvège utopique, première puissance

pétrolière, l’auteur de 42ans a ouvert une réflexion à partir de thématiques ultracontemporaines: la vague écolo, les mouvements populistes, le mirage d’un libéralisme vertueux… Visionnaire malgré lui, révélé peu après la tuerie en Norvège, un écrivain précieux à suivre. (Seuil)

Juan Francisco Ferré Providence Souvent galvaudée, l’expression “afterpop” a repris avec lui des couleurs: adepte d’une littérature mutante, cet écrivain espagnol de 49ans a marqué la rentrée avec un roman où les genres s’entrechoquent dans un joyeux bordel. Science-fiction, satire sociale, campus novel, roman p*rnographique, le tout sous lebienveillant parrainage de J. G. Ballard, Philip K. Dick et H.P.Lovecraft… Révélation étrangère de la rentrée, Juan Francisco Ferré a largué une grande bombe postmoderne sur laplanète livre. Un nom à retenir. (Passage du Nord-Ouest)

Bill Clegg Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme Il est la preuve qu’on peut sombrer dans la drogue, y survivre et en témoigner plus tard dans un récit vibrant. De ses années d’addiction au crack, Bill Clegg, révélé en janvier dernier, n’a gardé que le pire: comment lui, jeune éditeur new-yorkais, a tout perdu au début des années2000 (job, appart, boyfriend) pour un petit coin de paradis artificiel. Témoignage poignant, narration à flux tendu, addictive, Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme est un livre qu’on ne lâche pas tant Bill Clegg, en véritable écrivain, fait entrer le lecteur dans sa folie. (Jacqueline Chambon)

Nelly Kaprièlian Emmanuel Carrère Limonov Eric Reinhardt Le Système Victoria Bernard-Henri Lévy La Guerre sans l’aimer Marie Darrieussecq Clèves Jean Rolin Le Ravissem*nt de Britney Spears Laura Kasischke Les Revenants Mathieu Lindon Ce qu’aimer veut dire Simon Liberati Jayne Mansfield 1967 Orhan Pamuk Le Musée de l’innocence Nicole Krauss La Grande Maison Emily Barnett Laura Kasischke Les Revenants Patrick Deville Kampuchéa Mathieu Lindon Ce qu’aimer veut dire Eric Reinhardt Le Système Victoria Céline Minard So Long, Luise Pierric Bailly Michael Jackson François Dominique Solène Monika fa*gerholm La Scène à paillettes Marie Darrieussecq Clèves Philip Roth Le Rabaissem*nt Bruno Juffin Jonathan Lethem Chronic City Philip Roth Le Rabaissem*nt Jonathan Coe La Vie très privée de MrSim Pete Dexter Spooner Madison Smartt Bell La Couleur de la nuit Jonathan Franzen Freedom Jérôme Charyn Jerzy Kosinski David Vann Désolations Eric Puchner Famille modèle Alan Warner Les Etoiles dans le ciel radieux Elisabeth Philippe Emmanuel Carrère Limonov Adam Levin Les Instructions Patrick Deville Kampuchéa Eleanor Catton La Répétition David Grossman Une femme fuyant l’annonce Eric Reinhardt Le Système Victoria Pierric Bailly Michael Jackson Simon Liberati Jayne Mansfield 1967 Maxim Biller Le Juif de service Alan Warner Les Etoiles dans le ciel radieux

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La Planète des singes de Franklin J. Schaffner, 1968

La sensibilité des humains face à l’animal aurait évolué

esprit, tu es là Une nouvelle génération de penseurs innovants redessine un monde commun et égalitaire. par Jean-Marie Durand

S

i les idées formaient un paysage, il évoquerait un terrain vague, presque trop vaste pour s’y retrouver totalement, et où surgiraient pourtant quelques pics au sommet desquels notre vision du monde pourrait s’éclaircir. Ce paysage se ferait l’écho du tumulte et de l’inquiétude qui traversent les sociétés. Le spectre des anciens. “Penser autrement les systèmes de pensée qui contraignent notre vision du monde”: l’héritage de Michel Foucault, dont on publia le premier cours inédit au Collège de France (Leçon sur la volonté de savoir), infuse plus que jamais dans l’esprit du temps, comme le soulignèrent ses nombreux héritiers (Bert, Artières, Eribon…). Avec Pierre Bourdieu, disparu il y a bientôt dixans, mais aussi avec Jacques Derrida et Claude Lévi-Strauss, dont on découvrit de beaux textes inédits sur le Japon, Foucault irradie le monde de la pensée, surtout lorsque la domination et l’émancipation en sont les objets. Dans un essai nerveux, Logique de la création, le jeune sociologue Geoffroy de Lagasnerie regrette l’âge d’or de la pensée des années60-70 oùs’inventèrent et circulèrent des théories en rupture avec l’ordre universitaire et disciplinaire. Mais il faut prendre acte d’un regain actuel de la pensée critique. Le livre collectif

Penser à gauche –Figures de la pensée critique aujourd’hui, en dessine les contours multiples et féconds. Le bien commun, une nouvelle utopie. Par-delà les horizons dispersés de cette gauche critique, se profile une obsession: le souci du bien commun. Confrontés aux périls du monde, la majorité des penseurs réenvisagent la question du lien social. Contre la cupidité et l’effacement des protections collectives, beaucoup tentent de “libérer pleinement la puissance du commun” (Toni Negri). De la morale au droit, de l’écologie à la convivialité, surgit une “cosmopolitique” qui vise à recomposer un monde partagé. Sous des airs utopiques, cette voie dessine un horizon réaliste puisqu’elle est “notreseule chance de survie” (Mireille Delmas-Marty). Les “sentiers de l’utopie”, empruntés dans leur livre par

Isabelle Fremeaux et John Jordan, forment le chemin des penseurs d’aujourd’hui. L’égalité. Au cœur de cette utopie, l’égalité s’impose comme l’urgence absolue. De Pierre Rosanvallon (La Société des égaux) à Thierry Pech (Le Temps des riches), une “façon de faire société” devient la préoccupation majeure. Recréer une société de semblables, mettre fin à la sécession des riches et au séparatisme social en défendant l’égalité de position, l’égalité d’interaction et l’égalité de participation: ce chantier transforme une perplexité diffuse en un questionnement organisé, politiquement décisif. Les progrès de l’histoire postcoloniale. De LaFrance noire, retraçant troissiècles d’histoire des Noirs en France, à Zoos humains et exhibitions coloniales, 150ans d’inventions de l’Autre, les travaux pilotés par Pascal Blanchard mettent l’histoire postcoloniale, longtemps minorée, au cœur de la recherche française. En déconstruisant nos stéréotypes culturels et en “décolonisant nos imaginaires”, ce nouveau courant déploie enfin les fondements de la critique postcoloniale théorisée par Edward Saïd. Une nouvelle génération d’historiens français se situe aussi dans l’héritage del’anthropologue Jack Goody pour, comme s’y essaie Romain Bertrand dans L’Histoire à parts égales, “rendre l’histoire” au reste du monde et refonder une “histoire symétrique” entre l’Orient et l’Occident. Une nouvelle histoire, transnationale, globale et “connectée” se construit ici. L’animalité obsédante. Penser philosophiquement l’animalité: ce fut aussi une obsession largement partagée dans lechamp de la pensée. D’Elisabeth de Fontenay à Tristan Garcia, des auteurs notent que tout a changé dans la sensibilité des humains face aux animaux. Ce que nous ne supportons plus de leur faire subir n’est que “le reflet inversé de ce que nous nesouffrons plus de nous être infligé”. Le savoir, déployé sous des formes multiples, nous renvoie à notre condition humaine fébrile: la figure réinvestie de l’animal est aussi une réaction à une crise du “nous” humain.

top 10 du critique Nicolas Grimaldi L’Inhumain Didier Fassin La Force de l’ordre Pierre Rosanvallon La Société des égaux Laure Murat L’homme qui se prenait pour Napoléon

Geoffroy de Lagasnerie Logique de la création Collectif Penser à gauche –Figures de la pensée critique aujourd’hui Pascal Blanchard La France noire Ruwen Ogien L’Influence

de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine Isabelle Fremeaux et John Jordan Les Sentiers de l’utopie Tristan Garcia Forme et objet –Un traité des choses

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pour en finir avec 2011 Des grèves, des difficultés financières, des morts… Heureusem*nt, la BD française s’est surpassée cette année. par Anne-Claire Norot

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omme tous les ans, le festival d’Angoulême amarqué en beauté le début de l’année BD: Joe Sacco et Manuel Fior ont été récompensés, ArtSpiegelman a reçu le Grand Prix de la ville d’Angoulême, qui l’a ainsi sacré grand manitou de l’édition2012. Mais les difficultés qui ont secoué pendant une bonne partie de l’année la maison d’édition indépendante L’Association ont troublé les réjouissances angoumoisines. Sur un stand vide, les salariés, réfutant l’argument des difficultés économiques, faisaient grève pour protester contre le projet de licenciement de la moitié de l’équipe. En avril, après quelques mois de guerre avec l’éditeur Jean-Christophe Menu, un conseil d’administration consensuel a été élu, comprenant ce dernier et quelques membres fondateurs (Lewis Trondheim, Killofer, David B.…) de retour après une brouille de plus de cinqans. Mais, devant son impossibilité à composer avec le nouveau bureau, Menu est parti fin mai en annonçant la création d’une nouvelle structure, L’Apocalypse, dont on attend des nouvelles pour2012. Ces problèmes n’ont pas empêché l’Association de publier certains des livres les plus passionnants de2011. LeRoyaume de Ruppert et Mulot, Jeanine de Matthias Picard ou encore Mambo, trésor de fantaisie de la révélation Claire Braud, ont enchanté le premier semestre. Celui-ci a aussi

été marqué par d’autres auteurs français très en forme: Gilles Rochier (TMLP), Ludovic Debeurme (Renée), Bastien Vivès (Polina), Lewis Trondheim (Ralph Azham), Hubert et Kerascoët (Beauté), Stanislas, avec l’adaptation du feuilleton radiophonique LePerroquet des Batignolles, ou encore Christophe Blain et l’ébouriffant Encuisine avec Alain Passard. Malgré deux séries manga enthousiasmantes (Soil de Kaneko Atsushi et l’élégant LaPlaine du Kantô de Kazuo Kamimura) et MisterWonderful de Daniel Clowes, les auteurs étrangers se sont faits plus discrets. Au printemps, nouvelle crise, aux Requins marteaux, cette fois. L’éditeur (notamment de Pinocchio de Winshluss, meilleur album à Angoulême en2009) a annoncé qu’il risquait de mettre la clé sous la porte s’il ne renflouait pas rapidement sa trésorerie. Depuis, un programme dynamique de souscriptions et de ventes aux enchères a eu lieu et à ce jour, les Requins, qui viennent de publier la très belle revue Frédéric magazine4 et la BD cul de Bastien Vivès, LesMelons de la colère, tiennent bon. La série noire a continué avec le décès de quatreauteurs et dessinateurs. Paul Gillon (LaSurvivante, LesNaufragés du temps) et l’Argentin Carlos Trillo (BangBang, Spaghetti Brothers…) meurent en mai ; Francisco Solano López, autre Argentin dessinateur du magistral L’Eternaute, et Jean Tabary, le père d’Iznogoud, en août. Après une trêve estivale ramollie,

on a assisté à une copieuse rentrée BD, où les auteurs français ont particulièrement brillé, comme Isabelle Pralong avec son poétique Oui mais il ne bat que pour vous, Chantal Montellier (L’Inscription), DavidB. et Jean-Pierre Filiu (Les Meilleurs Ennemis), MarcAntoine Mathieu (3secondes), Gabus et Reutimann avec la suite du feuilleton Cité14, Jean Harambat et son roman graphique atmosphérique En même temps que la jeunesse…, et Blutch, avec son intimiste Pour en finir avec le cinéma. Apartir de fin septembre, tout s’est accéléré avec une profusion de romans graphiques ambitieux et souvent volumineux, comme LeJournal d’un journal de Mathieu Sapin, LesIgnorants

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top 15 Delisle Chroniques 1Guy de Jérusalem Le portrait intime et pointilliste d’une ville mosaïque par le toujours fin Guy Delisle.

Braud 2Claire Mambo

Une épopée ébouriffante et optimiste par un jeune auteur à l’imagination débordante.

Joshua W.Cotter 3duMidwest Les Gratte-Ciel Comment vivent les teenagers dans l’Amérique profonde ? Un bouleversant regard sur la fin de l’enfance, entre petit* moments de vie et échappées fantastiques.

Pour en finir 4Blutch avec lecinéma

Un récit graphique sincère, mix d’essai, de rêverie et de fantasme sur la relation d’amour/haine qu’entretient Blutch avec le cinéma.

Dans Mambo, la révélation Claire Braud laisse éclater sa fantaisie poétique

d’Etienne Davodeau, deux livres de Robert Crumb (Parle-moi d’amour !, avec sa femme, et Nausea), LesAmateurs de Brecht Evens, Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle, Reportages de Joe Sacco, Habibi de Craig Thompson, et LesGratte-Ciel du Midwest de la révélation américaine Joshua W.Cotter. On n’oubliera pas non plus le retour de Valérian sous la plume délirante de Larcenet, le sixième tome des aventures de Jules, le héros ado d’Emile Bravo, Frederik Peteers et sa vision très personnelle de la SF (Aâma), le tome2 de Quai d’Orsay de Christophe Blain et Abel Lanzac. Fin octobre, la sortie au cinéma des Aventures de Tintin

–Le Secret de la licorne de Steven Spielberg a couronné une année où la BD est souvent sortie de ses cases pour fréquenter le grand écran (Titeuf, Captain America, les Schtroumpfs…), les galeries (Blutch, Gary Panter, les Schtroumpfs encore) et le rayon essai pour des interprétations sensationnalistes et absurdes (les Schtroumpfs toujours). Enfin, avant Noël, quelques rééditions indispensables sont parues, comme l’adorable Sibylline de Raymond Macherot, les œuvres complètes de Carl Barks, le génie derrière Donald Duck, ou encore L’Ascension du Haut Mal de DavidB. Un final en beauté pour2011 !

Harambat 5queJean En même temps la jeunesse… L’apprentissage de la vie par le rugby et la littérature. Une œuvre poétique et atmosphérique. 6Emile Bravo Les Epatantes Aventures de Jules, tome6 –Un plan sur lacomète 7Kazuo Kamimura La Plaine du Kantô 8Matthias Picard Jeanine 9Jason/Fabien Velhmann L’Ile aux centmillemorts 10Brecht Evens Les Amateurs 11Isabelle Pralong Oui mais il ne bat que pour vous 12Christophe Blain/ Abel Lanzac Quai d’Orsay –Chroniques diplomatiques tome2 13Gilles Rochier TMLP (Ta mère lapute) 14Gabus/Reutimann Cité14, saison2 15Crumb Nausea 21.12.2011 les inrockuptibles 121

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c’est dit ! propos recueillis en 2011 par LesInrocks

“Le fait de devoir choisir est angoissant. L’intranquillité et l’anxiété de devoir prendre une décision, d’être aussi libre, c’était vraiment cela mon sujet –davantage la phénoménologie du choix que la façon dont nos choix nous définissent.”

Rüdy Waks

Jonathan Franzen (n° 821, 24août)

Martha Camarillo

“Il existe une charmante malhonnêteté au sujet de l’amour, peut-être parce que cela légitime le mariage, la société. £Cela vous permet d’idéaliser votre conjoint pour mieux le supporter –sinon, comment rester engagé avec la même personne pendant des années ? On a besoin de beaucoup d’amour et de clichés pour supporter le mariage, un peu comme pour la religion.” Orhan Pamuk (n° 802, 13avril)

“Britney (Spears – ndlr) possède véritablement une part de souffrance tragique à la Marilyn. Dans cet acte de tonsure, on trouve quelque chose de Van Gogh se coupant une oreille ou de Kurt Cobain se suicidant.” Jean Rolin(n° 820, 17août) “Si les Américains mangeaient un plat de viande en moins par semaine, en termes de pollution cela reviendrait

“A de rares exceptions près, chacun de mes livres est un calvaire. Il existe des métiers très pénibles, eh bien, écrire en est un !”

“Ce qui est beau dans la culture juive, c’est cette conscience que la reconstruction ne sera pas parfaite, qu’elle sera un mix des souvenirs des uns et des autres, avec des trous, des manques. Pouvons-nous faire en sorte que les choses soient ànouveau telles qu’elles étaient ? Jamais.”

“Je me sens toujours malheureux quand on n’a pas eu un jeune auteur intéressant ou que tel auteur étranger nous a échappé aux enchères. Et il faut toujours garder la ligne Gallimard. Je n’irais pas publier Guillaume Musso ou Marc Levy et eux-mêmes ne voudraient pas venir ici.”

Philip Roth

Nicole Krauss

Antoine Gallimard

(n° 830, 26oc tobre)

(n° 805, 4mai)

(n° 804, 27a vril)

à supprimer sixmillions de voitures sur la route. Ce qui est formidable avec ce problème, c’est qu’il est très facile à résoudre.” Jonathan Safran Foer

(n° 789, 12j anvier)

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Ruth Clark

Urs Fischer and Georg Herold, Untitled, 2011. Vue d’installation, TheModern Institute/Toby Webster Ltd, Glasgow, 2011

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sur un air de fatigue Devant un marché de l’art qui consomme les œuvres comme des produits, les artistes ripostent et font l’école buissonnière. par Jean-Max Colard, Judicaël Lavrador et Claire Moulène

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Guillaume Ziccarelli. Courtesy the artist and Balice Hertling, Paris

Neïl Beloufa, Untitled, 2011. Vue de l’installation LesManques contenus, Balice Hertling, Paris

O

n commencera par la fin: l’annonce faite par Maurizio Cattelan d’arrêter en pleine gloire le cirque de l’art contemporain pour se concentrer sur sa revue Toilet Paper, et sa dernière et renversante rétrospective au Guggenheim Museum de New York. Tout cela ne constitue sans doute pas une “tendance” mais s’impose comme un événement retentissant au sein du champ artistique actuel. De quoi cet arrêt spectaculaire est-il le symptôme, sinon d’une certaine fatigue vis-à-vis du système de l’art ? L’écart se creuse donc entre les artistes et les instances de légitimation (marché, musées), entre l’offre et la demande: alors que les grandes institutions rivalisent à l’Audimat et se targuent du plus grand nombre d’entrées, que l’événementialité est devenue chose courante au point de ne plus faire événement, que le Grand Palais explose sa jauge à chaque expo de maître ou à chaque foire d’art

contemporain (Paris Photo ou Fiac), nombre d’artistes ressentent à l’inverse comme un impératif besoin de tourner le dos au public. Laurent Tixador a fait de cette fuite une œuvre, se fixant pour mission d’échapper, entre Nantes et Paris, à la meute des chasseurs de têtes qui lui couraient après pour accrocher triomphalement ses chaussures au mur de la Fondation Ricard. On voit même certains artistes renoncer, avec joie, aux grosses productions. Ainsi Pierre Huyghe s’en dégageait-il cette année en vidant la galerie Esther Schipper de Berlin, invitant le spectateur à cohabiter dans l’espace avec une cinquantaine d’araignées et de modestes fourmis qui toutes continuaient, indifférentes, à œuvrer dans leur coin. “Le succès de l’art contemporain a-t-il un prix ?”, se demandait le mensuel Art Press en janvier2011, question plus que jamais d’actualité. Les artistes voient bien les profits mais aussi les effets d’un marché de l’art toujours à la hausse, aussi florissant que la crise

nombre d’artistes ressentent comme un besoin de tourner le dos au public

est profonde. Devenu une “valeurrefuge” –c’est le mot consacré du moment– et affichant ouvertement son partenariat avec les puissances financières et leurs jeux spéculatifs (au point que certains, comme le très douteux fonds de pension pour artistes APT, en profitent pour décalquer et pervertir ce système en vase clos à des fins strictement financières), le marché consomme les œuvres comme des objets finis, manufacturés, photogéniques. C’est vite vu: emballé, c’est pesé… sinon on dégraisse, on déstocke, on liquide. Les artistes semblent mesurer que l’heur et la popularité croissants de l’art contemporain sur tous les fronts (marchands et médiatiques) les exposent paradoxalement à disparaître du haut de l’affiche aussi vite qu’ils y sont montés. La visibilité des œuvres d’un artiste peut être importante à l’inverse de sa présence réelle. Pourquoi ? Notamment parce que la montée en puissance des jeunes commissaires favorise la multiplication des expositions collectives, souvent constituées d’œuvres déjà produites, et où l’artiste peut avoir le sentiment de ne pas trouver son compte. Montrer une pièce ici ou là, au gré des expos qui se multiplient, ’est travailler beaucoup sans véritable retombée. C’est travailler plus pour montrer moins.

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Face à ce contexte, pas déprimant ni impossible certes, les artistes ont néanmoins de quoi tirer leur épingle du jeu. De quoi même changer sensiblement les règles. L’idéal pour eux serait de pouvoir imposer leur propre tempo au système de l’art: le rythme de leur réflexion et de leur production. Quelles stratégies adopter ? Ce peut être de montrer des travaux en cours. Le lieu d’exposition devient alors un lieu de transit, un stock parmi d’autres, une succursale de l’atelier. Mark Geffriaud construit sa maison au fur et à mesure des expos, Bublex continue de montrer des maquettes ou des étapes intermédiaires, Emmanuelle Lainé affiche des vues de son atelier dans la galerie TripleV à Paris, Raphaël Zarka ou Delphine Coindet délivrent presque en direct le fruit de leur résidence à la Villa Médicis, etc. Christian Boltanski, quant à lui, prend d’ores et déjà la tangente en annonçant pour janvier 2012 la création d’un journal en ligne accessible aux abonnés. Loin du marché de l’art et des salles de musée, il distillera chaque mois une dizaine de vidéos tournées comme des épisodes et envoyées du monde entier. D’autres artistes visent des formats mineurs, voire un nouvel “art pauvre”, comme on le vit dans la stimulante exposition collective du Carré d’art de Nîmes qui joue les alchimistes en transformant des matériaux “cachemisère” en trophées. Quand, à l’autre extrémité du spectre, certains se lancent dans une surenchère de spectaculaire et cherchent à faire à eux seuls l’événement: tel, à nouveau, Cattelan à NewYork ; ou sur un mode moins tragique, Christian Marclay et son puissant TheClock, une œuvre totale quasiment indépassable, qui avait subjugué les visiteurs de la Biennale de Venise avant de conquérir les publics très hétérocl*tes du Centre Pompidou ; tel encore Anish Kapoor et son énorme sculpture au Grand Palais. Sous la nef de métal et de verre, la rencontre “monumenta” du Léviathan gonflable et de l’architecture tourne au combat de titan et devient un événement purement artistique, capable de dépasser l’entendement, de stupéfier les foules et de rendre à l’œuvre d’art singulière sa capacité de surgissem*nt, contre le tout-venant de l’industrie culturelle. Et si, en2012, les artistes reprenaient la main ?

top 5 des critiques Jean-Max Colard

Claire Moulène

1Oscar Tuazon

1Pater d’Alain Cavalier

2Laurent Tixador

2Sarah Tritz

Le livre est mort au sens où la peinture est morte: merveille d’intelligence que Making Books, court texte mi-autobiographique mi-réflexif, écrit par l’excellent sculpteur américain et publié par Castillo/Corrales.

L’artiste s’est fait chasser mais pas choper entre Nantes et Paris. Les spectateurs de cette chasse à l’homme forment la meute des poursuivants. L’action solo et sauvage de l’année.

3Cyprien Gaillard

Une pyramide de caisses de bière turque dévastée par une foule de spectateurs ivres circulant parmi les cadavres de bouteilles. La version trash de la ruine, au KW de Berlin.

4les Frères Chapuisat

Occupation du lieu: après le spectaculaire balloon de Kapoor au Grand Palais, ou l’élégance de Markus Schinwald à Venise, la version dure, black bloc et minimale des Chapuisat au Centre culturel suisse.

5Clémence Torres

Une révélation: l’expo lyonnaise froidement relationnelle et postconceptuelle à la galerie BF15 de la jeune Clémence Torres, tout juste sortie des beaux-arts de Lyon. Asuivre.

Tous les vidéastes peuvent aller se rhabiller après cet ovni génial du cinéaste expérimental Alain Cavalier. Un docu-fiction qui nous balade jusqu’au vertige sur les crêtes du pouvoir imaginaire et générique. En2012, je voterai Vincent Lindon.

Des expos suturées et saturées. Ala galerie Anne Barrault et au Lieu Commun, Sarah Tritz gagnait du terrain avec ses compositions proliférantes. Des natures mortes contemporaines faites de bric et de broc.

3Karla Black

Tout droit sortie d’un film de Sofia Coppola, la dînette party organisée par l’Ecossaise Karla Black dans un vieux palais décati à la Biennale de Venise. Au menu: des sculpturesgâteaux en polyester, des nœuds et rubans de Cellophane rose et des blocs de savon découpés. On en mangerait.

4Trecartin & Fitch

Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris accueillait cette expo à deux vitesses, comme deux façons d’envisager le monde. Aplein tube, sur fond d’hystérie post-YouTube, dans un capharnaüm sans queue ni tête. Ou le son coupé, dans une contemplation désenchantée d’une fuite en avant, entre schizophrénie identitaire et dé-hiérarchisation généralisée. Perturbant.

5Richard Prince

A la BNF, l’une des expos les plus intelligentes de l’année. Pensée comme l’arrière-cour (ou la fabrique) de l’œuvre de Richard Prince: le récolement jubilatoire de ses sources bibliophiles. Des centaines de couvertures brutes ou customisées de romans SF, à l’eau de rose ou carrément p*rno directement importées de sa bibliothèque privée ou empruntées au fonds low-culture de la BNF.

Judicaël Lavrador Maillet 1Chloé & Louise Hervé

Pas vraiment une performance ni une exposition, plutôt une exposition performée (au sens aussi de la rhétorique classique). Dans la vieille chapelle, près du Frac de Reims, le duo contait à travers l’histoire du diorama de Daguerre celle, mortifère, de nos illusions, perdues en même temps que les trompe-l’œil se sont tus.

2Neil Beloufa

Pas labyrinthique, plutôt mécanique, l’exposition parisienne rodée, vissée, boulonnée par Neil Beloufa s’équipait de grilles métalliques, d’étagères, de verres, de bâches plastique où s’ouvraient des fenêtresvidéos. Où il était notamment question de la qualité de vie à Vancouver.

3Lothar Baumgarten

Rien vu de plus beau ni de plus profond que ce triple slide-show confrontant, à la galerie Marian Goodman à Paris, les minutieuses peintures d’oiseaux brésiliens d’Albert Eckhout (XVIIesiècle), des photos documentant la vie des Yanomamis (aujourd’hui) et leurs dessins aériens.

4René Daniëls

Le peintre néerlandais des nœuds papillons volant en escadrilles surréalistes a réglé cette année les problèmes de santé qui le tenaient éloigné des toiles depuis1987. Retour de hype, à Madrid.

5Phoebe Unwin

ALondres, les toiles graciles et facétieuses de cette peintre anglaise n’avaient besoin ni de “théorie” du tableau ni de prétexte processuel pour tenir au mur. Rare.

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4 temps forts

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les tribus, un microcosme

Marc Domage. Courtesy galerie Gabrielle Maubrie

Sur quoi ont travaillé les plasticiens cette année ?

Blaise Adilon

ThéoM ercier, Petit et grand Koudou, 2011

2 la dystopie, un flip

C’est plus un mot tendance qu’une nouvelle mode esthétique: la dystopie est une contre-utopie et désigne principalement un récit de fiction mettant en scène une société imaginaire cauchemardesque. Depuis peu, le terme saisit aussi le paysage artistique. Entre l’exposition Dystopia cet été au CAPC, qui tendait un miroir désolé et rougeoyant à une centaine d’œuvres à la déroute (signées Andreas Dobler, On Kawara, Sterling Ruby

Eduardo Basualdo, LeSilence des sirènes, 2011. Vue d’installation à la Biennale de Lyon (La Sucrière)

Le monde de l’art est mort, bienvenue dans les mondes de l’art. Grosse tendance cette année, ou plutôt confirmation d’un mouvement amorcé depuis le milieu des années2000: l’éparpillement des scènes et des acteurs. Car à force de grossir le nombre de curateurs, d’artistes, de centres d’art, de scènes artistiques jusqu’au bout glacé du Canada (cf.la géniale expo MyWinnipeg à la Maison rouge), on assiste à un paysage morcelé: soit la reformation de mondes endogènes qui obéissent à leurs propres règles, véritables microcosmes de critiques, curateurs, collectionneurs et galeristes. Parmi les tribus identifiées: celle des artistes-chercheurs qui flirtent avec l’histoire ou l’anthropologie (Camille Henrot ou Mathieu Kleyebe Abonnenc) ; la tribu ultradécomplexée et totalement hystérique venue de L. A. (dont Trecartin et Fitch étaient les meilleurs ambassadeurs en France) ; la tribu tribale façon Gelitin ou Andrea Crews et son campement d’été en Normandie ; la tribu des “poor artists” qui avec trois fois rien font des merveilles (Karla Black, Gabriel Kuri) ; celle, toujours en gestation, des artistes-activistes pour qui les révolutions arabes ont constitué un beau terrain d’expérimentation. Ces derniers se retrouveront au grand complet en juin 2012 à l’occasion de la Biennale de Berlin ouvertement politique d’Artur Zmijewski. C.M.

ou Aurélien Froment), le roman LePark de Bruce Bégout paru en 2010 et les fictions politiques de l’artiste juive et polonaise Yael Bartana au pavillon polonais cet été à Venise, entre la relecture critique de l’ancien bloc communiste et la façon dont nombre d’artistes revisitent les promesses du modernisme et son futur rapidement obsolète (Veilhan, Gaillard, Bublex…), l’ambiance n’est pas vraiment au meilleur des mondes possibles. Jmx

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Luis Giraud

Fabien Giraud, Metaxu (Introduction), 2011. “Il n’y a pas de raison que les hommes soient exemptés de ce qu’ils ont fait subir aux choses.” Phrase en plomb ayant servi à l’impression linotype du livre Metaxu, écrit en collaboration avec Vincent Normand

3 le livre, un fétiche

“Why the book?”, s’interrogeait la revue Kaleidoscope dans son dernier numéro. Pourquoi tant de livres dans le champ de l’art, de livres d’artistes, de monographies, de fanzines arty au moment même où l’on vit le tournant vers l’ère numérique, et quand l’écrivain François Bon publie Après le livre ? Hypothèse: comme le vinyle avant lui, le livre fait l’objet d’une fétichisation intense ; et son économie en berne, après celle du disque, court se protéger dans la valeur-refuge du marché de l’art. Où l’on voit se créer des lieux d’exposition et d’édition comme Rosascape ou la galerie Mfc à Paris, où les librairies indépendantes deviennent des galeries, où Dexter Sinister à New York et Castillo/Corrales à Paris deviennent les foyers actifs d’une réflexion sur l’art et sur la vie sociale du livre. Jmx

4

f*ckushima, c’était bien cette année ? Il semblerait en tout cas qu’une déferlante grisâtre ait recouvert un certain paysage de l’art contemporain. Une vague cendrée plutôt discrète à laquelle on accède par un simple œilleton pour mesurer, comme chez le Polonais Robert Kusmirowski présenté lors de la dernière Biennale de Lyon, l’ampleur du désastre. Ici, une bibliothèque en partie calcinée. Un raz-de-marée gris poussière qui nivelle le paysage domestiqué de Guillaume Leblon à la Fondation Ricard et submerge son atelier filmé après une inondation de boue. Une année couleur grège aussi, si l’on pense aux matériaux sans qualité retournés comme des peaux par les artistes réunis dans l’expo Pour un art pauvre. Inventaire du monde et de l’atelier au Carré d’art de Nîmes. Des matériaux généralement invisibles puisque dédiés à l’envers du décor, à l’image de cette plaque d’isolation rongée et tachée par GyanPanchal. Un fondu au gris, enfin, dans le projet en gestation que prépare le tout jeune Blaise Parmentier: un rallye chromatique sur le périph parisien. Où les couleurs peintes sur les murs d’enceinte finiraient par disparaître une fois dépassé le seuil de vitesse autorisée. C.M.

Olivier Haas

le gris et le grès, des cendres

Adrián Villar Rojas, ElAsesino de tu herencia, 2011. Pavillon argentin, Biennale de Venise 21.12.2011 les inrockuptibles 129

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Parsifal de Richard Wagner, mise en scène Romeo Castellucci 130 les inrockuptibles 21.12.2011

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démons et merveilles De la danse SM, des pièces inspirées par des mangas ou des docu-fictions, des policiers devant les théâtres : une année pleine de surprises.

Bernd Uhlig

par Fabienne Arvers, Hugues LeTanneur, Philippe Noisette, Patrick Sourd

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Enfant de Boris Charmatz au Festival d’Avignon 2011

A

nnée faste pour les arts de la scène, 2011 consacre une nouvelle génération d’artistes. En théâtre comme en danse, tous s’intéressent à des univers particuliers et différents: le travail du deuil, que le collectif La Vie brève aborde frontalement dans Robert Plankett ; un docu-fiction, genre venu d’outre-Manche, mâtiné d’histoire policière avec Occupe-toi du bébé de Dennis Kelly, joliment mis en scène par Olivier Werner ; l’adaptation d’un classique des mangas japonais avec Quartier lointain de Jirô Taniguchi, mis en scène par Dorian Rossel ; des transpositions pleines d’humour de classiques d’opéra, de Mozart à Monteverdi et Berg, par le Hongrois David Marton, ancien assistant de Christoph Marthaler qui inspire aussi le Letton Alvis Hermanis, dont nous avons pu voir ou revoir cette année deux petit* chefs-d’œuvre, TheSound of Silence et LesDemoiselles de Wilko. Joël Pommerat, artiste associé de l’Odéon, s’est intéressé brillamment aux rapports entre le monde de l’entreprise et celui de la scène, mettant en œuvre une mécanique théâtrale aussi implacable que drôle dans Ma chambre froide. Sans parler des spectacles d’exception signés par des metteurs en scène qui n’ont plus à faire leurs preuves: Alain Françon nous a offert une Fin de partie d’anthologie et une mise en scène fidèle à la virgule

près aux indications de Samuel Beckett, tandis que Patrice Chéreau a confirmé avec brio son retour sur les plateaux avec IAm the Wind de Jon Fosse. La danse aussi a réservé des surprises et des œuvres majeures aux interprètes hors norme. Ainsi, Enfant de Boris Charmatz, choc esthétique de premier ordre, n’est pas près de s’effacer de nos mémoires. Autre manifeste pour un “vivre ensemble” de la danse: Faces de Maguy Marin, avec le Ballet de l’Opéra de Lyon, règle son compte à l’animalité des foules manipulées. Tout aussi passionnants, les manifestes esthétiques représentés par l’ultime pièce de Pina Bausch “…como el musguito en la piedra, ay si, si, si…” (“comme la mousse sur la pierre”), un dernier présent de la chorégraphe allemande à ses fans, ou la superbe reprise de Water Motor de Trisha Brown, magnifiée par Neal Beasley. N’oublions pas la trilogie de l’Américain William Forsythe, Artifact et Impressing the Czar, interprétés avec magie par le Ballet royal de Flandres, avant la découverte de Sider, dernière création de la Forsythe Company. Et que dire de l’ultime étape de la tournée d’adieu de la compagnie de Merce Cunningham ? Feu d’artifice ou pluie d’étoiles ? La danse s’invente aussi avec insolence grâce à une avant-garde de jeunes chorégraphes. On s’amuse des tics et des TOC de la performance avec l’Américain Daniel Linehan dans Zombie Aporia. On suit le couple François

Chaignaud et Cecilia Bengolea qui tente l’enfermement SM avec Sylphides, et se confronte au vertige de la voltige dans Castor & Pollux. Enfin, on aura eu la confirmation de quelques surdoués à suivre, Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek, Mickaël Phelippeau, DeLaVallet Bidiefono ou Yoann Bourgeois… En réunissant nouvelles têtes et artistes de renom, le festival Mettre en scène, au TNB de Rennes, a réussi cette année une programmation parfaite, où toute la palette des arts vivants était représentée. Même constat s’agissant des festivals d’Avignon et d’Automne à Paris, malgré le ballet des nominations de leurs directeurs respectifs. Entre atermoiements et précipitation, le fait du prince fut aussi objet de polémique. Comment ne pas s’interroger sur les motivations du ministère de la Culture

un grand n’importe quoi a transformé nos théâtres en places fortes protégées par la police

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top 5 des critiques Fabienne Arvers Parsifal de Richard Wagner, mise en scène Romeo Castellucci, direction musicale Hartmut Haenchen, chorégraphie Cindy Van Acker

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L’incroyable puissance visuelle et dramaturgique du théâtre de Romeo Castellucci se saisit de la “matière” opéra comme d’un espace d’amplification. Un coup de maître.

Jan Karski (Mon nom est une fiction) d’après le roman de Yannick Haenel, mise en scène Arthur Nauzyciel

Pascal Victor/ArtComArt

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qui, après le décès d’Alain Crombecque, a attendu près de deuxans pour nommer son successeur, Emmanuel Demarcy Motta, à la direction du Festival d’Automne à Paris ? Et sur la décision, prise dès2011, de parachuter Olivier Py –tout juste débarqué du Théâtre de l’Odéon au profit de Luc Bondy– à la direction d’Avignon en2013 ? Un oukase confirmé le 2décembre par le conseil d’administration du Festival d’Avignon… On mettra ça sur le compte de l’euphorie d’une liberté retrouvée pour un ministère qui n’a plus à subir, et l’on s’en réjouit, la concurrence du Conseil de la création artistique de Marin Karmitz, dissous aussi spontanément qu’il était né de par la volonté de l’Elysée. Commencée en fanfare, l’année se termine tristement, comme un cauchemar dont on aimerait se réveiller. Désormais, les théâtres ont besoin de la protection de la police: des intégristes chrétiens et des groupuscules d’extrême droite prétendant lutter contre la “christianophobie” n’ont pas hésité à faire le coup de poing pour perturber les représentations de Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci et de Gólgota Picnic de Rodrigo García. Un grand n’importe quoi qui transforme nos théâtres en places fortes et témoigne d’une volonté intolérable de porter atteinte à la liberté d’expression. Raison de plus pour appeler à soutenir, en2012, la liberté d’un spectacle vivant qui n’a de compte à rendre à aucun censeur.

En ouverture du Festival d’Avignon, Laurent Poitrenaux, magistral, incarne Jan Karski en héros fantomatique d’une bataille pour la vérité engagée pour l’éternité.

de partie 3enFin de Samuel Beckett, mise scène Alain Françon Le rire sarcastique de Beckett servi par un metteur en scène au mieux de sa forme et des acteurs d’une rare inventivité.

We Talk About This? 4Can de Lloyd Newson, DV8 Discours percutant et danse époustouflante pour parler du statut de la liberté.

Zombie Aporia de Daniel Linehan

5

L’énergie du rock, l’esprit des pionniers postmodernes et l’insolence d’un trio de jeunes surdoués. Linehan a tout d’un grand.

Jean-Marc Lalanne Enfant de Boris Charmatz

1

Le temps d’un Festival, Charmatz transforme la cour d’Honneur du palais des Papes en royaume des enfants. Une danse miraculeuse.

Un peu de tendresse, bordel de merde de Dave Saint-Pierre

2

La recherche frénétique de marques d’amour, la terreur de l’abandon, tout le désarroi affectif moderne campés dans un style convulsif et joyeux par l’exubérant chorégraphe québécois.

moins j’aurai 3miseAu laissé un beau cadavre en scène Vincent Macaigne Vincent Macaigne maltraite le texte (réécrit, concassé) du monument Hamlet, mais étreint des images qu’il reformule dans une esthétique d’opéra-rock furieux et foudroyant d’énergie.

de l’amour 4Clôture de Pascal Rambert

Succès unanime du Festival d’Avignon, Clôture de l’amour transforme une scène de ménage entre Stanislas Nordey et Audrey Bonnet en une performance aussi cruelle qu’éblouissante.

raclette de Jean5LesUne Christophe Meurisse, Chiens de Navarre Un dîner entre trentenaires autour d’une raclette vire au happening hilarant et grandiose, entre match de catch et partouze costumée.

Hugues Le Tanneur Long voyage du jour 1mise à la nuit d’Eugene O’Neill, en scène Célie Pauthe Ressuscitant les fantômes d’O’Neill, Célie Pauthe signe un spectacle tout en nuances et délicatesse.

chambre froide 2Ma de Joël Pommerat

Entre onirisme et humour noir, ce spectacle sonde à sa manière l’inconscient collectif du travailler plus pour… Pour quoi, au fait ?

3Onzième de François Tanguy

Cette nouvelle création du Théâtre du Radeau invente un théâtre incomparable où passent les ombres de Dostoïevski, Kafka et Strindberg.

le concept 4deSur du visage du fils de Dieu Romeo Castellucci Scandale absurde et vrai chef-d’œuvre, une vision douce et angoissée de la condition humaine sous le signe de l’amour et du doute.

de partie 5enFin de Samuel Beckett, mise scène Alain Françon

Philippe Noisette (sans ordre de préférence)

Body&Soul à la Gaîté Lyrique Le temps d’un dimanche dansant, le trio à l’origine du concept –les DJ FrançoisK, Danny Krivit et Joe Claussell– met le feu aux moulures de la Gaîté.

...du printemps ! de Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulères Un Sacre porté par la beauté du temps et les corps heureux de ces interprètes âgés de 60 à 80ans.

...como el musguito en la piedra, ay si, si, si... de Pina Bausch Ultime création de notre Pina, cette pièce inspirée par le Chili est un bijou d’émotion. Avec un Dominique Mercy immense.

Enfant de Boris Charmatz Zombie Aporia de Daniel Linehan

Patrick Sourd Second Woman 1The de Guillaume Vincent Guillaume Vincent rend hommage à Opening Night de John Cassavetes et transpose l’action avec brio dans les coulisses d’un opéra contemporain.

de l’amour 2Clôture de Pascal Rambert Corners 3Brilliant d’Emanuel Gat

La danse d’Emanuel Gat subjugue par l’extrême délicatesse avec laquelle elle tire le portrait de chacun d’entre nous.

Fin (Koniec) 4enLaconception et mise scène Krzysztof Warlikowski A partir des textes de Franz Kafka, Bernard-Marie Koltès et J.M.Coetzee, Krzysztof Warlikowski questionne son parcours d’artiste.

Karski (Mon nom 5le Jan est une fiction) d’après roman de Yannick Haenel, mise en scène Arthur Nauzyciel 21.12.2011 les inrockuptibles 133

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l’image forte

Augustin Détienne/Canal+

Grâce à sa puissance de fascination, la télé résiste à la numérisation à tout-va, quand le téléspectateur, via tablettes et réseaux, se mue peu à peu en “télénaute”. De désastres en rebondissem*nts, de f*ckushima à DSK, l’année médiatique aura été dopée par le choc des images.

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YannB arthès et Teddy Riner, quintuple champion du monde de judo, au Petit Journal 21.12.2011 les inrockuptibles 135

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le spectacle de la catastrophe De la déflagration de f*ckushima à la mise au pilori de DSK, la télévision, de plus en plus connectée au web, fait de l’“événement-monstre” un instrument de son hégémonie.

U

n homme menotté sortant du commissariat de Harlem et, quelques jours après, le même, fatigué et mal rasé, assis au tribunal pénal de NewYork: les deuximages de Dominique StraussKahn poursuivi pour agression sexuelle ont sidéré le monde entier. Parce qu’elles empruntaient leurs codes visuels à la grammaire du feuilleton télé, parce que la politique et le sexe s’entremêlaient, parce que le favori de la présidentielle chutait du haut de son piédestal à cause de son vice le plus incontrôlable, parce que les médias auraient été complices de cette vérité longtemps dissimulée. Les motifs de la stupéfaction devant DSK à New York furent aussi nombreux que les controverses en tout genre qui s’étalèrent dans les médias durant des mois. Par-delà l’opportunisme des magazines et des télés qui avaient trouvé dans l’affaire le sujet en or pour faire le plein de lecteurs et de téléspectateurs, le feuilleton DSK a rappelé le potentiel de déflagration d’une image télé. Réunissant devant leur poste des millions de téléspectateurs fascinés et animés par une pulsion morbide (contempler le sacrifice), l’arrestation de DSK souligna combien la télévision, ici accompagnée et doublée par les réseaux sociaux en folie (dont le ”live tweet”), reste le média fétiche de la “catastrophe”, politique, intime ou écologique. Deuxmois avant, le 11mars, l’accident nucléaire de f*ckushima, bien que mille fois plus tragique, avait créé un effet de sidération assez proche par ses manifestations. Comme si d’une fuite radioactive à grande échelle à la débâcle d’un homme providentiel, la télé faisait de “l’accident” son motif privilégié. Dixans après le 11Septembre, dont on célébra cette année le souvenir, le thème de la chute refit ainsi

Kyodo/Reuters

par Jean-Marie Durand

surface. En direct, minute par minute, depuis une centrale nucléaire ou depuis le bureau d’un procureur, les téléspectateurs du monde entier furent les complices passifs d’un spectacle de désolation. Aux antipodes géographiques et politiques, mais tout aussi symbolique de sa puissance d’attraction, le spectacle kitsch du mariage du prince William et de Kate tira la télé vers son horizon inversé: la mise en scène d’un pur conte de fées plébiscité par plus de deuxmilliards de téléspectateurs enfin débarrassés des turpitudes du monde réel. L’enfer et le paradis, le grave et le futile, la catastrophe et la romance, le cru et le cuit…: la télé, média de masse par excellence, joue sur ces effets de contraste, trouve sa raison d’être dans cette manière de faire d’un “événementmonstre” le moment de son triomphe ambigu. du téléspectateur au “télénaute” Un triomphe d’autant plus étrange lorsqu’on mesure la révolution qui gagne la télé jour après jour, et dont l’année2011 fut un moment d’accélération, avant l’éclipse prochaine. Avec la révolution numérique et internet, le téléspectateur se transforme de plus en plus en “télénaute”. La télé s’apprête à devenir “connectée”, c’est-à-dire une porte d’entrée principale du web, un réservoir de contenus et de services logés dans le “cloud”. Avec l’accès ubiquitaire aux contenus audiovisuels, la télé approche de sa phase iPod; les “watchlists” s’ajoutent aux “playlists”. L’heure du “sur-mesure de masse” a sonné: les géants du web ont pris le (soft) pouvoir.

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Ishimaki, ville du nord du Japon ravagée par le tsunami

la TNT face aux “grandes chaînes” En attendant la grande bascule vers la télé connectée, le PAF a fait sa mue: le passage au toutnumérique s’est achevé fin novembre, l’analogique a définitivement vécu, et désormais tous les téléspectateurs reçoivent dix-neufchaînes gratuites au lieu de six. Le CSA vient même de lancer un nouvel appel d’offres pour six nouvelles chaînes: espérons qu’enfin la TNT pourra offrir aux téléspectateurs des programmes plus créatifs que la cohorte des émissions low-cost qui font du nouveau paysage télévisuel un espace pétri de contradictions: l’élargissem*nt de l’offre s’accompagne d’un rétrécissem*nt des capacités créatives. Dans ce contexte ultraconcurrentiel, les “grandes chaînes” résistent comme elles peuvent, malgré des pannes d’idées et de projets: rien de neuf sur TF1 qui ne tient que grâce à ses séries américaines ; recyclage efficace de divertissem*nts familiaux sur M6, seule chaîne historique à progresser sur l’année ; routine culturelle sur Arte en attendant la grille de janvier ; maintien des fondamentaux sur Canal+, qui s’apprête à lancer une chaîne gratuite sur la TNT, mais qui voit surtout d’un mauvais œil l’arrivée d’un nouveau concurrent, la chaîne Al-Jazeera, sur son marché fétiche : les droits du foot… Quant à la nouvelle équipe pilotée à France Télévisions par Rémy Pflimlin, elle aura, à quelques exceptions près (les documentaires, l’info, le numérique), échoué en 2011 à redonner un souffle au groupe: échecs des nouveautés de la rentrée sur France2 et France3, audiences faibles, défaut d’horizon clairement identifié…

La presse écrite en sursis La révolution numérique ne fragilise pas seulement le média télé: jamais, dans son histoire, la presse écrite n’a semblé aussi près du gouffre, comme l’éclaire le documentaire d’Andrew Rossi, A la une du ‘New York Times”, sorti en salle le mois dernier. Si Libération et Le Monde, avec leurs nouvelles équipes rajeunies mises en place en début d’année, maîtrisent leurs pertes, la plupart des quotidiens (La Tribune, France-Soir, Le Parisien, L’Humanité…) résistent mal à l’érosion des ventes et à la baisse des aides publiques destinées aux journaux à faibles ressources publicitaires. Dans ce marasme de la presse papier, les “pure players” (sites d’information sans support papier) se font une place de plus en plus centrale. Au bout de quatre ans d’existence, le modèle payant de Mediapart, en première ligne de l’actualité cette année (Karachi, Bettencourt), ne perd plus d’argent. Avec 56 000abonnés, le site s’est imposé dans le paysage de l’information aux côtés d’autres (Rue89, Slate, Owni…, ouverts au “data journalisme” et au journalisme participatif). Loin d’être perdu comme en témoigne cet élargissem*nt du territoire des médias, le goût du récit journalistique et de l’analyse de l’actualité s’incarne aussi de plus en plus dans des revues très vivantes en France (Vacarme, La Revue des livres, Multitudes, Esprit, Ravages, Regards…), complétées par le nouveau et très beau Feuilleton, lancé par le jeune Adrien Bosc, né l’année où se lançaient Les Inrocks, il y a vingt-cinqans. 21.12.2011 les inrockuptibles 137

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top 10 télé Jean-Marie Durand La Gueule de l’emploi documentaire de Didier Cros (France2) Manipulations série documentaire de Jean-Robert Viallet (France5) Wild Thing documentaire de Jérôme de Missolz (Arte) Les Molex, des gens debout documentaire de José Alcala (Arte) A l’ombre de la République documentaire de Stéphane Mercurio (Canal+) Hard série, saison 2, de Cathy Verney (Canal+) Chroniques d’un Iran interdit documentaire de Manon Loizeau (Arte) Le Jour d’avant de Loïc Prigent (Arte) Platane série d’Eric Judor (Canal+) Le Petit Journal animé par Yann Barthès (Canal+)

5 images média en 2011

DSK menotté Face à Dominique Strauss-Kahn, arrêté et convoqué devant le juge, les téléspectateurs ont l’impression confuse de regarder un crossover des deux célèbres séries New York, section criminelle et The Good Wife. Arrestation, sidération, absorption du réel par l’imaginaire de la fiction: un feuilleton trash et pénible qui scotche le pays et l’hystérise. Murdoch: chute d’un empire Suite à une affaire d’écoutes téléphoniques illégales opérées par la rédaction de News of the World, le groupe News Corp, dirigé par le milliardaire Rupert Murdoch, fondé en 1979, traverse la plus grave crise de son histoire. Crise d’image pour la presse tabloïd, trash et sans scrupules: le scandale aura privé Murdoch du rachat de l’opérateur britannique de télévision par satellite British Sky Broadcasting (BSkyB).

Vincent Ostria Wild Thing documentaire de Jérôme de Missolz (Arte) David Bailey –Four Beats to the Bar and no Cheating documentaire de Jérôme de Missolz (Ciné cinéma club) L’Œil de links émission (Canal+) Notre poison quotidien documentaire de MarieMonique Robin (Arte) Frères d’Italie téléfilm de Mario Martone (Arte) JFK, mort en direct documentaire de Ron Frank (Canal+) Le Chant des insectes –Rapport d’une momie docufiction de Peter Liechti (Arte) Themerson & Themerson documentaire de Wiktoria Szymanska (Arte) Goodbye Moubarak ! documentaire de Katia Jarjoura (Arte) Free Radicals, une histoire du cinéma expérimental documentaire de Pip Chodorov

les ambitions d’Al-Jazeera Fondée en 1996 au Qatar, la chaîne satellitaire Al-Jazeera, au plus près des soulèvements populaires dans les pays arabes, ne cesse de bousculer les normes du journalisme à l’occidentale et inventeun positionnement à part sur le marché global de l’information. Elle s’intéresse aussi au sport, et rafle en fin d’année les droits de la Ligue des champions pour 61 millions d’euros. La chaîne qatarie s’impose comme un géant mondial des médias.Soft Power.

Bref au Grand Journal Avec les chroniques d’un mec ordinaire, les auteurs de Bref font l’événement de l’année télé. Une écriture et un ton télévisuels s’inventent ici à partir d’un motif ténu: les affres d’un trentenaire désabusé qui passe son tempssur son lit, devant son ordinateur, drague des filles sur Facebook, se masturbe à l’envi… C’est moins la figure du loser contemporain que Bref dessine que celle du combattant désinvolte de l’impossible réussite.

Christophe Abramowitz

Bernard Lenoir quitte France Inter La nouvelle tomba fin août comme un couperet: Bernard Lenoir décidait de quitter France Inter, station sur laquelle il était entré en 1972. Pour plusieurs générations d’auditeurs, de Feed Back aux Black Sessions, ce fut comme la fin d’une histoire sentimentale,d’un compagnonnage musical intime. Un vrai-faux départ, puisque Le Mouv’, dirigé par son ami Patrice Blanc-Francard, le récupère.

5 émissions radio Pascal Mouneyres Nova les 30 ans émission anniversaire, Radio Nova L’Intempestive émission de Juliette Volcler, Fréquence Paris Plurielle/Radio Galère L’Atelier du son émission de Thomas Baumgartner, France Culture Plan B… émission de Frédéric Bonnaud, Le Mouv’ La Bande SM, documentaire de Jeanne Robet, Arteradio.com

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ClaireDane s et Mandy Patinkin dans Homeland

comme un ouragan La révélation Homeland, les Anglais en forme, le boom de l’édition. 2011 a été explosive pour les amateurs de séries. par Olivier Joyard

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’année2011 restera celle des sériephiles décomplexés, postés devant leur ordi quels que soient l’heure, le jour, la météo. Pointus, jamais en retard, ils aiment les séries dont tout le monde parlera dans sixmois, les snobs. Le pire, c’est qu’ils ont souvent raison. L’une des créations les plus commentées n’a même pas encore été diffusée en France –elle

sera sur Canal+ en2012. C’est pourtant notre chouchoute de l’année. Homeland raconte l’histoire délicieusem*nt parano d’un soldat américain libéré après septans de captivité en Irak. Carrie Mathison, agent de la CIA, est persuadée que le garçon a été retourné. Un bon marine joufflu transformé en terroriste sanguinaire roulant pour Al-Qaeda ? L’hypothèse se déploie

avec subtilité tout au long de la première saison, diffusée depuis octobre par la chaîne câblée Showtime. Adaptée d’un format israélien, la série a été développée aux USA par deux anciens de 24, Alex Gansa et surtout Howard Gordon, scénariste principal des aventures de Jack Bauer pendant plusieurs années. Sa grandeur vient de ce qu’elle réussit à être aussi addictive que son aînée, tout en maintenant un cap

moral presque opposé. Rien n’est simple dans la galaxie Homeland, qui semble avoir digéré une décennie d’expériences télévisuelles pour livrer un prototype désirable de série contemporaine adulte mais détraquée. Atteinte de troubles du comportement, son héroïne n’a rien d’une victime sacrificielle. Interprétée par Claire Danes, miss Angela 15ans, c’est une femme en lutte pour son désir désordonné. Impossible d’oublier son face-à-face ambigu avec le diable. Si les grandes séries du câble US ont tenu leur rang (Breaking Bad, Louie, Treme, la nouvelle venue Boss, pour certains Game of Thrones) et confirmé, leur suprématie sur les productions hertziennes, l’avalanche de2011 est anglaise. De plus ou moins vieilles connaissances (Doctor Who, Misfits) se mêlent à d’incroyables découvertes. Top Boy déchire avec bonheur les conventions du drame social, tandis que TheShadow Line offre un polar stylé sur fond de familles en ruines. Deux belles réussites formelles, toujours en attente de diffuseur hexagonal. S’ajoute deux créations historiques sexy, qui montrent, dans la foulée de MadMen, que rien n’oblige à bourrer ses caméras de naphtaline pour représenter le passé. Située dans le milieu de la télé sixties, à l’époque où réaliser un direct dans une émission d’info relevait de l’exploit, The Hour offre à Dominic West (McNulty dans TheWire) un terrain de jeu étonnant. Downton

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top 10 séries de plus ou moins vieilles connaissances se mêlent à d’incroyables découvertes Abbey, elle, parvient depuis deuxans à déringardiser le tea time. Virtuose, amusante, politique, cette virée dans un château anglais du début du XXesiècle laisse rêveur. Pourquoi n’arrive-t-on pas à ce niveau en France, avec les mêmes moyens? La réponse se trouve peut-être dans l’imaginaire, dont la télé d’ici manque cruellement –si on excepte la bonne surprise signée Eric Judor, Platane. Heureusem*nt, la France sait encore écrire des livres. 2011 a été le théâtre d’un boom éditorial. On a aimé le très complet Dictionnaire des séries télévisées de Nils Ahl et Benjamin Fau (Philippe Rey) –un cadeau de Noël sympathiquement encombrant. L’érudit Sériescopie (Ellipses) de Pierre Sérisier, Marjolaine Boutet et Joël Bassaget, s’inscrit dans la lignée de Martin Winckler en proposant une approche thématique de l’histoire et du présent du genre, avec pour ligne directrice cette certitude: l’âge que nous traversons serait “ennuyeux si les séries n’existaient pas”. Un adage auquel les auteurs de TheWire –Reconstitution collective (Les Prairies ordinaires) souscrivent aussi. En cinqtextes, autant que de saisons de ce chefd’œuvre des années2000, Emmanuel Burdeau, Nicolas Vieillescazes et leurs auteurs parviennent à déployer une pensée hybride et tentaculaire sur un objet qui l’est tout autant. Omar Little nous a envoyé un message: il est ravi. .

Claire Danes en espionne borderline obsédée 1parHomeland un présumé terroriste venu de son propre camp. Cette lointaine héritière de 24 (le doute existentiel en plus) est le choc de l’année.

Men Style, romanesque, mélancolie. Encore 2uneMad saison magnifique pour DonDraper et ses acolytes, malgré un buzz moins favorable. La cinquième arrive en mars2012.

TopBoy Le désespoir des cités londoniennes au crible 3d’une caméra à la fois impitoyable et infiniment douce. Quatre épisodes ont suffi à faire de cette série post-TheWire une révélation.

Breaking Bad Walter White a sombré pour toujours du côté 4obscur pendant une saison4 à la conclusion ahurissante. Une grande saga moderne, drôle et dingue.

Abbey Maîtres et domestiques dans l’Angleterre 5desDownton années1910. Dis comme ça, une tannée. Mais dans les détails, une fresque intime et grinçante sur la domination de classe.

The Good Wife Mieux que l’affaire DSK, les aventures d’Alicia 6Florrick. Intelligente, romantique, bien écrite, TheGood Wife est la meilleure série diffusée sur les grandes chaînes américaines.

Louie Venu du stand-up, LouisC.K. est peut-être 7l’homme le plus drôle du monde aujourd’hui. Par bonheur, il a fait de sa vie une sitcom malaisante. Le fabuleux pilote, réalisé par Gus VanSant, 8a misBoss cette série politique planante sur nos radars. Et prouvé que le bon cinéma indépendant a migré à la télé. Deuxième saison aussi dure que réussie 9pourTreme cette élégie de La Nouvelle-Orléans post-Katrina, signée David Simon (The Wire). Toute la musique qu’on aime.

Game of Thrones Pour le peuple geek, amoureux de l’heroic 10 fantasy, la série de l’année. Les autres admirent l’impressionnante production estampillée HBO, mais s’ennuient un peu. Dans tous les cas, impossible de passer à côté.

Bonus: Friday Night Lights Notre série attrape-cœurs sur quelques âmes perdues du Texas s’est terminée en février. Nous la pleurons encore.

Et aussi Platane, TheWalking Dead, TheHour, Episodes, Community, American Horror Story, Enlightened, Prime Suspect, TheKilling, TheShadow Line.

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un paysage en recomposition Marquée par la disparition de Steve Jobs, 2011 aura surtout consacré l’omniprésence du numérique –des tablettes aux révolutions arabes– et des quelques grands acteurs qui s’en partagent l’essentiel. Tour d’horizon d’une année foisonnante et survoltée. par Anne-Claire Norot

D

ans un univers marqué par la nouveauté perpétuelle, l’événement de l’année aura paradoxalement été une disparition. L’émotion planétaire hors du commun suscitée par la mort de Steve Jobs le 5octobre a montré de façon spectaculaire le statut qui est désormais accordé au numérique, dont Apple reste l’icône absolue. L’entreprise californienne ne s’est d’ailleurs jamais aussi bien portée et continue d’innover avec succès. L’iPhone 4S, présenté la veille de la mort de Steve Jobs, est largement en tête des ventes aux Etats-Unis. Son logiciel de reconnaissance vocale Siri est plébiscité par les utilisateurs. Enfin, lancé en mars, l’iPad2 représente actuellement les trois quarts des tablettes vendues dans le monde. Ces dernières sont l’objet numérique de l’année. On estime qu’il

s’en sera vendu plus de 60millions dans le monde en 2011, dont un million en France. Des acteurs que l’on n’attendait pas sur ce marché font un tabac: Amazon, qui mise sur le divertissem*nt dématérialisé, affirme que son Kindle Fire est le produit le plus populaire de tous les temps sur le site. Concomitantes au succès des instruments tactiles, les applications, marché lucratif, sont en plein boom: l’Android Market totalise 10milliards de téléchargements, rattrapant tout juste l’App Store. Google, dont le système d’exploitation Android est le plus populaire sur les terminaux mobiles, n’a cessé d’aller de l’avant. Repris en main en avril par un de ses fondateurs, Larry Page, il a racheté Motorola en août, dans le but de suivre le modèle Apple, intégrant matériel et logiciel, et de renforcer son arsenal de brevets. Google Search, qui représente plus de 83 %

60millions de tablettes vendues dans le monde, dont 1 million en France

du marché des moteurs de recherche et qui détient près de 45 % du marché publicitaire mondial sur internet, a par ailleurs modifié son algorithme. La nouvelle version, Panda, supprime de la liste des résultats les sites qui copient des contenus ou qui ne sont pas jugés utiles, ce qui a eu d’importantes conséquences sur le trafic. Enfin, Google s’est positionné sur la musique et les réseaux sociaux en lançant Google Music, service en ligne destiné à concurrencer iTunes et Amazon, et Google+, qui a bien débuté avec déjà plus de 40millions d’utilisateurs. Mais Google+ est encore loin de Facebook, qui, avec ses 800 millions de membres, dont 25millions en France, commence à grignoter sérieusem*nt le marché de la publicité en ligne. Ses revenus publicitaires devraient passer de 4 à plus de 10 milliards de dollars d’ici 2014, malgré la légère lassitude de certains de ses membres. Une étude de Lightspeed Research affirme par exemple qu’en France, 31 % d’entre eux y ont passé moins de temps cette année qu’en 2010 et qu’ils sont 10 % à avoir quitté les réseaux sociaux. Facebook n’a pas fini de régner sur internet, voire

de redessiner le web: de plus en plus de sites, comme Spotify ou Newsring, subordonnent leur accès à une inscription sur Facebook. Enfin, le réseau vient de signer un accord avec le régulateur américain du commerce l’engageant à plus de transparence, afin de faire taire les polémiques sur sa politique de confidentialité nébuleuse. Peut-être parce qu’elles risqueraient de compromettre son entrée en Bourse, qui pourrait avoir lieu au printemps, sur une valorisation de plus de 100 milliards de dollars. Globalement, on assiste à une redéfinition du paysage du web. Le magazine américain Fast Company envisage une concentration autour de quatre acteurs, Amazon, Google, Facebook et Apple (auquel on pourrait cependant ajouter Microsoft), chacun empiétant sur ce qui était il y a quelques années encore les prérogatives de l’autre. Les enjeux sont colossaux: la mainmise sur la consommation numérique et sur les données personnelles, donc sur le marché publicitaire. Rassemblant les leaders mondiaux des nouvelles technologies, le sommet eG8, qui s’est tenu en mai à Paris

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Portrait de Steve Jobs en Post-it sur un Apple Store de Munich

Christof Stache/AFP

à l’instigation de Nicolas Sarkozy, a ainsi laissé entrevoir un web tenu par quelques grandes entreprises, dont les intérêts convergent bien souvent avec ceux des gouvernements. Nicolas Sarkozy a depuis abandonné l’expression “internet civilisé” et tenté d’amadouer les acteurs du web. A notamment été mis en place, en avril, le Conseil national du numérique (CNN), organe consultatif destiné à donner éclairage et recommandations au gouvernement sur ses projets en matière de numérique, qui s’est toutefois pour l’instant montré plus à l’aise sur le domaine économique que sur celui des droits des citoyens. Mais le chef de l’Etat n’en continue pas moins d’avoir une approche interventionniste du net. Au Forum d’Avignon, mi-novembre, il s’en est violemment pris au streaming, suggérant une Hadopi3. Depuis, trois syndicats du cinéma français ont sollicité la justice pour demander le blocage de quatre sites par les FAI, leur déréférencement par les moteurs de recherche et le droit de pouvoir intervenir sans recours à un juge s’ils renaissaient 21.12.2011 les inrockuptibles 143

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par ailleurs. Au niveau européen, un tel filtrage qui accorderait donc un pouvoir discrétionnaire à des intérêts privés, ne passe heureusem*nt pas: dans un cas impliquant la Sacem belge, la Cour européenne de justice a indiqué que demander aux FAI de filtrer et bloquer des sites pour protéger la propriété intellectuelle était contraire au droit européen. Aux Etats-Unis, les géants du net se sont élevés contre le projet de loi Stop Online Piracy Act qui vise à renforcer la responsabilité des hébergeurs et à bloquer les noms de domaine de sites diffusant illégalement des contenus protégés, y compris ceux situés à l’étranger. La neutralité du net, c’est-à-dire l’égalité de traitement entre tous les sites et tous les internautes, est pour sa part en permanence sous la menace des FAI qui ne cessent de faire du lobbying pour pouvoir mettre en place des systèmes

l’insaisissable nébuleuse Anonymous a mené de multiples guérillas de différenciation du trafic. A la suite du rapport des députées Laure de la Raudière (UMP) et Corinne Erhel (PS) présenté en avril, un projet de loi protégeant la neutralité pourrait toutefois voir le jour en 2012. Enfin, 2011 aura aussi été l’année de la guerre de l’information (infowar). Les réseaux sociaux et les smartphones ont joué un rôle crucial dans les révolutions arabes. Pourtant, tandis qu’en Tunisie, en Libye, et surtout en Egypte, les nouvelles technologies ont été célébrées comme des outils de libération, BlackBerry et les réseaux sociaux ont été cloués au pilori par David Cameron en GrandeBretagne pour leur rôle supposé durant

top les tablettes Conviviales et simples à utiliser, elles séduisent le public. L’iPad2 est en tête et occupe près des trois quarts du marché. les réseaux sociaux dans les révolutions arabes Twitter et Google qui coopèrent en Egypte pour permettre de tweeter malgré la coupure d’internet, Facebook utilisé en Tunisie pour coordonner les manifestations, Bambuser qui permet de diffuser en live les rassemblements de la place Tahrir depuis un smartphone… Les réseaux sociaux ont été au cœur des révolutions arabes. le Cloud Ne plus posséder ses ressources informatiques, mais accéder en ligne à un logiciel de messagerie,

les émeutes de l’été. S’est également développée une nouvelle forme d’action, l’hacktivisme, qui s’en prend aux infrastructures numériques. En croisade contre les abus des multinationales et des gouvernements, la nébuleuse d’Anonymous a par exemple piraté les sites du gouvernement égyptien durant la révolution. Tout au long de l’année, ces insaisissables hacktivistes ont mené de multiples guérillas, de l’attaque de l’entreprise de sécurité technologique HBGary Federal au combat contre la Hadopi espagnole ou au blocage de sites néonazis allemands. Un autre groupe d’hacktivistes, LulzSec, affirme pirater pour le fun (les sites de la Fox,

d’X Factor, de Nintendo et de la CIA ont notamment été pris pour cibles), mais traqués par le FBI et la police anglaise, le groupe est inactif depuis juillet. D’autres actions, plus sophistiquées et coordonnées, comme celles qui ont visé le ministère français des Finances ou la société Lockheed Martin, démontrent que la cyberguerre, entre Etats ou entreprises, est une réalité. Enfin, WikiLeaks, malgré les démêlés judiciaires de son fondateur Julian Assange, a publié en avril les dossiers des prisonniers du camp de Guantánamo, et garde quelques bombes en main pour 2012, comme les détails des comptes de certaines personnalités dans des paradis fiscaux.

flop à un espace de stockage ou à un serveur virtuel, et les payer à l’usage, tel est le principe du Cloud, qui bouscule trenteans de culture PC, tant pro que perso. les alternatives au P2P Dailymotion, racheté par Orange, fait un tabac, Deezer s’implante dans deux centspays, Megaupload, attaqué par les ayants droit américains, reçoit le soutien des stars, de P. Diddy à Kanye West. Le streaming et le téléchargement direct bouleversent (une fois de plus) la consommation culturelle. le planking Le meme de l’année: photographier des gens allongés face contre terre, n’importe où.

les PC Changement d’ère: les ventes de terminaux mobiles (smartphones, tablettes) sont désormais supérieures aux ventes de PC. HP, premier constructeur d’ordinateurs au monde, a même sérieusem*nt envisagé d’en arrêter la production. la guerre Samsung-Apple Les deux entreprises s’accusent mutuellement de plagiat et de violation de brevets sur leurs modèles de smartphones et de tablettes. Un peu partout dans le monde, des procès les opposent, au détriment des consommateurs. Hadopi Plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi, personne n’a encore comparu devant la justice pour avoir négligé de sécuriser sa ligne. Tant mieux.

le respect de la vie privée Facebook pas clair sur les données personnelles, Google Street View qui récolte des données de façon non conforme à la loi Informatique et libertés, le mouchard de Carrier IQ qui renseigne secrètement les opérateurs sur le comportement de leurs abonnés… La vie privée des internautes ne pèse pas lourd –surtout quand ils la livrent sans précaution sur les réseaux sociaux. l’atomisation du web Les petit* univers fermés des applications, les sites dont l’accès est subordonné à un compte Facebook ou Twitter, ou l’intégration croissante matériel/logiciel créent un web morcelé et moins ouvert.

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l’actualité du 21décembre2010 au 3 janvier 2011

Le Havre selon Aki Kaurismäki

Kate Bush

pour l’éternité

Cœur De Pirate bat encore

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Fred Dufour/AFP

“ce sont souvent des femmes qui prennent des positions progressistes”

“l’UMP ne pourra pas esquiver les sujets sociétaux” En2007, Chantal Jouanno avait été l’une des plumes du projet présidentiel de Nicolas Sarkozy. Cinqans plus tard, l’ex-ministre des Sports n’hésite plus à marquer ses différences.

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es voix progressistes de l’UMP, dont vous faites partie, ne bénéficient pas de la même surface politique et médiatique que le camp conservateur incarné par la Droite populaire. Comment l’expliquez-vous ? Chantal Jouanno – La réalité, c’est que nous, “progressistes”, sommes peut-être moins bien organisés, nous ne sommes pas rassemblés au sein d’un groupe, par exemple. Pourtant, en discutant avec des parlementaires de la majorité, je me rends souvent compte que certains sont tout à fait ouverts sur des questions sociétales, comme le mariage gay, mais ils craignent de diviser notre famille politique. La Droite populaire s’embarrasse moins pour affirmer ses idées. Mais sa surface médiatique n’est pas forcément le reflet de son influence politique réelle. Achaque fois que des femmes de la majorité prennent des positions divergentes, elles sont fermement rappelées à l’ordre. La liberté d’expression s’applique-t-elle vraiment aux femmes au sein de l’UMP ? C’est vrai que, lorsque nous prenons position sur des sujets qui ne font pas consensus, on réclame nos têtes ou notre silence. Est-ce qu’on touche les hommes dans leur virilité ? Je ne pense pas que notre parti soit plus machiste que la société française dans son ensemble ! Les partis politiques, comme la société en général, apprécient plus les femmes pour leur

image que pour leurs qualités d’expertes. Dans les médias par exemple, il n’y a que 20 % de femmes parmi les experts qui interviennent sur des sujets de fond. Mais c’est assez frappant de voir que ce sont souvent des femmes qui prennent des positions progressistes sur l’hom*osexualité, les questions de fin de vie ou encore l’immigration. Lors de la présidentielle de2007, Nicolas Sarkozy portait un projet d’espoir. Cinqans plus tard, compte tenu de la situation de nos déficits publics, quel programme peut-il encore proposer aux Français ? Il portera un projet pour la France. Les questions liées au désendettement et à la sobriété publique seront incontournables. Mais, en plus de la modernité économique, je ne pense pas que nous puissions esquiver les sujets sociétaux. Sixsecrétaires nationaux de l’UMP ont demandé que soit inscrite dans le projet de2012 l’ouverture du mariage aux couples hom*osexuels. Ça vous paraît possible ? Je me bats pour cela. J’ai transmis à Bruno LeMaire plusieurs notes sur le sujet. Je sais que le terme de mariage est sensible parce qu’il a une connotation civile et religieuse, mais je pense pourtant qu’il est indispensable. Parler d’union civile, c’est dire une nouvelle fois aux personnes hom*osexuelles qu’elles sont une catégorie à part, sous-considérée. Dès lors qu’il n’y a pas d’atteinte à la laïcité ou à l’ordre

public, il n’y a aucune raison juridique pour que l’Etat fasse un droit différent pour elles. Il ne devrait pas y avoir de débat sur le mariage hom*osexuel, ni sur l’adoption où c’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer. Autre sujet clivant qui risque de s’inviter lors de la présidentielle, celui de la légalisation du cannabis. Seriez-vous favorable à un débat national sur cette question ? Je suis favorable à un débat sur toutes les formes d’addiction, y compris sur l’alcool. Je suis fondamentalement contre la légalisation, mais je suis favorable à une dépénalisation du premier usage. Cela ne signifie pas qu’on légalise le premier usage mais que l’on adapte notre législation qui est ultrarépressive, et donc inappliquée. Vous n’allez pas mettre un gamin en prison parce qu’il a fumé du sh*t, ça ne tient pas la route. En revanche, comme le montre la théorie du carreau cassé, je souhaiterais que, dès qu’un jeune est pris en train de fumer du sh*t, il soit systématiquement verbalisé. C’est pour cela que je défends une contravention systématique dès le premier usage. Vous êtes sûre d’appartenir à l’UMP ? Oui, oui (rires). Ce qui caractérise la gauche, c’est une forme de libéralisme social et effectivement, sur ces sujets, je suis très libérale. Mes différences avec la gauche se situent plus sur des questions économiques et sur la confiance que l’on peut faire à un individu dans le choix de sa propre vie. recueilli par David Doucet

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Sipa

Jacques Chirac

peine pas perdue La condamnation de l’ancien président pourrait ouvrir la voie à des changements institutionnels.

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eux ans de prison avec sursis. Jeudi 15décembre, Jacques Chirac est le premier ancien président condamné sous la VeRépublique. Avant lui, sous d’autres régimes, il y avait bien sûr eu Pétain. Enjugeant Jacques Chirac coupable de “détournement de fonds publics”, “abus de confiance” et “prise illégale d’intérêt” dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris, au début des années90, le tribunal correctionnel de la capitale a ouvert une sérieuse brèche dans l’argumentaire des avocats du statu quo en matière d’immunité présidentielle. François Hollande, dont les attaches corréziennes sont solides, a certes confié avoir “une pensée pour l’homme qui connaît en plus des ennuis de santé”. Mais le candidat socialiste a surtout promis qu’il ferait modifier le statut judiciaire du président de la République s’il était élu en mai2012. “Je ferai voter par le Parlement cette réforme du statut pénal du chef de l’Etat qui évitera qu’il faille attendre dix, quinze, vingtans pour qu’un procès

ait lieu sur des faits qui n’avaient rien à voir avec l’exercice de la fonction présidentielle.” L’écologiste Bastien François, promoteur de la VIeRépublique, applaudit cet engagement de François Hollande, “surtout qu’il prévoit, ce qui est sage, la mise en place de filtres, pour éviter que quelqu’un fasse n’importe quoi, attaque le chef de l’Etat sous n’importe quel prétexte”. “J’ai expliqué une chose simple aux socialistes pour qu’ils comprennent bien la nécessité d’une évolution du statut judiciaire du président de la République. Imaginez que Dominique Strauss-Kahn ait été élu en mai2012 et qu’on ait appris juste après une histoire crade de viol ou je ne sais quoi. Eh bien le juge ne pouvait être saisi pendant la durée du mandat, ce qui veut dire en passant que DSK n’aurait pas pu se défendre”, souligne Bastien François. “La vraie protection pour le président de la République, c’est de lui permettre de se défendre.” Dès jeudi, Eva Joly, candidate EE-LV à la présidentielle, a ouvert un autre chantier institutionnel

en invitant Jacques Chirac à démissionner du Conseil constitutionnel, dont il est membre de droit. Une proposition rejetée par les proches de l’ancien président, qui rappellent que Jacques Chirac ne siège plus au Palais-Royal depuis début2011 et ne perçoit plus aucun émolument. “Pour l’instant, même si le président de la République est destitué au fondement de l’article68 de la Constitution, il reste membre de droit du Conseil constitutionnel !”, s’insurge Bastien François. “On ne peut pas continuer avec cette assemblée de vieillards nommés soit en fonction de leurs amitiés politiques soit au titre de fonctions passées”, ajoute-t-il. François Fillon a estimé que le jugement arrivait “vraiment trop tard” et ne pourrait pas “altérer la relation personnelle qui existe entre les Français et Jacques Chirac”. Oui mais la décision du tribunal correctionnel modifiera sans aucun doute le regard des Français sur la fonction présidentielle. Au-dessus des partis, oui, au-dessus des lois, non. HélèneFontanaud 21.12.2011 les inrockuptibles 149

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Le Havre d’Aki Kaurismäki L’humanisme ascétique du grand Finlandais investit Le Havre et l’imaginaire français pour une dénonciation sans chichis de la chasse aux immigrés.

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aymond Queneau sedemandait un jour pourquoi les gens qui aiment les carottes ne leur disent jamais “je t’aime”. Chez Aki Kaurismäki, les personnages seraient plutôt du genre à contredire Queneau. Ils n’y vantent pas leurs propres mérites, n’affirment pas leurs intentions ou leur idéal du moi avec forfanterie. Ils préfèrent en général exprimer directement et sobrement leurs sentiments à l’égard des autres, de la vie, du monde. Exemple: “J’aime boire un peu d’alcool, le soir. Je trouve que cela aide l’homme à exprimer le meilleur de lui-même”,

explique Marcel Marx (à peu près en ces mots), le héros, à un jeune garçon noir sans papiers. Puis les personnages agissent en conformité avec ces mêmes sentiments sans barguigner. Exemple subséquent: Marcel boit un verre de vin rouge. Ne se perd pas en considérations esthétiques sur la robe du vin. Se tait. Fin du plan. On voit bien là en quoi LeHavre est, dans sa forme même, un film antisarkozyste: non parce que, dans son récit, il dénonce, avec une humanité sans chichis, la chasse aux immigrés ordonnée par nos différents ministres de l’Intérieur depuis des années, mais parce que

les personnages ne font pas des grands gestes pour affirmer qu’ils n’ont jamais été des menteurs, qu’ils font ce qu’ils disent et disent ce qu’ils font et autres balivernes qui ne trompent que les sots. On n’est pas des matamores, on ne sepaie pas de mots. L’humanité chez Aki Kaurismäki n’est pas une pose mais une attitude, mélange de dignité populaire, d’ivresse de toutes sortes (les personnages ont évidemment leurs défauts), de sobriété langagière, dans une tradition cinématographique très internationale qu’on pourrait baptiser “les grands laconiques” et qui réunirait certains personnages

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en salle il court, il court, le court

“Le Havre” donne au spectateur la foi dans l’humanité et ses ressorts d’énergie, de renaissance, de générosité

de Jim Jarmusch, de Raúl Ruiz, de João César Monteiro ou de João Pedro Rodrigues (le Portugais parle souvent par aphorismes). Marcel Marx (André Wilms, magnifique) est de cette famille-là. Il était déjà le héros du premier film tourné en France par Kaurismäki, La Vie de bohème, il y a vingtans. Marx a depuis quitté Paris et s’est installé au Havre avec son épouse Arletty (la fidèle actrice de Kaurismäki, Kati Outinen –prix d’interprétation féminine à Cannes en 2002) et sa chienne Laïka. Pour vivre plus près du peuple, Marcel Marx a abandonné l’exercice de la littérature et choisi le noble métier de cireur de chaussures. Un jour, le hasard le met sur la route d’un pré-ado africain qui essaie de passer en Grande-Bretagne. Marcel, fort de ses principes moraux et politiques, décide de l’aider. Mais Arletty tombe malade et est hospitalisée.

Et puis la police doit faire du chiffre avec les immigrés. Le commissaire Monet (Jean-Pierre Darroussin, imper et chapeau mou) est sur les dents. Comme souvent chez Aki Kaurismäki, le conte de fées n’est jamais loin. Et le “sale flic”, espèce de version kaurismäkienne du personnage tout aussi laconique interprété par Paul Meurisse dans LeDeuxième Souffle, s’avérera moins cruel, plus arrangeant avec l’humanité, que ce qu’on pouvait penser au départ. Au fil de son enquête, Kaurismäki nous fera rencontrer beaucoup de personnages hors normes, dans cette ville du Havre si cinégénique (on pouvait déjà le constater dans La Fée, il y a quelques mois), aussi droite que ses plans et que ses personnages le sont dans leurs bottes. On verra même Monet entrer dans un bistroquet avec un ananas dans les mains.

Enfin, dans un bel élan, le maître finlandais nous mènera par la main vers un happy end général à la Capra ou à la Chaplin (le muet, toujours), où l’union fait la force, où le rock’n’roll bas-normand (merveilleuse scène de concert de l’idole rock Little Bob, lui-même fils d’immigrés italiens…) peut aider un enfant à voguer vers la liberté. Parfois. Le Havre donne au spectateur, au moins momentanément, la foi dans l’humanité et ses ressorts d’énergie, de renaissance, de générosité. Sans niaiserie, sans illusions, sans sentimentalisme mou. Mais tant qu’un personnage d’épicier pourra affirmer “J’aime la société”, il restera toujours un peu d’espoir. Après quelques films un peu moins inspirés (L’Homme sans passé, LesLumières du faubourg), Kaurismäki a retrouvé une vitalité certaine. LeHavre est un film qui redonne du courage, un conte de Noël parfait, que l’on recommande vivement aux grands comme aux petit* spectateurs. Nous aimons Le Havre, parce que nous pensons qu’il permet au spectateur de ressentir le meilleur de lui-même. Jean-BaptisteMorain Le Havre d’Aki Kaurismäki, avec André Wilms, Blondin Miguel, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin (Fin., Fr., All., 2011,1 h 33) en salle le 21décembre

La ressortie en copie restaurée du Voyage dans laLune de Georges Méliès vient rappeler combien il est urgent de rendre justice au court métrage. Organisé avec le soutien du CNC, Le Jour le plus court le répand à travers la France. Au cours de la journée et de la nuit du 21décembre, non seulement une sélection pléthorique sera diffusée dans quatre cents salles, mais des lieux de projection incongrus seront mobilisés (le TGV Paris-Lyon, la gare Montparnasse, le Théâtre du Grand Rond à Toulouse…). L’occasion d’aller à la rencontre d’un format généralement ignoré ailleurs que sur le web. Le Jour le plus court le 21décembre, www.lejourlepluscourt.com

hors salle mille visages Il y a plus d’un seul homme derrière le nom de Pierre Etaix: dessinateur, clown, magicien, la figure du burlesque français est entrée dans le monde du cinéma en travaillant avec Jacques Tati, expérience qui l’amènera à devenir lui-même cinéaste. Histoire d’un itinéraire, ouvrage collectif élaboré à partir des journées d’étude que l’université Montpellier-III a consacrées à l’artiste, explore et théorise les multiples facettes d’une œuvre protéiforme, soulignant l’interaction des différents médias utilisés. On y trouvera également un long entretien avec Pierre Etaix, ainsi qu’un scénario inédit et de nombreux croquis. Pierre Etaix, histoire d’un itinéraire sous la direction de Christian Rolot (Cinergon), 160pages, 20€

autres films 21/12: L’Irlandais de John Michael McDonagh (Irl., 2011, 1 h 36) Happy New Year de Garry Marshall (E.-U., 2011, 1 h 58) Alvin et lesChipmunks3 de Mike Mitchell (E.-U., 2011, 1 h 30) Nenous soumets pas à la tentation de Cheyenne Carron (Fr., 2010, 1 h 45) LaClé des champs de Claude Nuridsany et Marie Pérennou (Fr., 2010, 1 h 21) LeMiroir de Jafar Panahi (Iran, 1997, 1 h 34) Hell and Back Again de Danfung Dennis (E.-U., 2011, 1 h 28) 28/12: Bruegel, le moulin et la croix de Lech Majewski (Pol., Suè., 2011, 1 h 32) Malveillance de Jaume Balagueró (Esp., 2011, 1 h 42) Fruit défendu de Dome Karukoski (Fin., 2009, 1 h 44) Maître du monde d’Enrico Giordano (Fr., 2011, 1 h 12) L’Oncle deBrooklyn de Daniele Ciprì et Franco Maresco (It., 1995, 1 h 38) 21.12.2011 les inrockuptibles 151

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Footloose de Craig Brewer avec Kenny Wormald, Julianne Hough (E.-U., 2011, 1 h 53)

Viggo Mortensen et Michael Fassbender, alias Sigmund Freud et Carl Gustav Jung

A Dangerous Method de David Cronenberg Cronenberg ausculte la libido de Jung, et sa rivalité avec Freud autour d’une femme, dans un film très bavard et un peu raide.

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dapté d’une célèbre pièce anglo-saxonne, ADangerous Method chronique les relations triangulaires entre Carl Jung, Sigmund Freud et une de leurs célèbres patientes, Sabina Spielrein, souffrant d’hystérie –relations qui mêlent discussions professionnelles, méthodes psychanalytiques (la célèbre controverse entre les deux papes de la psychanalyse), séduction et sexe, ces deux dernières facettes constituant le fameux “transfert” théoriquement proscrit de toute thérapie analytique. Ce nouveau film de David Cronenberg est un peu surprenant, voire déstabilisant. Que le cinéaste canadien s’intéresse à la psychanalyse n’est évidemment pas une surprise tant elle infuse toute sa filmo. Non, ce qui étonne, c’est qu’il l’aborde aussi littéralement, voire littérairement, et d’une façon peu cronenbergienne. Cronenberg nous a habitués à nous approcher tellement près des corps et des zones les plus reculées de la sexualité, au point d’aller y voir jusque dedans (viscères, tripes, plaies ouvertes, etc.) que ADangerous Method semble par comparaison extrêmement propre et distancié, comme si dans un processus de vases communicants la fouille des mystères du cerveau éloignait de la chair, de la matière corporelle. Si le film n’est pas désagréable à voir (acteurs et dialogues

sont plutôt bons), il ressemble plus à un beau produit culturel international qu’à un film griffé Cronenberg. On retrouve pourtant ici Viggo Mortensen, acteur cronenbergien s’il en est, alors que l’élégant Michael Fassbender prend peut-être la suite de cette autre figure cronenbergienne que fut Jeremy Irons. Il est intéressant de voir à quel point Mortensen est ici à l’opposé de ce qu’il faisait dans AHistory of Violence et dans LesPromesses de l’ombre, alors que Fassbender est très éloigné du rôle de bite humaine que lui fait tenir SteveMcQueen dans Shame. Sur le papier, le casting de ce film (Keira Knightley incluse) promettait de faire valser les phéromones. Al’arrivée, les corps des acteurs sont corsetés dans leurs costumes anciens, leurs visages domestiqués par des lunettes et des barbes bien taillées. L’intellect prime sur le corps. Quand sexe il y a, c’est discrètement hors champ, ou en fond de plan. Et quand Knightley engage son physique, c’est pour jouer une folie peu sensuelle. Finalement, cette façon de geler l’érotisme potentiel de comédiens bandants est peut-être le projet humoristiquement pervers de Cronenberg dans ce film, sa signature en creux. Serge Kaganski A Dangerous Method de David Cronenberg, avec Michael Fassbender, Keira Knightley, Viggo Mortensen (G.-B., All., Can., Sui., 2011, 1 h 39) en salle le 21décembre

Remake idiot d’un hit 80’s. Lorsqu’en 1984, à la croisée de deux modes (le film de danse et le revival rockab), Herbert Ross imaginait un patelin américain où la danse était interdite par arrêté municipal, on y croyait –et Footloose de devenir un (bon) classique du genre. Qu’est-il arrivé à Craig Brewer, réalisateur de deux films sensuels et électriques sur la musique (le rap avec Hustle and Flow, le blues avec Blake Snake Moan), pour livrer un remake aussi pâlichon, servi par une BO sans goût et des acteurs falots ? Et qui peut croire, en 2011, que la possession d’un iPod fait d’un ado un parangon de subversion quand ses copains, eux, écoutent encore des K7 ? Jacky Goldberg en salle le 21décembre

Echange standard de David Dobkin avec Ryan Reynolds, Jason Bateman (E.-U., 2011, 1 h 52)

Enième copie délavée des comédies d’Apatow. 2011, annus horribilis pour la comédie américaine. Exemplaire de cette déliquescence, David Dobkin, qui se fit connaître par l’excellent Serial noceurs en2005, avant de décevoir deux ans plus tard avec Frère Noël. Echange standard lui fait toucher le fond. Barbotant au milieu des thématiques d’Apatow (la tension entre vie de famille et aspiration à la glandouille chez le jeune mâle occidental), Dobkin cumule les situations crapoteuses et parvient à dresser un portrait aussi mesquin de ses personnages féminins (Leslie Mann en harpie hystérique) que masculins (Ryan Reynolds et Jason Bateman, toujours aussi sinistre). Misère. J. G. en salle le 28décembre

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Rémi Boissau

Augustine de Jean-Claude Monod et Jean-Christophe Valtat avec Maud Forget (Fr., 2003, 43min)

Belle évocation lyrico-poétique des travaux sur l’hystérie du professeur Charcot au XIXesiècle. oncordant avec la sortie du film de David Cronenberg sur Freud et avec l’intérêt actuel pour les origines du cinéma (en particulier pour Georges Méliès), ce modeste moyen métrage inédit (de2003) en noir et blanc est une saisissante recréation des travaux sur l’hystérie du professeur Charcot, au XIXesiècle à l’hôpital de la Salpêtrière. Ils se cristallisent ici sur la figure attachante et rebelle d’Augustine, la plus célèbre patiente du grand aliéniste. Lequel inspira à Freud –qui fut, on le sait, son adepte– l’invention de la psychanalyse. Pour décomposer visuellement les crises d’Augustine, les réalisateurs, qui ne sont pas des professionnels de la profession (Monod est chercheur au CNRS et Valtat enseignant), se réfèrent habilement aux origines scientifiques du cinéma, aux travaux remarquables de Marey et Muybridge, précurseurs de la chronophotographie, qui ouvrirent la voie à Lumière et à Méliès. Mais, outre une parfaite reconstitution historique, outre la description de la brutalité des expérimentateurs envers leurs cobayes humains, le film déploie lyrisme et poésie quand il s’agit d’évoquer la personnalité changeante d’Augustine, bloc de résistance face à la froide hostilité de la science. Voir les séquences inspirées de ses fuites dans la nuit. On frise alors presque le romantisme flou et survolté d’un Nerval. Par ailleurs, le personnage d’Augustine préfigure, mais sur un mode moins kitsch, la fillette possédée de L’Exorciste, dont le comportement, au-delà de toute considération surnaturelle, relève de l’hystérie telle que Charcot l’avait étudiée et décrite. Une œuvre aussi élémentaire que précise, aussi allusive que circonstanciée, qui associe idéalement l’absurdité mécanique du processus scientifique et un impressionnisme enfiévré. Vincent Ostria

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Les Crimes de Snowtown de Justin Kurzel avec Lucas Pittaway, Daniel Henshall, Louise Harris (Aus., 2011, 2 h)

Thriller australien violent sur un groupuscule facho. Après Animal Kingdom, LesCrimes de Snowtown replace l’Australie sur la carte du cinéma criminel. Le film est fondé sur un cas réel de serialkiller. C’est le modus operandi qui le distingue: comment un psychopathe sympa entraîne une fratrie de jeunes dans une croisade contre des présumés pédophiles et tout ce qui fait “désordre”. Cette manière de loger tranquillement la violence dans un quotidien tribal de banlieue, dans une relation père-fils tordue, est la force indéniable –et souvent insoutenable– de la mise en scène. Même dans son escalade de violence, le film paraît flotter –on en voudrait presque à Kurzel de filmer cette boucherie familiale sans même avoir l’air d’y toucher. “C’est la manière australienne”, dit de ses forfaits le psychopathe en chef. Hum. Léo Soesanto en salle le 28 décembre

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La Délicatesse de Stéphane et David Foenkinos avec Audrey Tautou, François Damiens, Bruno Todeschini (Fr., 2011, 1 h 38)

Let My People Go! de Mikael Buch Une comédie enlevée sur la crise existentielle d’un jeune Juif hom*osexuel, interprété avec panache par le rayonnant NicolasMaury.

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ans le genre quelque peu endormi de la comédie française, où même les auteurs chéris paraissent ronronner (Emmanuel Mouret et son Art d’aimer), le premier film du jeune Mikael Buch, Let My People Go!, coécrit avec Christophe Honoré, ouvre des horizons plus clairs, plus excitants. Pas seulement pour une question de style mais surtout parce qu’il s’aventure avec une certaine audace dans des territoires imaginaires inconnus de la comédie VF. Ce pari de la délocalisation, parfois un peu volontariste, est résumé par le personnage principal du film, Ruben, lui-même en exil: un Juif hom*o extraverti, rêveur sceptique qui a fui les coutumes traditionalistes de sa famille pour s’encanailler dans la forêt finlandaise, où il file le parfait amour avec son boy-friend. Dès l’introduction du film, un enchaînement très drôle de plans médaillons (façon Pierre et Gilles) sur le bonheur conjugal de ce couple hors norme, Let My People Go! s’écarte de toute emprise réaliste. C’est bien un monde de conte dont il s’agit, avec ses chromos, ses archétypes, ses couleurs saturées (très belle image de Céline Bozon). Et forcément sa part de tragique, qui intervient ici sous la forme d’un meurtre accidentel, contraignant Ruben à regagner la France, ses parents et ses galères. Aux premiers temps de bonheur ahuri (parce que solitaire) succède alors

le bourdonnement d’une famille dysfonctionnelle (père malade, sœur dépressive…), qui lance le film sur la piste glissante de la comédie boulevardière –la moins réussie. Mais ce retour aux origines est surtout l’occasion pour Ruben de solder quelques vieilles douleurs existentielles, à commencer par son hom*osexualité, le point aveugle de sa famille. Let My People Go!, dont le titre prend tout son sens biblique, résonne alors avec la question passionnante de la difficulté d’être au judaïsme – un motif classique de la comédie US. L’impossible cohabitation de ses désirs et de la religion, qui provoquait –littéralement– une tempête chez les frères Coen (ASerious Man), se résout ici dans une explosion jouisseuse des valeurs, où les grands rabbins sont tous des baiseurs compulsifs. C’est le programme utopique de ce premier film foutraque mais très stimulant, comédie déprimée et mélo amoureux entièrement voués à l’interprète principal, Ruben-Nicolas Maury. Déjà aperçu dans Belle Epine, LaQuestion humaine, LesAmants réguliers, ce grand échalas hyper émotif prend en charge tout l’humour du film et, fragile et volcanique, emporte chaque scène vers des sommets de burlesque incontrôlés.

Adaptation d’un best-seller de l’édition par son auteur. Un délicat problème. L’amoureux d’une jeune cadre (Audrey Tautou) meurt soudainement. Triste. Nathalie s’investit alors dans son travail et devient une petite chef zélée et odieuse (elle tutoie sa secrétaire qui la vouvoie). On est censé compatir. Son patron, le charmant Bruno Todeschini, a beau tenter de la séduire, il ne l’intéresse pas. Un jour, l’un de ses subordonnés suédois (le film accumule les blagues éculées sur nos amis scandinaves), Markus (François Damiens), entre dans le bureau de Nathalie. Elle l’embrasse sur la bouche. Tout le monde, dans la salle de cinéma et parmi ses proches, se pose alors la question fatale: mais pourquoi tombe-t-elle amoureuse d’un mec moche (nous, on ne le trouve pas si laid, Damiens, et Tautou pas si canon que ça) et mal fa*goté ? Une question passionnante (l’amour, c’est pas rationnel et c’est plus fort que tout) qui ne décollera jamais du niveau d’une discussion de fin de marché avec MmeMichu. On se demande surtout, avec une certaine gêne, ce que vient faire la délicatesse dans cette histoire balourde et mesquine racontée sans la moindre grâce. Jean-Baptiste Morain en salle le 21 décembre

RomainBlondeau Let My People Go! de Mikael Buch, avec NicolasMaury, Carmen Maura (Fr., 2010, 1 h 28) en salle le 28décembre

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Corpo celeste d’Alice Rohrwacher L’apprentissage d’une adolescente dans une petite ville de Calabre. Délicat et fin. arta, 13ans, sa grande Ce bout de Calabre gris, sinistré, aux sœur et leur mère ouvrière immeubles non achevés, en est aussi viennent de s’installer le cadre idéal. en Calabre, dans une ville Marta va dans une classe de catéchisme tellement pénétrée par le cool et sucrée, avec crucifix au néon, catholicisme que leur logeur Jésus-Christ transparent et chanson n’est autre que leur prêtre. La jeune fille “moderne” qui tombe à plat (“je suis s’apprête à faire sa communion –une branché avec Dieu”). Gag un poil usé, manière comme une autre d’intégrer la le portable du prêtre-propriétaire ne cesse communauté. Timide, elle tâtonne, observe de sonner –lui-même trépigne, obsédé et apprend. Le (premier) film d’initiation par une promotion qui lui permettrait de d’ado donc: énième prise. Comment quitter sa paroisse. L’effet de miroir entre rejouer la même vieille scène d’émoi, Marta et le prêtre affairiste se confirme de découverte des autres et de soi ? lors d’une virée en voiture à deux pour Alice Rohrwacher a heureusem*nt convoyer un Christ en bois à l’ancienne, les idées qui vont avec sa sensibilité. qui finit en jour de colère. Lors d’un arrêt Corpo celeste va ainsi s’ingénier dans un village, Marta est laissée seule à décliner joliment toutes les connotations avec le vieux curé local, qui lui rappelle de son titre astronomique. Le film pose que Jésus était d’abord un homme solitaire dès le début le regard de Marta lors d’une et furieux. Comme le prêtre. Comme elle. séquence très réussie de messe de nuit en Marta absorbe la leçon, sans ciller. plein air. La caméra se fait documentaire, Détails qui peuvent prêter à la lourdeur, hoquetante. Perdue au milieu des cierges, la caricature. Mais Corpo celeste n’en fait la fille a moins les étoiles dans les yeux que jamais trop et préfère afficher tout du long la sensation d’être sur la piste aux étoiles, la même perplexité que son héroïne. dans un vague cirque. Mais, au-delà De celle qui fait ouvrir grand les yeux, des passages obligés (les premières règles, tendre le corps, se lever sur la pointe des la grande sœur qui vous rabaisse), pieds pour mieux voir. C’est le stade le plus la plus belle réussite du film est d’inscrire proche de la grâce, de l’élévation, que le cette transition d’ado dans un corps social film veut et peut offrir (et réussit souvent), précis, tout aussi fascinant à regarder en toute honnêteté. Léo Soesanto qu’une planète au télescope: un milieu où Corpo celeste d’Alice Rohrwacher, la religion est aussi en transition, en lutte avec Yle Vianello, Salvatore Cantalupo, avec l’époque et l’individualisme, incarné Anita Caprioli (Fr., It., Sui., 2011, 1 h 40) en salle le 28 décembre par ce prêtre à la limite du mafieux.

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30 minutes maximum de Ruben Fleischer avec Jesse Eisenberg, Danny McBride (E.-U., 2011, 1 h 23)

La jeune star de The Social Network livre des pizzas dans une comédie assez plaisante. esse Eisenberg est un acteur à ce point génial qu’il est aussi crédible en patron de start-up qu’en livreur de pizzas, sans pratiquement varier son jeu. C’est la même inquiétude sourde ponctuée de bavardages épileptiques qui définit son personnage, hier côté win, aujourd’hui côté lose. Particulièrement lose, en l’occurrence: kidnappé par deux petites frappes (Nick Swardson et l’inénarrable Danny McBride, un peu en surrégime), il se réveille une ceinture de dynamite accrochée à la taille, sommé de trouver 100 000dollars dans les dixheures s’il ne veut pas terminer en bouillie. Aidé de son meilleur ami (Aziz Ansari, le petit Indien au débit mitraillette et à la voix de souris dans Funny People), il décide donc de braquer une banque… Quelque part entre Fargo, Délire Express et The Three Stooges, Ruben Fleischer déploie un humour potache et agressif, presque anar, qui ne fonctionne qu’épisodiquement, lorsque le rythme ralentit et que les personnages prennent le temps de se lancer dans des joutes interminables, sans souci d’efficacité. Tout à son principe de vitesse (“Tout le monde court”, comme disait Tom Cruise dans Minority Report), 30 minutes maximum s’épanouit donc en creux, moins dans sa logique slapstick, que le réalisateur du plaisant Bienvenue à Zombieland maîtrise mal, que dans son verbalisme exacerbé, cette manie qu’ont les meilleures comédies contemporaines de temporiser le faire par le dire (et le rire). Sans révolutionner quoi que ce soit, ce film permet au moins à l’humour US de relever la tête en cette fin d’annus horribilis.

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Les Boloss de Ben Palmer avec Simon Bird, Blake Harrison (G.-B., 2011, 1 h 37)

Adaptation choc d’une série trash sur les frasques d’un groupe d’ados minables. ette comédie loufoque et un village de vacances artificiel mal élevée, qu’on imagine exclusivement peuplé de jeunes conforme à la série Rosbifs en folie. Autrement dit, TheInbetweeners dont une satire qui fait mouche, tant elle est tirée (par et avec la même dans sa peinture détaillée des équipe), a été un raz de marée déboires des vacanciers (genre en Grande-Bretagne. s’endormir bourré sur une Adéquatement intitulé Les Boloss fourmilière) que des fantasmes par le distributeur français, sexuels exorbitants de ces puceaux par analogie avec Les Beaux aussi fanfarons que malchanceux. Gosses de Riad Sattouf, ce film Avec naturellement une faible bête et méchant est également lumière au bout du tunnel un descendant direct de leur de la honte pour ces pauvres ancêtre à tous, American Pie. banlieusards très moyens: C’est-à-dire tout sur les émois la semi-revanche que le destin leur et les frasques du jeune mâle offre contre ce monde impitoyable occidental dans tous ses états, peuplé de bimbos inaccessibles de préférence seconds. et de “bogoss” sadiques –lesquels Consacré aux cheap vacances sont, in fine, les hilarants dindons en Crète des quatre zéros de la farce. Un petit bémol de la série, tout frais émoulus cependant: si des efforts louables du lycée, le film montre “l’abîme qui ont été effectués pour sortir sépare ces vacances idéalisées de la mise en scène étriquée par tous les adolescents et ce qui de la sitcom (notamment s’y passe réellement au final” lors de la séquence du bateau, où (dixit le scénariste Damon Beesley). le film trouve un deuxième souffle), Autrement dit, pas mal le rendu (hum) est un brin lyophilisé de catastrophes dues au binge en comparaison du film de drinking (biture express) et Sattouf, plus vivant. Vincent Ostria en salle le 21 décembre des humiliations en cascade, dans

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JackyGoldberg en salle le 28décembre

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avantages exclusifs

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NOUVEAU

Let My People Go de Mikael Buch, en salle le 28 décembre

cinémas Tout le monde sait que Ruben est juif, hom*osexuel, facteur, mi-finlandais, mi-français, fils indigne, frère désobligeant, amant décevant, assassin douteux, voleur malgré lui… Pourtant Ruben, lui, est incapable de savoir qui il est. Au grand tournant de sa vie, alors que s’ouvrent devant lui les flots de la mer Rouge, Ruben hésite : doit-il suivre son peuple ou son cœur ? A gagner: 20 places pour 2 personnes

Mad Men saison 4

DVD Les tours de verre de Madison Avenue regorgent de publicitaires avides et obscurs. Parmi eux, Donald Draper se fait un nom dans le New York des années 60, habité par les effluves de cigarettes et le goût du whisky. A gagner: 25 DVD

Salle d’attente du 7 janvier au 4 février au Théâtre de la Colline (Paris XXe)

scènes Krystian Lupa s’inspire librement de la pièce de Lars Norén Catégorie 3.1. Il observe et met en scène l’enfer des couples et familles de la place SergelsTorg, au centre de Stockholm. L’improvisation est au cœur du travail des acteurs. A gagner: 10 places pour 2 personnes les 14 et 17 janvier

Sons of Anarchy saison 3

DVD Afin de protéger leur ville des dealers et des entrepreneurs locaux, les membres d’un club de motos sont prêts à tout. Dans ce contexte critique, Jax Teller est partagé entre l’amour qu’il porte à sa confrérie et l’appréhension grandissante qu’il nourrit en voyant l’anarchie et le banditisme qui règne dans son club… A gagner: 25 DVD

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Killing Fields d’Ami Canaan Mann avec Sam Worthington, Jeffrey Dean Morgan, Jessica Chastain (E.-U., 2011, 1 h 44)

Un polar très designé signé par la fille de Michael Mann. Pour son premier film, lafille de Michael Mann marche sur les traces depapa (c’est un polar) mais pas trop. Aux humeurs urbaines en bleu métal, elle préfère le Texas profond, cadre de cette histoire glauque de serialkiller. Le casting est solide et Mann a le chic pour capter l’ambiance décrépite du cru, ses ploucs, le fameux champ meurtrier du titre –sorte de triangle maudit. Dommage qu’elle ait oublié de relire son script, filandreux et elliptique. Ironiquement, si on rabotait le titre et donnait à l’intrigue le privilège de la durée dans l’enquête, de la consistance dans les personnages, on obtiendrait, dans la même catégorie sordide… la série TV The Killing. Léo Soesanto en salle le 28décembre

L’Empire des Rastelli d’Andrea Molaioli avec Toni Servillo (It., 2010, 1 h 50)

Thriller politique qui règle mollement son compte à la mafia industrielle de l’ère Berlusconi. Inspiré par le scandale Parmalat, colossale manip financière du mégagroupe agroalimentaire italien, ce thriller politico-industriel aurait pu tomber à pic après le départ de Berlusconi pour évoquer son ère de fraude généralisée. Hélas, on se contente de mettre en place un cadre et des personnages convaincants, sans embrayer sur un récit suffisamment étoffé. Dramatiquement, le résultat est inopérant. La seule piste un chouïa romantique, la relation de Botta avec la nièce du patron, est symptomatiquement évacuée en cours de route. Vincent Ostria en salle le 28décembre

las ublime Linda Darnell

Ambre

d’Otto Preminger Dans l’Angleterre du XVIIesiècle, le destin d’une jeune femme ambitieuse, de la misère à la cour, sous l’œil subtilement cruel de Preminger. u’est-ce qu’une héroïne Mais derrière le caractère capricieux premingerienne ? se dévoile peu à peu une énergie Il y a quelques semaines, de la survie, piquée au vif par une loi cruelle nous évoquions la Jean Seberg des rapports humains: si les héroïnes de Bonjour tristesse, premingeriennes trahissent ceux qui petite jeune fille piégée par les aiment, à leur tour elles sont toujours la violence de son égoïsme. Dans Ambre, trahies par ceux qu’elles aiment. fresque historique située dans l’Angleterre Le récit d’une ambition devient alors du XVIIesiècle, nous ne sommes pas si celui d’une solitude. loin. Au fond d’une forêt, Ambre, un bébé Dans le film, un homme dit d’Ambre: trouvé, devient rapidement une belle jeune “Elle aime ses ambitions, c’est tout” ; un autre femme. Elevée au sein d’une ennuyeuse lui répond : “Rien ne vous émeut donc chez famille paysanne, elle s’amourache d’un elle ?” Preminger aime-t-il ses héroïnes ? brun aux yeux noirs qui la plante bientôt là. Trop souverain pour que l’affection ait Victime d’escrocs, elle fait de la prison, son mot à dire, il n’a pas de compassion puis sort, encore plus belle et désormais pour ses réprouvées mais il les regarde bien décidée à se faire une place coûte avec une lucidité qui devient bouleversante que coûte dans la société. Elle trouvera – à la fin, quand l’héroïne reste seule sur son chemin un prétendant romantique, après une dernière trahison, l’étendue un vieux comte méchant, des courtisans, de sa solitude nous prend à la gorge. et le roi lui-même –tandis que son amour C’est Linda Darnell, la plus sensuelle de jeunesse ne cesse de lui échapper. des actrices premingeriennes, qui joue Le film frappe par sa splendeur Ambre. En face, Cornel Wilde joue de fin du monde –teintes fumées, ocres son amour de jeunesse, tandis que George rougeoyants, verts chargés, brouillards et Sanders fait le roi. Il apparaît d’abord incendies animés par le roulement funeste comme désinvolte –il caresse l’oreille d’un du destin d’une femme. La violence bichon pendant de longues minutes–, abstraite des décors, zébrée par la crudité puis, plus tard, lors d’un monologue de certaines scènes (Ambre qui accouche, faussem*nt négligent, il se révèle sublime Ambre qui insulte son mari impuissant, de finesse amère. Preminger dans le film, Ambre qui opère les bubons d’un malade c’est lui, n’en doutons pas. A noter la de la peste, Ambre qui piège sexuellement reprise d’un autre film d’Otto Preminger, sa rivale, etc.), compose une vaste toile Carmen Jones, avec Harry Belafonte. Axelle Ropert où la jeune femme finira prisonnière. Les héroïnes de Preminger ont souvent quelque chose d’antipathique, une forme Ambre d’Otto Preminger, avec Linda Darnell, d’égoïsme forcené qui les mène à modeler George Sanders, Cornel Wilde (E.-U., 1947, sans vergogne le monde selon leurs désirs. 2 h 18, reprise). En salle le 21 décembre

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Bush glacée Influence considérable sur la pop actuelle, Kate Bush dépasse ses héritières avec un nouvel album qui parle de neige. Un des sommets de 2011.

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Ecoutez les albums de la semaine sur

avec

lle appelle de chez elle, comme une vieille copine. Pas d’attachée de presse ou de manager pour établir la liaison et dresser ne serait-ce qu’un petit barrage protocolaire entre elle et nous. Au bout du fil, une voix de petite fille gourmande que l’on n’imaginait pas appartenir à l’une des grimpeuses d’octaves les plus célèbres du royaume d’Angleterre. Beaucoup d’idées fausses ont longtemps couru à propos de Kate Bush. On la présente généralement en diva recluse dans un manoir du Kent, sœur Brontë d’adoption un peu foldingue depuis son ascension des Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights, premier single en 1978). Si Kate Bush, comme les personnages de son roman fétiche, vit “à l’écart de l’agitation mondaine”, si elle accorde rarement des interviews et ne monte plus sur scène depuis plus de trente ans, elle n’a rien d’une pimbêche du style Mylène Farmer qui cultiverait de faux mystères dans le jardin ultrasecret d’une âme artificiellement tourmentée. Elle est au contraire une charmante personne qui s’étonne elle-même du statut qui est le sien aujourd’hui en Angleterre, où la presse musicale sérieuse la considère comme l’équivalent féminin d’un Brian Eno, une défricheuse perpétuelle des continents les plus complexes de la pop-music. Ici, on la connaît surtout pour une poignée de tubes (Babooshka en 1980, Running up That Hill en 1985, son duo avec Peter Gabriel, Don’t Give up, en 1986). Mais une fois traversée la Manche, elle est l’un des trésors nationaux les plus précieux et un sujet d’étude perpétuel pour les musicologues les plus pointus. Sa descendance, de Björk à Joanna Newsom, de Florence And The Machine à Bat For Lashes en passant ici par Emilie Simon, témoigne par ailleurs de la grande fertilité de celle qui fut l’une des premières “femmes studio”, en symbiose quasi

organique avec les technologies qui ont bouleversé la donne musicale des troisdernières décennies. Longtemps pourtant, elle a joué les grandes absentes, laissant filer plusieurs époques, publiant des albums moins convaincants jusqu’à la renaissance de Aerial, sa double fresque panthéiste de2005. Et puis, cette année, elle qui d’habitude ne sortait de son silence qu’une fois par décennie a enchaîné deuxalbums. Tout d’abord Director’s Cut en mai, une relecture moyennement inspirée d’anciens titres déjà plutôt anodins des albums TheSensual World (1989) et The Red Shoes (1993). Et surtout, aujourd’hui, 50Words for Snow, opus majeur ayant pour sujet unique la beauté cotonneuse de l’hiver et le charme troublant des étendues neigeuses. “Vous en conviendrez, plaisantet-elle, il aurait été anachronique de sortir cet album au printemps. C’est la raison pour laquelle je me suis appliquée à le terminer aussi vite. J’habite à la campagne et nous avons connu plusieurs hivers assez neigeux. J’ai retrouvé ce plaisir enfantin de faire des bonhommes de neige, j’ignore la raison pour laquelle cette atmosphère m’a soudainement inspirée, en tout cas tout est allé très rapidement.” Une fulgurance d’exécution qui contraste avec la lenteur et la sérénité d’un disque dans lequel on s’installe pour longtemps, calfeutré dans ses longues étendues de piano et dans ses climats langoureux ponctués de silences merveilleusem*nt habités. “Le son de la neige qui tombe est une forme suprême de silence, un silence extrêmement expressif que j’ai cherché à reproduire.”

“le son de la neige qui tombe est une forme suprême de silence, un silence extrêmement expressif”

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on connaît la chanson

business 3.0

John Carder Bush

Comment les artistes sauvent-ils leurs propres meubles quand l’industrie du disque n’est plus là ?

On n’y trouvera pas les acrobaties vocales qui ont fait sa réputation, car, dit-elle “ce ne serait plus très sérieux à mon âge de tenter ce genre de choses”. Elle préfère désormais étalonner sa voix sur la beauté engourdie de sa musique. En revanche, visiblement travaillée par l’idée de capturer les choses éphémères, c’est à la belle voix de contre-ténor de son fils Bertie qu’elle abandonne les premiers mots de l’album: “Sa voix est en train de changer, un peu comme la neige qui est appelée à fondre, aussi il fallait la saisir pour en conserver la trace.” Des chanteurs classiques partagent aussi le micro, mais également Elton John sur un titre et, plus étonnant, Andy Fairweather de Low, qui l’accompagne le temps du single Wild Man, seul morceau vaguement pop de l’album. Le comédien Stephen Fry égrène quant à lui les fameux “cinquante mots pour dire

‘neige”, autour desquels Kate virevolte enfin, retrouvant un instant les audaces de sa jeunesse. Rappelant souvent l’album solo unique de Mark Hollis, un autre de ces grands randonneurs sonores des années80 avec son groupe Talk Talk, ce dixième album de Kate Bush –où il est un moment question de l’Himalaya– est parfaitement en harmonie avec son sujet. Un sommet. Christophe Conte album 50 Words for Snow (EMI) www.katebush.com

Ils sont jeunes, talentueux et s’apprêtent à encaisser un maximum de cash grâce à leur nom de scène. Al’heure où la toile bouleverse les repères d’une industrie prise de vitesse, certains artistes dont l’âge n’excède pas 25ans cherchent à faire de cette révolution un atout commercial. Louis Roge, aka Brodinski, chouchou actuel du DJing français, est la tête de pont de cette génération. Dans la peau d’un businessman aguerri à 24ans, le Rémois rêve de mettre en place un modèle économique alternatif, basé sur le lien entre la musique, l’objet physique et le public. Paroxysme de cette volonté: la création de son label (Bromance), dont l’idée initiale (produire d’autres artistes) pourrait s’étendre à des secteurs vers lesquels l’auditeur lambda n’irait pas forcément: en inventant Bromance, Brodinski prend de court les stars du moment, à l’image d’un David Guetta restant dans un schéma classique de production/interprétation. Il y eut déjà une vodka Brodinski, pourquoi pas une eau de toilette ou une ligne de vêtements ? Bien sûr, la vente de T-shirts à la sortie des salles fonctionne toujours. Certains, comme Birdy Nam Nam ou Inspector Cluzo, ont développé un univers accrocheur leur permettant de “faire du chiffre” grâce aux produits dérivés. D’autres, dont LaFemme, n’hésitent pas à alpaguer le passant pour refourguer leurs stickers. Mais ces produits de base pourraient ne pas durer. Avec le business3.0 tel que l’envisage Brodinski, on entrevoit une passerelle entre deux mondes. A chaque époque son prodige. Aujourd’hui, Brodinski est à David Guetta ce qu’Eddy Mitchell était à Johnny Hallyday: unartiste autonome, suffisamment visionnaire pour ne pas s’écrouler dans les méandres du star-system, déconnecté d’une sphère internet sous-exploitée. Avec une grande idée derrière la tête: mettre au point un empire numérique basé sur son nom.

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Arnaud Borrel

Adriano Fegundes

Animal Collective réuni Les parenthèses solo de Panda Bear (l’album Tomboy) et d’Avey Tare (l’album Down There) semblent se refermer pour Animal Collective. La bande, au complet avec un Deakin de retour depuis la dernière tournée du groupe, s’est attelée à la tâche, écrivant un nouvel album qui devrait voir la lumière dans les prochains mois. “Nous venons de terminer une séance de deux semaines d’écriture et avons cinq nouveaux morceaux. Nous sommes très excités par ce disque, c’est génial de jouer à nouveau avec les gars”, a expliqué Avey Tare.

Camille Vivier

Owlle remporte le concours des Inrocks Lab 2011 Après une année de compétition, le jury des Inrocks Lab a désigné le grand vainqueur du concours de découvertes2011. Il s’agit de Owlle, qu’on avait pu voir sur scène au Festival Les Inrocks Black XS en novembre. La chanteuse remporte cinq jours d’enregistrement dans un studio à Londres aux côtés de David Kosten, producteur de Bat For Lashes, Curry &Coco (anciens gagnants CQFD) et Chew Lips, ainsi que la première partie d’un concert qui aura lieu en début d’année prochaine et un stage “gestion de carrière” d’une semaine à l’Irma. Owlle devance les Niçois d’Hyphen Hyphen, Christine & The Queens, et Théodore, Paul et Gabriel. www.lesinrockslab.com/owlle

Emilie Simon Franky Knight Végétal/Barclay/Universal Hanté par la disparition, le nouveau Emilie Simon est beau et douloureux. e dernier album d’Emilie Simon est beaucoup de choses à la fois. C’est, d’abord, la bande originale du film La Délicatesse, adaptation du best-seller de David Foenkinos. C’est donc, aussi, la seconde réalisation musicale d’Emilie Simon pour le grand écran, après LaMarche de l’empereur. C’est également, par ses arrangements glacés et ses chansons-pirouettes, une preuve supplémentaire de la filiation entre la chanteuse et Kate Bush. Enfin, et surtout, c’est un disque inspiré d’un drame vécu par la musicienne: la disparition soudaine de l’être aimé. Sans sombrer dans le pathos, Emilie Simon raconte ici les irréparables blessures et l’impossible continuation, en convoquant l’imaginaire des princesses et des chevaliers. Eblouissant dans la forme, Franky Knight est donc, forcément, un album terrible dans le fond: chaque titre évoque le manque, les souvenirs et la mort –Jetaimejetaimejetaime, Franky’s Princess, Bel amour… Capable de briller autant en chanteuse de comptines dompteuse de xylophone (Mon chevalier) qu’en chef d’orchestre virtuose (Les Amants du même jour), la Française signe un élégant recueil d’electro-pop et un bouleversant hommage personnel. Johanna Seban

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www.emiliesimonmusic.com en écoute sur lesinrocks.com avec

Frente Cumbiero Meets Mad Professor Vampisoul/Differ-ant

various artists The Original Sound of Cumbia – The History of Colombian Cumbia & Porro as Told by the Phonograph, 1948-79 Soundway/Differ-ant

danse avec les Black Keys On a tous dansé comme des dératés sur le formidable clip de Lonely Boy des Black Keys. Il est maintenant temps de passer à la postérité puisque, jusqu’au 12janvier, le site des Inrocks Lab offre aux internautes la possibilité de mettre en ligne leur propre version de la vidéo. Un jury composé des équipes des Inrocks et de Ouï FM se réunira à la fin du concours pour déterminer un vainqueur parmi les vingt vidéos plébiscitées. Le gagnant remportera des goodies Black Keys, deux places pour leur concert du 25janvier au Zénith et une mise en avant de son clip sur les sites de Dailymotion, de Ouï FM et des Inrocks. www.lesinrockslab.com

On n’en finit pas de découvrir la cumbia, musique avec le feu aux fesses. Revisitée depuis le rock ou l’electro, son alter ego anglais expatrié en la cumbia colombienne a fini Colombie, collectionneur de vinyles par gagner sa place en Occident. autant que musicien. En attendant Issu de la nouvelle scène de le fruit de leur rencontre en studio Bogotá, Frente Cumbiero marie avec un all stars de vétérans la tradition instrumentale du genre, locaux, Holland nous régale d’une toute de cuivres et d’accordéon, formidable anthologie de cumbias et ses variations hybrides pur jus, invitation à un voyage contemporaines (sonorités musical sur les rives du fleuve balkaniques, éthiopiennes ou Magdalena, qui est au sud jamaïcaines). Après s’être assuré ce que le Mississippi est au nord la complicité de Mad Professor du continent américain. YannisRuel pour les remixes dub de son premier album, le leader de Frente www.frentecumbiero.com Cumbiero, Mario Galeano, a croisé en écoute sur lesinrocks.com avec la route de Will “Quantic” Holland,

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Clara Palardy

Cœur De Pirate Blonde Dare to Care/Barclay/Universal Avec Blonde, Cœur De Pirate confirme tous les espoirs placés en elle et s’invente, avec nostalgie, un avenir radieux. uand j’ai sorti mon premier confie-t-elle. Qu’il s’agisse d’Ava, de Danse album, je n’étais qu’une enfant. et danse, de Golden Baby (rebidouillé par Tout ce qui m’est arrivé l’excellent Benjamin Lebeau de The Shoes) m’a précipitée dans un monde ou de Loin d’ici, pas une minute sans qu’on d’adultes”, explique Béatrice ne twistouille du bout de la Converse Martin, alias Cœur De Pirate. –même si l’ambiance n’est pas toujours Oncomprend tout de suite alors mieux foncièrement gaie. pourquoi son deuxième, Blonde, est ouvert “Blonde”, au Québéc, veut dire “petite par un Lève les voiles chanté par une amie”. En France, plus qu’une couleur chorale d’enfants. de cheveux, c’est parfois un adjectif En trois ans, la jeune Québécoise a qui révèle un soupçon de naïveté. C’est avec voyagé dans tous les sens, laissant ces deux idées que Béatrice Martin joue –peut-être à contre-cœur– l’adolescence et jongle, contant l’amour et le désamour loin derrière. Cet apprentissage de avec une honnêteté parfois bouleversante la gloire, entre Paris et Montréal, aurait (Place de la République, Cap Diamant). pu la broyer : Béatrice Martin en a fait une Ce que confirme Blonde, c’est surtout œuvre aussi personnelle qu’étonnante, tout le talent d’auteur de Béatrice Martin, nostalgique et ultra contemporaine aussi. songwriteuse toute en ironie. Ainsi La Petite Blonde brille dans l’ensemble par des Mort, titre de conclusion qui annonce tonalités sixities 2.0 absolument modernes paradoxalement la renaissance et qui la rapprochent des filles les plus la poursuite d’une carrière qu’on imagine chouettes du paysage d’aujourd’hui, Lykke encore plus longue et palpitante, Li en tête. Elle y réinvente aussi la France des deux côtés de l’océan – voire plus. Pierre Siankowski Gall des débuts –et pour le meilleur. “J’aime le contraste entre la noirceur www.coeurdepirate.com des textes et les mélodies de cette époque”,

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The Bony King Of Nowhere Eleonore Helicopter/Pias Le folk satiné d’un songwriter venu de Gand, qui prend des gants. Bram Vanparys aime les paradoxes: composer un folk mélancolique mais jamais larmoyant, épuré et luxuriant. Planqué derrière un nom de groupe piqué à Radiohead, il pose seul sur la pochette, habillé pour couper du bois pour l’hiver, couvert d’une écharpe –risquer d’abîmer une voix pareille serait un sacrilège. Mais Eleonore n’a rien d’un album de reine des neiges: il appelle à se recueillir dans une cabane éclairée à la bougie, à se pelotonner sous un duvet de cygne noir. Noémie Lecoq www.myspace.com/thebonyking en écoute sur lesinrocks.com avec

Canyons Keep Your Dreams Modular/La Baleine Nostalgiques des musiques de fiesta, d’habiles Australiens mettent le feu. ardez vos rêves”, ordonne le titre de cet album. Et c’est exactement ce que font ces Australiens, conservant pour leur électronirique toutes les chimères, excentricités et lignes brisées de leurs rêves agités. Comme beaucoup d’électroniciens australiens, l’influence de la scène française, de Kitsuné à M83, est flagrante –Under a Blue Sky est même murmuré en français. Mais Canyons ne mange pas uniquement de ce pain-là (baguette), se goinfrant tout pareil d’Haribo eighties, de sauerkraut du Düsseldorf seventies, de vieux LSD de San Francisco ou de cachets d’Ibiza, pour un trip à vitesse phénoménale entre le New York disco du Studio54, le krautrock d’Amon Düül et le Madchester baggy de l’Haçienda. De ces errements spatio-temporels découle une musique épique et parfois opaque, notamment quand des saxos hystériques se lancent dans d’étranges radotages. Car, et c’est la force de cet album qui ignore tout des barrières (franchies) entre bon et mauvais goût, les Australiens ont non seulement emprunté aux musiques dedanse d’autrefois leurs tics et leur toc, mais surtout leur naïveté, leur euphorie. Le cynisme n’y résiste pas. JD Beauvallet

G

www.facebook.com/canyonspage en écoute sur lesinrocks.com avec

Caveman CoCo Beware Magic Man!, en téléchargement Entre Grizzly Bear et les Dodos, un folk bourré de charmes et d’épines. Il s’en passe toujours de belles à Brooklyn. On pourrait par exemple y déménager rien que pour se frotter, aussi souvent que possible, aux atmosphères sorcières des chansons de Caveman, cousines lointaines de celles de Grizzly Bear, sœurs certaines de celles des Dodos et descendantes floues d’Animal Collective. Ces morceaux épiques et doux ressemblent à des roses, solaires et sanglantes, à un jardin d’Eden bourré de serpents venimeux dont les arabesques psychédéliques collent aux neurones mais font planer les âmes.

various artists Tous Buzy Disponible dans les bureaux de tabac, 8€

ThomasBurgel

Un projet bizarre – hommage à Buzy – vendu en CD et en bureaux de tabac ! En pleine lumière ou plus discrètement, Buzy a écrit l’une des pages les plus baroques de la pop à la française. La compilation de reprises (Ann’so M, Clarika et une bonne douzaine de jeunes pousses) est téléchargeable, proposée en étui collector ou, couplée à un livre fort judicieusem*nt intitulé Vive le rock ! (Clément Léon R.), disponible dans le maillage serré des buralistes de l’Hexagone. Quelques surprises: tout d’abord face à la réévaluation de ce répertoire, qui laisse cohabiter les tubes (Body Physical, Dyslexique) et des refrains brinquebalants (Terre étrangère), et aussi à ces artistes qui, souvent à l’aube de leur carrière, adhèrent avec talent à un univers de troubles et autres clairsobscurs. Bluffant. Christian Larrède

cavemantheband.com

www.myspace.com/tousbuzy

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Megafaun

Charlie Gross

Megafaun Crammed Discs

Meshell Ndegeocello Weather Naïve L’intraitable diva soul américaine de retour, au sommet orageux de son art. our beaucoup, Bitter reste le chefet la relecture a minima de Don’t Take My d’œuvre de Meshell Ndegeocello, Kindness for Weakness des Soul Children. un saut de l’ange en deep soul, Ainsi, Weather fait autant figure de une confession impudique sur un bulletin de santé que de météo. Il constitue chapelet de torch-songs aussi lugubres à la fois un brillant résumé d’une carrière que sensuelles. Sur ce disque majeur paru de senior et une nouvelle étape dans en 1999, la chanteuse américaine pressait la vie de celle qui a traversé son époque les plaies d’une rupture amoureuse en se prenant par le milieu toutes pour en faire suinter toute l’amertume. les bourrasques auxquelles sa condition Douze ans plus tard lui prend l’envie la prédestinait. Femme, noire, lesbienne, de palper ces mêmes cicatrices afin d’en musulmane, romantique incurable mesurer la capacité à suppurer encore. –au point d’en souffrir le martyre–, Sont-elles devenues insensibles ? ou est-ce Meshell a toujours fait de sa détresse que ça fait encore mal ? Si Weather une oriflamme et de sa musique ressemble à Bitter, c’est d’abord à cause de un radeau de la Méduse pour cœurs la production signée Joe Henry, qui percés. C’est à ce prix qu’elle est devenue a officié sur l’un et l’autre, toute en volutes l’une des artistes les plus bouleversantes voluptueuses, toute en climats ombrageux, de sa génération, les plus significatives en funk lo-fi et ballades vénusiennes. de son temps. Statut que Weather C’est aussi en raison des pathologies confirme haut la main. Francis Dordor affectives qu’abritent ces rhapsodies www.meshell.com miniatures dont Meshell a fait sa signature en écoute sur lesinrocks.com avec et qui procèdent par touches de tendresse, de ressentiment et de lubricité. Avec le temps, son humeur semble apaisée, quoique sujette encore à dépressions (Feeling for the Wall), à turbulences (Rapid Fire), à passages nuageux (Oysters), à coups de tabac (Dirty World). Sujette aussi à retours d’Ouest, comme en attestent la reprise alanguie du Chelsea Hotel de Leonard Cohen

P

Megafaun survit sur ses acquis de songwriting érudit. Décevant. Se sont-ils lassés, ces prophètes barbus, de leur folk mystique ? Ont-ils fini par trouver que leurs guitares en bois sonnaient trop creux, ou profité d’une offre promotionnelle pour tous faire l’acquisition d’un groupe électrogène ? Si Megafaun s’en tire mieux que son ex-compagnon Bon Iver, le tournant ne lui est pour autant pas aussi bénéfique qu’à ses potes d’Akron/Family. Megafaun était pourtant, de tous, le groupe qui était sans doute allé le plus loin dans l’expérimentation, reliant le psychédélisme le plus tordu aux ritournelles entêtantes jusqu’à la transe des Appalaches dans des architectures vocales aussi fines que complexes. Ce qu’il en reste, c’est un groupe qui distille l’héritage de Neil Young dans des chansons parfois magnifiques mais piteusem*nt pop, dont la créativité noyée tente maladroitement de refaire surface dans des tripatouillages électroniques inutiles. Nicolas Chapelle concerts le 15 février à Paris (Café de la Danse), le 16 à Nantes, le 17 à Rennes, le 18 à Bordeaux www.myspace.com/megafaun en écoute sur lesinrocks.com avec

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extrêmes limites première Rideau ! mise en scène Roger Louret, avec Guy Bedos Tout Guy Bedos est là: annoncer sa sortie de scène pour pimenter les fêtes de Noël, alors que le spectacle, prophétiquement titré Rideau ! sera repris en mai prochain, entre les deux tours de la présidentielle, dans le même théâtre et après une tournée longue comme le bras dans toute la France. Pas simple de raccrocher, on le comprend ! du 22 décembre au 14 janvier au Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe, tél. 01 44 95 98 21, www.theatredurondpoint.fr

réservez Contractions de Mike Bartlett, mise en scène Mélanie Leray Retour des Lucioles au TNB avec une pièce au thème explosif: l’interdiction, aux Etats-Unis, d’engager une relation sexuelle et/ou affective sur son lieu de travail sous peine de licenciement, fait des émules en Angleterre et tente de s’imposer en France par le biais de sociétés américaines installées dans l’Hexagone. Bigre… du 10 au 21 janvier au TNB de Rennes, tél.02 99 31 55 33 www.t-n-b.fr

Avec Land’s End, tiré d’un fait divers meurtrier, le collectif anversois Berlin démontre une fois encore sa capacité à inventer un théâtre documentaire en prise sur notre époque.

L

a frontière traverse la chambre à coucher et passe même au milieu du lit. La nuit, selon le côté où l’on se tourne, on est tantôt en France tantôt en Belgique. L’homme qui explique cela a vécu à ‘tGroot Moerhof, une ferme située dans la commune d’Adinkerke, dont la particularité est d’enjamber la frontière franco-belge. La ligne qui sépare les deux pays traverse la propriété. Difficile d’imaginer coupure plus artificielle que ce tracé arbitraire. Rien d’étonnant si cette région fut longtemps une zone de contrebande. Bart Baele et Yves Degryse du collectif Berlin ont découvert ‘tGroot Moerhof par le biais d’un fait divers advenu il y a plusieurs années sur la commune. Le cadavre d’un homme est retrouvé dans le coffre de sa voiture. Il a été assassiné à la demande de son épouse par un tueur à gages français. Son mari la trompait, elle a voulu se venger. Les suspects sont arrêtés. La femme en Belgique. L’homme en France. Seulement leurs déclarations sont contradictoires. Il faut procéder à une confrontation. Là, les choses se compliquent. Car il n’y a pas d’accord d’extradition entre la Belgique et la France. La confrontation aura lieu de part et d’autre de la frontière. Où ça ? A ‘tGroot Moerhof, évidemment. Après Tagfish, spectacle où il s’agissait de reconstituer une série de conseils d’administration autour d’un projet jamais réalisé de “village créatif” sur un site

désaffecté de la Ruhr, Bart Baele et Yves Degryse reviennent à présent sur cette improbable confrontation entre un tueur et sa commanditaire. Le dispositif scénique fort ingénieux oppose images filmées diffusées sur des écrans amovibles, où apparaissent les différents protagonistes de l’affaire, et comédiens présents en chair et en os –assis à chaque extrêmité d’une table au milieu de laquelle une double ligne blanche signifie la frontière, ils interprètent le tueur et sa commanditaire. Le traitement doucement ironique souligne l’absurdité de l’affaire. Fruit d’un patient travail de recherches et d’entretiens avec les acteurs de ce drame, le spectacle joue la distanciation avec beaucoup d’humour. “Finis-le”, aurait dit la femme au tueur tandis qu’il achevait le mari. Mais comment interpréter cette injonction ? Selon l’épouse, cela voulait dire, “ça suffit”, “arrête”. L’homme y a entendu, lui, un encouragement à accomplir son acte jusqu’au bout. Avant la représentation, les spectateurs découvrent une série d’installations se référant aux divers scénarios imaginés par l’épouse pour tuer son mari. La première s’intitule Le plus lâche des assassins, c’est celui qui a des remords. Une citation de Sartre tout à fait révélatrice de la tonalité ambiguë de ce spectacle parfaitement réussi de théâtre documentaire. Hugues LeTanneur Land’s End de Berlin à Courtrai (Belgique), dans le cadre du festival Next, compte rendu. Du 1er au 9 février au 104, Paris XIXe, www.104.fr

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Lorena Fernandez

la vie des morts Le théâtre documentaire de Lola Arias répare avec tendresse et pudeur les traumas laissés par la dictature en Argentine. la manière des étals d’un marché des uns que de la violence barbare aux puces, Lola Arias mêle sur instituée par ceux des autres. Ainsi, le fils son plateau des tables couvertes du journaliste péroniste côtoie la fille du d’un bric-à-brac hétérocl*te militant révolutionnaire, la fille du guérillero à une collection de chaises dépareillées rencontre le fils du prêtre défroqué, tandis et à quelques instruments de musique que celui de l’employé de banque apolitique (une guitare électrique et une batterie). tutoie la fille de l’inspecteur de la police Des fripes vintage des années70 tombent politique. En Argentine, les placards sont des cintres en grosse pluie et nous pleins de cadavres… confirment qu’à travers cette belle idée A travers l’extrême délicatesse de son de scénographie la jeune metteuse théâtre documentaire, Lola Arias trouve en scène argentine prend le prétexte d’un le moyen de vider tous ces placards. vide-grenier métaphorique pour revenir La belle œuvre d’un cérémonial sur les blessures laissées par la dictature du souvenir qui s’affirme en manifeste militaire qui, de 1976 à 1983, a plongé politique… Celui d’une nouvelle génération son pays dans une terreur indicible. convaincue que, pour aller de l’avant, Prenant l’initiative d’engager un véritable il est d’abord nécessaire de ne rien oublier travail de deuil, Lola Arias invite sur son pour bien se réconcilier. Patrick Sourd plateau les enfants des bourreaux et ceux Mi vida después texte et mise en scène des victimes. Ils sont six à à témoigner de Lola Arias au Théâtre des Abbesses, ParisXVIIIe, compte rendu tant du cauchemar vécu par les parents

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avec ou sans Dieu De retour à Reims, l’Israélienne Yael Ronen sonde avec humour les absurdités de la religion ou de l’identité. rôle, insolent On retrouve les et désinvolte dans comédiens de la sa mise à nu Schaubühne de Berlin et implacable des du théâtre Habima de blocages et clichés soulevés Jérusalem, se prêtant cette par les thèmes de fois-ci au vertige d’une mise la religion, de la foi et de en abîme jubilatoire qui voit l’identité – si prompts, les personnages-acteurs en France, à réveiller tiraillés entre leur rôle les réacs de tous poils –, dans la pièce et leur histoire The Day Before the Last Day personnelle et familiale. marque le retour Une femme juive, un ancien de l’Israélienne Yael Ronen chrétien, un musulman au festival Reims Scènes non pratiquant, une athée d’Europe. En 2010, radicale, tous plaident dans Troisième génération, leur cause et vantent leurs elle mettait en jeu les arguments, ruinant rapports entre Allemands, définitivement la conférence Israéliens et Palestiniens d’un futurologue de soixanteans après la fin de l’université de Jérusalem, la Seconde Guerre mondiale d’abord perturbée et la création d’Israël. par des couacs techniques

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et l’incompétence chaplinesque d’un assistant aux allures de Christ new age. Viendront, en cascade, les appels angoissés, via Skype, des parents des interprètes, eux-mêmes occupés à interroger le public pour le conseiller dans le choix d’une religion adaptée à ses goûts et pratiques culturelles ou sexuelles… L’humour, baume puissant pour chasser le poison de l’intolérance ! FabienneArvers The Day Before the Last Day mise en scène Yael Ronen, au festival Reims Scènes d’Europe, compte rendu 21.12.2011 les inrockuptibles 169

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livre La Nausée de Jean-Paul Sartre C’est le dernier livre que j’ai lu. Ça m’a permis de découvrir la philosophie existentialiste. C’est un livre fascinant.

album

Hugo Cabret de Martin Scorsese La rencontre en 3D de Georges Méliès et d’un enfant tout droit sorti d’un conte de fées.

17 filles de Delphine et Muriel Coulin Un lycée breton perturbé par les grossesses simultanées de dix-sept élèves. Un premier film sensible.

Dernière séance de Laurent Achard Le projectionniste d’un cinéma sur le point de fermer devient serial- killer. Un film tranchant.

Le Cheval de Turin de Béla Tarr Terrassant comme un récit d’apocalypse: l’essence du cinéma visionnaire du maître hongrois.

Baloji Kinshasa Succursale Enregistré en Afrique, le dernier album du Belgo-Congolais Baloji vénère Léo Ferré, Marvin Gaye ou Joy Division.

La Javanaise de Jean-Nöel Liaut La vie de Toto Koopman, aventurière, mannequin, résistante et bisexuelle, figure de la Café Society dans les années30.

Original Pirate Material de TheStreets C’est l’album que j’écoutais le plus quand j’ai commencé la musique, j’ai grandi avec ce disque. Je trouve ça cool que Mike Skinner ait arrêté les Streets maintenant: il a fait tout ce qu’il pouvait faire avec ce groupe, et il y a mis un terme au bon moment.

film Down by Law de Jim Jarmusch Je regarde énormément de films mais c’est un de mes préférés, notamment parce qu’il y a Tom Waits dedans. Il y a une vraie vision dans ce film, un parti pris énorme.

King Krule

recueilli par Ondine Benetier

Le jeune Anglais vient de sortir son deuxième ep, King Krule (True Panther Sounds/Modulor).

Charlotte Gainsbourg Stage Whisper Un album live généreux, qui plus est agrémenté d’enregistrements inédits.

The Roots Undun Somptueux nouvel album des Américains, de plus en plus libres.

The Black Keys El Camino Un album de tubes, de stupre et de fièvre.

Shotgun Stories de Jeff Nichols. Le premier coup de maître de la révélation du ciné US. Blue Valentine et Love & Secrets Deux romances avec l’ange blond Ryan Gosling. coffret Alain Cavalier Edition groupée des films d’un grand nomade du cinéma français.

Faut-il brûler Sade ? de Simone deBeauvoir Réédition de textes écrits dans les années50 qui, à travers Sade ou la pensée de droite, abordent la question des privilèges.

Deux d’Irène Némirovsky Un roman qui dissèque la passion et sa lente décomposition.

Face à Sebald textes d’Olivier Rohe, Will Self, Susan Sontag… Dix ans après sa mort, une brillante monographie de l’écrivain de l’exil, de la destruction et de la mémoire.

Les Ignorants –Récit d’une initiation croisée d’Etienne Davodeau La restitution d’un an d’échanges avec un vigneron.

Dans la nuit la liberté nous écoute de Maximilien Le Roy La biographie d’un engagé déserteur en Indochine.

Reportages de Joe Sacco Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle La BD reportage invente un nouveau style.

Récital emphatique Michel Fau Bouffes du Nord, Paris Une transformation de Michel Fau en diva échouée dans le plus improbable des récitals.

Merce Cunningham Dance Company Théâtre dela Ville, Paris Ainsi que l’avait décidé le danseur et chorégraphe, la Merce Cunningham Dance Company fait ses adieux au public.

iD Cirque Eloize Théâtre de Chaillot, Paris Mise en scène de Jeannot Painchaud et chorégraphie de Mourad Merzouki pour une évocation spectaculaire du monde de la rue et du hip-hop.

Guillaume Leblon A la Fondation Ricard, Paris Une expo d’atelier qui interroge l’épaisseur temporelle des œuvres.

Daphné Navarre Palais de Tokyo, Paris Une expo fantôme qui enregistre les traces des précédents accrochages.

Mathieu Kleyebe Abonnenc La Ferme du Buisson, Noisiel (77) Une mise en œuvre géniale de la philosophie postcoloniale de Frantz Fanon.

Super Mario 3D Land/Mario Kart 7 sur 3DS Une doublette d’excellents jeux du super plombier.

Uncharted3 –L’illusion de Drake sur PS3 Possible “jeu de l’année” avec ses aventures et questions surprenantes.

TheElder ScrollsV –Skyrim sur PS3, Xbox360 et PC Dans un univers sidérant, un jeu qui donne envie de ne jamais sortir.

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HORS SÉRIE

Best of Musique 2011

Quels sont les 100 meilleurs albums de l’année ? Hors série C’est l’heure du bilan, et l’agence de notation des Inrocks décerne ses prix dans un numéro spécial de 100 pages. Au sommaire, les 100 disques de l’année, les 100 meilleurs singles et rééditions, les interviews des artistes qui ont fait l’actu musique 2011et les confessions de Bernard Lenoir.

+lesCD16exclusif singles de l’année avec Baxter Dury, Beirut, Other Lives, Timber Timbre, Drake, Foster the People, Metronomy, Connan Mockasin, Miles Kane, Tinariwen, Feist, Wu Lyf, Fránçois & the Atlas Mountains, Anna Calvi, Justice, TheBlack Keys

en kiosque le 14 décembre promo best of 210x270.indd 1

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[PDF] 838 - Free Download PDF (2024)

FAQs

What is SOC 838? ›

SOC 838 In-Home Supportive Services Recipient Request for Assignment of Authorized Hours to. Provider.

What forms do I need to become a provider for IHSS? ›

How to Become an IHSS Provider
  1. Go to an IHSS Provider Orientation given by the county. ...
  2. Complete, sign and return the IHSS Program Provider Enrollment Form (SOC 426) directly to the County IHSS Office or IHSS Public Authority. ...
  3. Complete and sign the IHSS Provider Enrollment Agreement (SOC 846) .

What is the form for additional hours for IHSS? ›

The SOC 295 form, also known as the "IHSS Recipient Request for a Change of Provider or Hours," is the key document you'll need to initiate the process of increasing your IHSS hours. This form allows you to communicate changes in your circ*mstances, making it a valuable tool for those requiring additional support.

Where to mail form soc 426A? ›

SOC 426A form may be submitted through the following options: Email: IHSS.SCC@SSA.sccgov.org. Postal service: IHSS, PO Box 11018 San Jose, CA 95103-1018. Fax: (408) 792-1601.

Can you lose IHSS benefits? ›

But if your countable income goes over that limit, you will lose IHSS and have to pay your care providers with your own money, and your extra money might not make up for your extra expenses.

What is a violation on IHSS? ›

A violation is the consequence of not following overtime and travel time limitations, and could cause you to be suspended from the program or terminated as an IHSS provider. It is important that you follow the overtime and travel time limitations to prevent getting a violation.

How much does IHSS pay caregivers? ›

Ihss Caregiver Salary in California
Annual SalaryHourly Wage
Top Earners$38,982$19
75th Percentile$35,500$17
Average$34,604$17
25th Percentile$28,100$14

What disqualifies you from being an IHSS provider? ›

Generally, misdemeanor crimes involving violence or threats of violence would disqualify a person from being an IHSS provider. Minor infractions, such as traffic violations, would not disqualify a person from being an IHSS provider.

Is IHSS giving $500 dollars? ›

The state's HCBS spending plan includes two IHSS-related enhancements: (1) provide a one-time $500 payment to IHSS providers who worked at least two months between March 2020 and March 2021 and (2) create specialized training opportunities and fiscal bonuses for IHSS providers.

What are the new rules for IHSS providers? ›

Beginning July 1, 2023, IHSS providers who do not live with their recipient(s) will be required to use one of three options—the mobile app, Electronic Services Portal (ESP), or telephone timesheet—to: Check-in at the beginning of each shift in real-time; and. Check out at the end of each shift in real-time; and.

What is the max hours for IHSS per month? ›

Under state law, the maximum total number of weekly authorized hours in the IHSS program is 283 hours per month, which, divided by 4.33 weeks, equals 66 hours per week. Because of the current 7% reduction, for those recipients who receive the maximum number of hours, their hours will be 66 minus 7% = 61 hours.

What are the maximum hours for IHSS 2024? ›

As required under State statutes, the maximum number of hours an IHSS or WPCS provider may work in a workweek for all the time he/she works for two or more recipients is 66 hours.

What is a 840 form? ›

Form 840 is a tax form used by employers for reporting the information related to the state unemployment insurance (SUI) taxes.

How long does it take for IHSS to be approved? ›

Of those who do get approved, it can take anywhere from two weeks to several months to finally receive benefits. This is due to the meticulous amount of paperwork involved, as well as the process of the case worker assessment, background check, and other procedures.

Do you have to pay taxes on IHSS income? ›

When is IHSS income considered non-taxable? A caregiver's IHSS income is not taxed if the care recipient permanently lives with the caregiver, and the caregiver has completed form SOC 2298. (The IHSS income is taxable for caregivers who live outside the household.)

What is SOC for T Mobile? ›

Constant security monitoring from Security Operations Center (SOC) service.

What is a SOC phone? ›

A system-on-a-chip (SoC) is a microchip with all the necessary electronic circuits and parts for a given system, such as a smartphone or wearable computer, on a single integrated circuit (IC).

What is the SOC code for? ›

An SOC code means that an occupation has been classified by the federal government for the purpose of cataloging, analyzing and distributing data about workers and jobs in the United States.

What is soc 874? ›

NOTICE TO APPLICANT OF HEALTH CARE CERTIFICATION REQUIREMENT

The certification must state that you are not able to do some activities of daily living (ADLs) on your own and that without help to do these activities you would be at risk of placement in out-of-home care.

References

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Author: Lilliana Bartoletti

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Name: Lilliana Bartoletti

Birthday: 1999-11-18

Address: 58866 Tricia Spurs, North Melvinberg, HI 91346-3774

Phone: +50616620367928

Job: Real-Estate Liaison

Hobby: Graffiti, Astronomy, Handball, Magic, Origami, Fashion, Foreign language learning

Introduction: My name is Lilliana Bartoletti, I am a adventurous, pleasant, shiny, beautiful, handsome, zealous, tasty person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.